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Interview

Maroc : Le patrimoine de Marrakech entre préservation et «ravages de la rénovation»

Si la ville ocre fête cette année le centenaire du premier Dahir préservant sa place mythique, d’autres monuments, en cours de restauration ou ayant déjà été réhabilités, font face à plusieurs défis, dont la rénovation qui tend souvent à remplacer la restauration. Le constat de Jaafar Kansoussi, président de l’association Al Muniya de Marrakech, spécialisée dans le patrimoine.

 
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Photo d'illustration. / DR
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Il y a un siècle, en 1922, un Dahir sultanien classait la place Jamaa El Fna parmi les monuments historiques et interdisait la construction dans plusieurs parties de cette zone. Quel a été le contexte de ce texte ?

Il y a eu plusieurs décrets antérieurs à celui de 1922, comme celui de 1912. Dans la revue «Les Bulletins du Patrimoine de Marrakech et de sa région», nous avons d’ailleurs consacré un numéro en deux tomes à la Place Jamaa El Fna. L’objectif étant d’accompagner le chantier royal de réhabilitation et de la valorisation de la médina, par une réflexion et par des propositions. La société civile a fait beaucoup pour la prise de conscience autour de l’importance du patrimoine de par sa place et son statut d’observateur.

Le décret de 1912 s’intéresse au patrimoine du Maroc. Quelques mois après la signature du Traité de Fès, le général Hubert Lyautey, premier résident général, a toute de suite montré un intérêt pour les monuments et les médinas et ce qu’on appelle aujourd’hui le patrimoine.

Selon vous, comment ce texte a-t-il contribué à la préservation de la place mythique ?

Si le protectorat a tenté de produire des documents réglementaires, c’est qu’il a constaté une sorte de saccage de la place Jamaa El Fna à l’époque. Selon une étude publiée dans notre revue par l'architecte Élie Mouyal, la place comptait presque 26 hectares. Lorsque le protectorat a essayé de procéder à la protection de la place mythique, elle avait déjà perdu presque 80% de sa superficie.

L’espace, appelé il y a siècle Rahba Al Kobra, changeait et le périmètre s’atrophiait. Le sultan Moulay Youssef promulgue ainsi le Dahir de 1922 non seulement pour préciser la forme de la place mais également l’esprit qui devait la maintenir à un degré d’authenticité. C’était en fait une tentative de freiner une européanisation en marche mais le changement en profondeur était déjà consommé. Il y avait déjà des demeures des notables de Marrakech, ceux des européens ainsi qu’un consortium d’intérêts franco-marocains. Ce dernier achetait des terrains, construisait des fondouks et édifiait l’imposant quartier dont la figure de proue est le siège de Bank Al Maghrib de la place. Le décret est donc venu arrêter les dégâts puisque 3/4 de la place étaient occupés par de nouvelles constructions.

Les autorités locales procèdent souvent à des opérations de restauration et de préservation. Quel constat faites-vous de ces chantiers où souvent la restauration laisse place à la rénovation ?

L’Etat a fait un effort plus que louable mais l’exécution laisse souvent à désirer. Au sein de la société civile, nous avons bataillé pour connaître le patrimoine, le désigner et prendre conscience de son importance pour procéder à des études avant la mise en œuvre de sa restauration. Aujourd’hui, nous constatons que la rénovation remplace la restauration. C’est, hélas, un fait. Cela est dû à plusieurs facteurs. Souvent, les entreprises s’occupant de l’opération de restauration n’ont pas les qualifications requises pour d’abord étudier puis restaurer dans les règles de l’art. Ces entreprises viennent du domaine de construction moderne avec ciment et béton armé pour procéder à la restauration d’un tissu urbain traditionnel pluricentenaire.

Jaafar Kansoussi, président de l’association Al Muniya de Marrakech. / DRJaafar Kansoussi, président de l’association Al Muniya de Marrakech. / DR

De plus, très souvent, nous confions ces chantiers très sensibles et très spécifiques dans les tissus urbains traditionnels à des jeunes architectes et ingénieurs qui méconnaissent les médinas. Celles-ci semblent avoir été délaissées dans l’imaginaire de jeunes architectes, sans une vraie maîtrise et une véritable expertise dans la restauration adéquate et spécifique des bâtiments anciens.

Il y a aussi la disparition des grands Maalems ainsi que d’autres facteurs…

En effet, au même moment du lancement du chantier royal de la valorisation de huits médinas actuelles, nous avons perdu de grands Maalems des arts traditionnels ; ceux qui sont issus des corporations artisanales ainsi que ceux qui appartenaient à des dynasties et étaient eux-mêmes fils et petits-fils de Maalems. Il y a donc eu une rupture de tradition essentiellement dans l’art de bâtir. Nous le déplorons, d'autant plus que nous n’avons pas su préparer la nouvelle génération de Maalems.

Aussi, si la construction et ses techniques traditionnelles prennent du temps, il faut prendre le temps et ne pas précipiter les choses pour faire un bon travail. Le temps accordé à la restauration d’un patrimoine est long. Nous ne pouvons pas mettre des délais de six mois pour restaurer un monument.

Pour palier à ces défis, notre association suggère à ce qu’il y ait, selon les besoins de chaque médina, une réponse à ces problématiques. Par exemple, Marrakech a besoin d’une Fondation de la médina, qui regrouperait les responsables de l’administration, la représentation des élus, les experts et les personnalités de la ville. Nous pensons que si tout le monde avait apporté son expertise, on aurait fait les choses autrement.

A Marrakech, existe-il encore des monuments qui n’ont toujours pas bénéficié d’une restauration ?

Il y en a, en effet. A El Ksour, l’un des plus vieux quartiers de Marrakech, il existe une maison appelée «Dar Achorafaa Al Massaoudiyine». Cette maison habous est une réplique de la Medersa de Ben Youssef. Aujourd’hui, elle est dans un état déplorable et menace ruine. Notre association Al Muniya appelle à ce que cette maison, construite autour du XVIe siècle soit restaurée. Il y a urgence de la sauver et de la restaurer dans le cadre du chantier historique inauguré par le Roi. Marrakech intramuros représente plus de 30 000 bâtiments selon certains recensements. Il reste donc beaucoup de riads et de maisons à restaurer.

Sur la question de préservation du patrimoine, un riad datant de XVIIIe ou du XIXe siècle a la même importance que la petite maison modeste aux fins fonds d’un Derb. Si cette Douiriya témoigne pour notre histoire, il faut la préserver et la restaurer au même titre que le riad Dar El Bacha ou un autre puissant ayant vécu il y a trois ou quatre siècles. Nous avons dans nos médinas des merveilles qui racontent notre histoire.

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