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Grand Angle  

Avec des barrages remplis à 29,2%, le Maroc connaît la pire sécheresse de son histoire

Les années 1980 et 1990, connues pour leurs pics historiques de sécheresse, ont souvent été un indicateur comparatif pour connaître la situation des ressources hydriques au Maroc. Mais l’année 2022 a changé cette configuration, puisqu’elle boucle désormais une nouvelle période de pénurie hydrique extrême pour le pays, depuis la seconde moitié du XXe siècle et l’âge d’or de la politique des barrages.

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Photo d'illustration / Ph. Fadel Senna - AFP
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Jusqu’au 18 juillet 2022, la moyenne nationale du taux de remplissage des barrages principaux au Maroc a été de 29,2% seulement, soit une baisse de presque la moitié, en comparaison avec le même jour (45,2%) en 2021, ou encore en 2020 (44,4%). Le chiffre s’éloigne de plus en plus des 53,8% enregistrés à la même date en 2019. Dans un contexte déjà marqué par une quatrième année consécutive de faible pluviométrie, en plus des dérèglements climatiques, le ministère de l’Equipement et de l’eau a publié récemment un document relatif à la situation actuelle et aux mesures d’urgence prises. Il renseigne sur le fait que l’année 2021 constitue «la quatrième année la plus chaude depuis 1981, après 2020, 2017 et 2010». «La température moyenne a dépassé celle de la norme pour la période 1981-2010, à hauteur d’environ 0,9°C», indique le département.

Dans ce document consulté par Yabiladi, d’autres constats sur la même période sont alarmants. Depuis septembre 2021, le pays a connu des précipitations qui ont oscillé en moyenne entre 11,5 et 325 millimètres, «ce qui constitue un déficit estimé à 50% au niveau national, par rapport à la moyenne pluviométrique normale de cette période». Plus grave encore, la superficie enneigée a sensiblement reculé au cours de la période 2018-2022, puisqu’elle est passé d’une valeur maximale de 45 000 kilomètres carrés en 2018 à seulement 5 000 en 2022, soit un déficit d’environ 89%. Le nombre de jours de neige, lui aussi a considérablement baissé, passant de 41 en 2018 à 14 en 2022, soit une diminution de 65% en 4 ans.

Les indicateurs de pluie et de remplissage dans le rouge

Par conséquent, le volume des rentrées en eau depuis septembre 2021 s’élève à environ 1,83 milliards' de mètres cubes, ce qui représente un déficit de 85% par rapport à la moyenne annuelle. Le ministère confirme que la période de 2018 à 2022 a connu «une succession d’années de sécheresse, avec respectivement des déficits annuels de 71%, 59%, 59% et 85%». La situation alarmante s’illustre notamment par le fait qu’un barrage comme celui de Sidi Mohamed Ben Abdellah, à Rabat, enregistre cette année «les plus faibles rentrées d’eau de son histoire», soit 51 millions de mètres cubes, représentant «un déficit de 93% par rapport à sa moyenne annuelle».

Par le passé, le taux de remplissage des barrages principaux n’aura jamais été de moins de 31%. Ce chiffre a souvent été enregistré durant les périodes de sécheresse accrue, observées en 1980-1985, 1990-1995, 1998-2000 et 2001-2002. Celle de 2018-2022 constitue ainsi la pire sécheresse jamais vécue en 40 ans, avec un total d’entrées en eau équivalent à 16,7 milliards de mètres cubes, en-dessous du triste record déjà historique de 17,6 milliards (1991-1995). Le département alerte aussi que «tous les bassins versants connaissent un déficit important, qui affecte l’approvisionnement en eau, à commencer par les barrages pour répondre aux besoins».

Contacté par Yabiladi, Fouad Amraoui, professeur-chercheur en hydrogéologie à l’Université Hassan II de Casablanca confirme que les dérèglements climatiques ayant eu comme effet les premiers pics de sécheresse au Maroc se sont ressentis à partir des années 1980. «Sur cette décennie-là, nous avons eu deux séries récurrentes. Lorsque trois ou quatre ans de sécheresse se suivent de manière consécutive, les effets négatifs s’accumulent et les conséquences sont encore plus lourdes», explique-t-il. A chacun de ces épisodes, «la situation a eu comme conséquence qu’en milieu rural, la production agricole a été très maigre, surtout au niveau des céréales».

«Nous savons que ces cultures bours s’appuient surtout sur les précipitations de pluie», souligne le professeur, rappelant qu’«une bonne récolte céréalière est toujours tributaire de l’importance des pluies sur deux périodes de l’année, entre novembre et décembre puis mars et avril». «Durant ces dernières années de sécheresse, les premières pluies arrivent tardivement et le deuxième pic n’a souvent pas lieu, ce qui impacte les rendements céréaliers». Selon Fouad Amraoui, «la moyenne de la récolte annuelle varie entre 20 et 25 millions de quintaux, mais peut se multiplier par quatre avec un record de 110 millions, en cas d’abondance des pluies». Cette année, il estime le rendement entre 25 et 30 millions, «ce qui est un indicateur important sur la situation climatique actuelle».

La sécheresse s’accroît, de même que la demande en eau

Ce qui change désormais des situations de sécheresse vécues depuis les années 1980, outre le fait que celle de 2022 soit sans précédent, «c’est que la demande en eau s’est accrue aussi, par le fait du développement de la population générale en nombre et de la multiplication des activités humaines, à commencer par l’agriculture, l’industrie, puis l’utilisation des ressources hydriques à d’autres fins diverses», souligne Fouad Amraoui auprès de Yabiladi, illustrant une situation encore plus alarmante.

«Nous sommes aujourd’hui une population de près de 38 millions de personnes et nous avons développé beaucoup de programmes agricoles, touristiques et industriels très gourmands en eau, en plus des utilisations domestiques quotidiennes», rappelle-t-il.

«Si on compare le taux de remplissage de barrages à ce jour, avec le chiffre de l’année dernière à la même date, nous allons réaliser que le Maroc connaît un déficit d’une moyenne de deux milliards six-cent millions de mètres cubes. C’est l’équivalent des besoins en eau potable sur treize années, pour les cinq millions d’habitants que compte une région comme le Grand Casablanca à elle seule.»

Fouad Amraoui

Toujours est-il qu’à l’échelle régionale, le chercheur rappelle qu’il existe des contrastes importants au niveau du taux de remplissage, «avec des barrages à 95% dans le nord du Maroc, et d’autres plus au centre ou vers le sud qui sont pratiquement à sec». «Cela veut dire que certaines villes n’auront pas de problème à donner des dotations agricoles, vu que l’eau du barrage, dirigée prioritairement à la consommation d’eau potable, est assez abondante pour couvrir les périmètres irrigués et les zones habitées», souligne-t-il. «Mais ce ne sera pas le cas, pour des régions comme Tadla, Tensift et le Souss, où la priorité et l’urgence seront d’abord l’accès des populations à l’eau potable», prévient le spécialiste.

Cet été, plusieurs villes ont mis des restrictions sur les usages de l’eau potable, par le rationnement ou les coupures régulières, ce qui dénote du degré avec lequel le phénomène pèse sur certaines populations en milieu urbain. «Ceci nous dit que la sécheresse et la problématique de la disponibilité de l’eau potable ne concernent plus seulement le monde rural, même qu’elles deviennent encore plus importantes dans le monde urbain», analyse Fouad Amraoui.

100% des nappes phréatiques au plus bas

Cette situation représente un risque de «recours accru au forage pour remplacer les dotations agricoles, sachant que nos nappes phréatiques sont toutes en grand déficit, au niveau de 100% du territoire national et que seulement 30 parmi elles ne sont pas entièrement asséchées», prévient encore le chercheur.

«Il est plus qu’urgent de sensibiliser la population à l’économie de l’eau et questionner nos pratiques, afin de tenir au moins jusqu’au mois de novembre, en espérant que des précipitations pourront, à ce moment-là, estomper un tant soit peu le déficit.»

Fouad Amraoui

Le spécialiste rappelle qu’«une nappe souterraine est un système dynamique, qui doit recevoir chaque année une certaine quantité d’eau». Or, ce système censé être naturel pour contribuer au cycle de l’eau est inversé, au vu de la rareté des ressources hydriques en surface. Au Maroc, «les prélèvements d’eau souterraine ont quasiment toujours été plus importants que ce qui arrive à ces réservoirs naturels», selon Fouad Amraoui.

En d’autres termes, «nous avons fréquemment puisé dans des réserves permanentes», sachant que «les nappes connaissent toutes des baisses, variant de 0,5 à 3 mètres par an, avec certaines qui ont été complètement vidangées», estime le chercheur.

«C’est un réel défi, malgré l’existence d’une loi sur l’eau. Si on arrive d’abord à faire respecter par tout le monde les lois déjà en vigueur, dans un esprit civique et responsable partant de l’idée que l’eau est un bien collectif, cela peut contribuer au maintien des ressources, sur les plans quantitatif et qualitatif.»

Fouad Amraoui

Dans tous ces cas de figure, «la sécheresse impacte le rendement agricole, ce qui est rattaché à l’emploi dans un secteur principal de notre économie, et ce qui risque d’accélérer encore plus les mouvements des populations vers les villes», constate encore le spécialiste, en soulignant que le phénomène de l’exode rurale a souvent connu ses pics durant les années de rareté de l’eau. «A travers le monde, ces périodes marquent souvent aussi un regain des tensions sociales, avec une multiplication des revendications à caractère socio-économique. Le volet sociologique du phénomène et la sécheresse et du stress hydrique, ainsi que celui globalement des dérèglements climatiques, doivent bénéficier d’un grand intérêt», ajoute-t-il.

Le Maroc devient moins bon en politique de l’eau

Jusqu’à il y a quelques années, le Maroc a été «un très bon élève en termes la mobilisation des ressources en eau, au niveau régional arabe, africain et méditerranéen», nous déclare Fouad Amraoui. «Le pays a su développer une agriculture à grande échelle, faciliter l’accès à l’eau potable… Avec des périodes de sécheresse de plus en plus longues et rapprochées, des stratégies ont été mises en place, avec des études de faits et prospectives sur la base d’un bon diagnostic. Mais l’implémentation des programmes fait souvent défaut», constate-t-il.

«Il faut savoir aussi que l’infrastructure liée à l’eau est coûteuse. En période de crise sanitaire, comme celle que nous avons connue depuis 2020, les décideurs revoient les priorités et privilégient en urgence certains secteurs, comme celui de la santé. On ne peut donc pas nier que parmi les conséquences de la pandémie de la Covid-19, beaucoup de programmes relatifs à l’eau ont été différés.»

Fouad Amraoui

«Nous pouvons avoir de grandes ambitions en matière de politique de l’eau, mais qui s’avèrent difficilement réalisables en un temps court, au vu du contexte général où elles seront mises en œuvre», explique Fouad Amraoui. Gardant espoir, il estime que «nous traversons une année difficile et sans précédent, mais elle doit constituer un moment où on peut trouver et mettre en œuvre les bonnes solutions». «C’est possible, car nous maîtrisons les enjeux liés au stress hydrique dans le pays et nous savons comment les choses vont évoluer, dans les années à venir», insiste-t-il.

«Nous avons une marge de manœuvre, mais qui doit être investie, à commencer par la récupération des eaux pluviales, l’amélioration des rendements des réseaux dans les villes et une meilleure réutilisation des eaux usées traitées, notamment dans l’irrigation des zones agricoles et la réinjection dans les nappes phréatiques. Il faut procéder au passage d’une gestion de l’abondance de l’eau à celle de sa rareté.»

Fouad Amraoui

Revenant sur la question du dessalement de l’eau de mer comme l’une des solutions d’urgence, entreprises notamment par le ministère de tutelle, le chercheur et universitaire rappelle auprès de Yabiladi que de nombreux pays en manque d’eau ont déjà eu recours à cette technique, dans le Moyen-Orient et dans le bassin méditerranéen. Au Maroc, cette approche est pensée dans un contexte où «on assiste à une urbanisation galopante des zones côtières», souligne-t-il.

«Ces régions urbaines s’agrandissent, nous sommes une population urbanisée aujourd’hui à 60% dans le pays, avec une perspective d’évolution vers 70% d’ici 2035-2040. Cela veut dire que la demande en eau en milieu urbain continuera de s’accroître. Puisque la ressource conventionnelle n’est plus suffisante, on est obligé d’envisager un dessalement», indique encore Fouad Amraoui.

Toujours est-il que, selon lui, cette option «doit venir en appoint et non pas en remplacement de l’accès à l’eau conventionnelle». Pour le professeur, il doit s’agir plutôt d’un outil qui aide à atteindre des objectifs fixés à des horizons donnés, d’ici 2050.

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