Enregistrer par caméras les dépositions des accusés devant la police est le nouveau projet du ministre de la Justice et des Libertés. Mustapha Ramid explique dans un entretien accordé au quotidien Akhbar que c’est le seul moyen «à même de limiter la falsification des PV et d’éviter une remise en question des déclarations qu’ils contiennent». Pour le moment, il s’agit juste de voeux du titulaire de ce département, sachant que la concrétisation d’un tel projet nécessite toute une logistique, des moyens financiers et une adhésion sans équivoque et du gouvernement et du parlement.
«C’est une bonne initiative que nous saluons, d’ailleurs. Elle est une phase avec une vieille demande des acteurs des droits de l’Homme au Maroc. Les enregistrements par vidéos des déclarations des mis en cause accordent une crédibilité à tout l’appareil judiciaire en assurant les garanties nécessaires à tous les justiciables d'avoir des procès transparents et justes», souligne Abdelali Hamieddine, le président du Forum de la Dignité.
A la question de savoir si ce projet de Ramid est la réponse du gouvernement aux observations du rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Juan Mendez, sur les violations des droits des accusés notamment en période de garde à vue, Hamieddine estime que le Maroc est dans l’obligation de tenir compte du rapport préliminaire de Mendez. «Si c’est pour améliorer la justice dans notre pays, ces observations sont le bienvenues».
L’AMDH insiste sur la présence indispensable de l’avocat
«Qu’il y ait enregistrements par caméras ou non, ça ne limitera pas la pratique systématique de la torture au Maroc lors des interrogatoires. Ce qu’il faut, en revanche, est la présence indispensable de l’avocat avant toute prise de dépositions. C’est la seule garantie à même d’éviter aux mis en cause de subir des exactions dans les locaux de la police», nous indique Khadija Riyadi, la présidente de l’AMDH. «La demande de l'’enregistrement ne date pas d’aujourd’hui mais remonte à quatre ou cinq ans. Les militants des droits de l’Homme l’avaient proposée avant qu’il ne soit abandonnée», se rappelle-t-elle.
L’avis de l’avocat
Même son de cloche chez Me Tahar Abou Zaid. Cet avocat du barreau de Marrakech nous confie que «les caméras ne suffisent pas. C’est la présence de la défense lors de la préparation du PV dans les locaux de la police qui garantit un interrogatoire propre et juste». Et de reconnaître que «certes la nouvelle procédure pénale accorde le droit au mis en cause d’aviser sa famille de sa détention et de refuser de répondre aux questions des policiers mais la réalité est bien différente de ces déclarations de bonnes intentions».
La cause selon Me Abou Zaid est «la mentalité sclérosée des personnes chargées des interrogatoires qui refusent obstinément d’informer les détenus de leurs droits et ne croient nullement à la présomption d’innocence». Les dépassements et la torture sont souvent pratiqués durant la garde à vue. Pour éviter la répétition de ce scénario, notre avocat préconise «la présence de membres des délégations régionales du CNDH (Conseil national des droits de l’Homme) pendant les 48 heures de garde à vue».
Le projet de Mustapha Ramid est, dans l’ensemble, une initiative louable. Seulement, il faut reconnaître que des obstacles se dressent devant sa réalisation dont la principale demeure : l’incompétence du ministre de la Justice à imposer des normes sur le corps de la police, lequel ne dépend pas de son autorité mais de celle de son collègue à l’Intérieur.