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Grand Angle  

Diaspo #243 : Mohamed El Aboudi, artisan du film documentaire entre la Finlande et le Maroc

Résident à l’étranger depuis plus de 30 ans, Mohamed El Aboudi a sillonné plusieurs régions du monde. Il a résidé d’abord en France, en Finlande, en Australie, avant de s’installer définitivement en Finlande. Toujours proche du Maroc, le réalisateur a pris part au Salon international de l’édition et du livre (SIEL, du 3 au 12 juin), dans le cadre de la programmation cinéma du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME).

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Le réalisateur maroco-australo-finlandais Mohamed El Aboudi / Ph. Helsingin Sanomat
Temps de lecture: 6'

Depuis au moins 33 ans, Mohamed El Aboudi réside à l’étranger, à la poursuite d’un rêve de jeunesse : celui de documenter des histoires humaines, caméra à l’épaule, pour donner lieu à des productions de renommée mondiale. Réalisateur de courts-métrages de fiction et de documentaires télévisés dans un premier temps, il s’est tourné finalement vers le cinéma du réel au format long. Dans le cadre de la 27e édition du Salon international de l’édition et du livre (SIEL, du 3 au 12 juin) à Rabat, il a pris part aux activités prévues par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), dans le cadre de la programmation cinématographique. Le cinéaste a présenté une projection-débat de son dernier documentaire, «L’Ecole de l’espoir».

Mohamed El Aboudi ressent toujours une fierté à partager ses documentaires, en particulier dans son pays de naissance, se souvenant avoir «commencé à travailler sur des films documentaires par hasard». «Quand j’étais en Australie, j’ai fait des études en film et télévision, mais pas avec l’objectif premier de faire des documentaires. D’ailleurs, je n’ai pas débuté en Australie, mais en France, puis la Finlande, puis l’Australie, pour retourner encore en France et enfin en Finlande, où je vis depuis près de 33 ans maintenant», a-t-il déclaré à Yabiladi.

De la sémiologie du cinéma au cinéma du réel

Natif de Ouezzane, Mohamed El Aboudi grandit auprès d’un père enseignant «très attaché à l’éducation et à l’instruction de ses enfants». Dans le cadre de sa licence en sémiologie du cinéma et du théâtre à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, Mohamed consacre son mémoire de fin d’études aux influences du théâtre de Berthold Brecht sur le théâtre arabe, avec le poète et metteur en scène égyptien Najib Sorour comme cas d’étude. Il s’émerveille pour les arts de scène, surtout le père des arts et le septième art. Il décide de continuer un master en France, pour approfondir sa recherche dans la sémiologie du film.

Avant de s’y mettre pleinement, il suit des cours pratiques en cinéma avec des cursus en ethnologie et en techniques de réalisation, pour renforcer son bagage théorique et pratique. «C’était difficile en même temps, car je n’avais pas de bourse d’études. Je venais d’une petite ville et je n’avais personne en France. J’ai dû travailler en parallèle dans la plonge pour financer mes études», nous confie-t-il.

Avant de partir en France à la fin des années 1980, la Finlande a été un rêve lointain chez Mohamed El Aboudi, curieux de découvrir un ailleurs totalement différent de son environnement habituel en Méditerranée. Vu les difficultés pour financer ses études en France de manière pérenne, Mohamed El Aboudi tient à parachever son inscription auprès de l’université de Helsinki. Pour cela, il décide de voyager en Finlande depuis Paris.

Contre toute attente, la chance lui sourit rapidement. «Mon professeur d’art moderne à l’université de Helsinki, qui était par ailleurs à la tête d’un musée, m’a repéré parmi ses étudiants. Il a proposé de m’associer à un projet artistique et académique qu’il a voulu exposer en Espagne. Dans mon élan de motivation, je lui ai suggéré de le présenter directement au Maroc. Nous avons fait part de l’initiative au ministre marocain de la Culture à l’époque, Mohamed Benaissa. Il a tout de suite accueilli et soutenu le projet pour l’exposer pendant dix jours à Rabat», nous confie-t-il.

De la Finlande à l’Australie et vice versa

Mais les choses n’ont pas été aussi faciles en Finlande, surtout avec la barrière de la langue. «Plutôt que de m’approfondir davantage dans la sémiologie du cinéma, j’ai finalement rejoint une école de réalisation, car j’ai voulu me lancer rapidement dans l’industrie du film. J’ai fait un court-métrage qui m’a fait gagner un prix lors d’un festival très connu en Finlande, j’ai rencontré des professionnels du cinéma australien dans le même cadre et ils m’ont proposé de rejoindre le pays», nous raconte Mohamed El Aboudi. Il introduit alors sa demande de migration vers l’Australie. Il obtient une réponse favorable au bout de quelques mois, avec acquisition de la nationalité australienne.

Une fois au sud du globe, le réalisateur travaille d’abord comme doorman pour un grand restaurateur italien, afin de financer la suite de ses études en film et télévision. «Après quelque temps, je me suis inscrit à l’Université Bond, la plus ancienne de toute l’Australie, où nous avons eu de prestigieux professeurs dans les filières de cinéma, tous passés par Hollywood», se rappelle-t-il. «J’ai été classé parmi les trois premiers, à la fin du premier semestre, et j’ai donc bénéficié d’une prise en charge totale pour la suite de mon cursus», se souvient-il avec fierté.

Au gré de sa curiosité, Mohamed El Aboudi décide de repartir vers l’Europe, son diplôme à la main. Avant cela, il fait escale au Maroc pour réaliser un court-métrage de fiction à Larache. Intitulé «Birthday», l’opus lui permet de faire son grand retour en Finlande et d’intégrer la télévision publique par la grande porte.

«J’ai fait plusieurs autres films et documentaires sur les diasporas arabes en Finlande, notamment les artistes et écrivains syriens dans les années 1990. Au début, je ne connaissais pas grand monde et je n’avais pas un cercle d’amis, donc la préparation et la diffusion de mes productions étaient de grands moments de solitude pour moi. Je vivais cette joie sans pouvoir la partager avec des connaissances qui me feraient des retours.»

Mohamed El Aboudi fait rapidement ses preuves, en création comme en capacité de répondre aux attentes des formats privilégiés par la télévision en Finlande. Il y travaille pendant dix bonnes années, au sein du département culturel, pour la production et la réalisation de tous types de formats documentaires. «J’ai été finalement le représentant de la Finlande au sein de la European Broadcasting Union (EBU). Vu que les professionnels du secteurs n’étaient pas habitués à la diversité issue d’Afrique du Nord dans leur milieu, à ce moment-là, mes amis de métier s’amusaient à m’appeler ‘Mohamed de la Finlande’», se souvient-il avec sourire.

Très porté sur les parcours humains originaux et diversifiés, Mohamed El Aboudi axe sa réalisation sur le documentaire en format long, en dehors de la télévision. Depuis 2008, il s’y consacre entièrement et prend son temps pour travailler ses sujets, de l’écriture à la réalisation, dans le cadre de sa société de production. «Pour avoir longtemps travaillé à la télévision, je suis toujours resté en contact avec le secteur audio-visuel public en Finlande, où mes projets obéissent souvent aux exigences et aux attentes du pôle et sont donc pris par mérite», indique-t-il.

Billet de retour au Maroc

Le terrain de la réalisation documentaire a récemment amené le réalisateur à replonger dans son enfance passée dans la région de Ouezzane et dont il dit garder «de bons souvenirs, surtout de l’école dans le milieu rural». «Nous avons vécu une belle enfance entre gamins, malgré la dureté des conditions sociales, financières, en termes d’accessibilité. Pour nous, l’école était une véritable institution d’éducation, de formation et un repère de création du lien social à grande échelle. J’étais en même temps très gâté par ma grand-mère, qui me fascinait avec ses histoires et ses contes, et qui nourrissaient mon imaginaire dès le jeune âge, en plus des halqas que nous avions à Ouezzane», se rappelle-t-il.

«L’Ecole de l’espoir», le dernier documentaire de Mohamed El Aboudi plusieurs fois primé internationalement, sonne dès lors comme une madeleine de Proust. Il évoque la question de l’accès à l’éducation, surtout chez les tribus nomades au Maroc, celle des Oulad Boukais comme exemple vivant. «Je n’imaginais pas que des enfants, aujourd’hui, vivaient encore les mêmes conditions que celles de l’enfant que j’étais, il y a une quarantaine d’années, avec en plus la détérioration du système public de l’Education nationale», nous confie-t-il. «J’ai fait ce film pour défendre un autre vécu qui doit être rendu possible à ces enfants et non pas pour porter un regard misérabiliste sur des réalités qui peuvent et qui doivent changer», insiste le cinéaste.

Passionné par les questions culturelles et sociétales, Mohamed El Aboudi estime que le fil rouge des thématiques abordées dans ses documentaires reste l’universalité. «Ces films touchent clairement l’universel. Ayant vécu à l’étranger pendant plus de 30 et dans plusieurs pays où je me suis intégré pleinement à chaque fois, je continue d’appartenir au tissu social marocain, mais je regarde la société marocaine de l’extérieur en même temps. Cela permet d’avoir une force de regard et une vision plus aiguisée sur les changements intérieurs qui surviennent ici», explique-t-il.

«Nos problématiques sociétales locales nous disent, en définitive, qu’il existe des préoccupations universelles et communes à nous tous, humains à travers le monde, car elles transcendent les langues, les environnements, les croyances, les constructions sociales, notamment sur des sujets intimes, de la famille ou liés aux questions de bienveillance, de la figure de la mère, les thématiques de solidarité et l’accomplissement de soi, dans les processus de sortie d’épisodes traumatiques, individuels et collectifs.»

«Les personnes que je filme dans mes documentaires sont les citoyens de tous les jours, petits et grands, à la marge de nos sociétés, ces oubliés des constructions normées qui s’adressent à l’humain en nous. Ce sont ces gens-là que j’aime mettre en avant, qui m’inspirent grandement et qui sont à la fois des leçons d’humanité et d’humilité pour nous, qu’ils soient Marocains, Finlandais, de diverses origines arabes, africaines, ...», indique le réalisateur.

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