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Interview

Touria Arab-Lebondel : «Face aux injonctions d’avoir les idées tranchées, un ado a besoin de nuances» [Interview]

La psychologue franco-marocaine Touria Arab-Leblondel participe pour la première fois au Salon international de l’édition et du livre (SIEL) en tant qu’auteure. Dans le cadre des activités du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) lors de ce rendez-vous, elle a présenté son roman, un livre de jeunesse qui se lit de 7 à 77 ans. «Hana Thierry, les hirondelles et autres noms d’oiseaux» (éd. Milan) questionne le monde à hauteur d’adolescent, à travers une héroïne issue de l’immigration marocaine.

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Touria Arab-Lebondel, auteure du roman «Hana Thierry, les hirondelles et autres noms d’oiseaux» (éd. Milan) / Ph. CCME - Awacer TV
Temps de lecture: 4'

Quelle est l’histoire qu’on découvre dans votre livre ?

C’est l’histoire de Hana Thierry, une jeune fille de treize ans, qui vit dans la commune de Saint-Vincent-sur-Loire et qui va intégrer un collège, dans le quartier Les hirondelles. Elle va rencontrer d’autres enfants issus de la diversité. Mais elle est l’une des rares de cette commune-là à rejoindre ce collège, qui est un établissement de secteur. Elle a fait le choix de l’enseignement public, incitée par ses parents à choisir cette carte scolaire.

C’est l’aventure de Hana, mais c’est aussi la rencontre avec Zoulikhan, Zineddine, Malik, Nawel, Falila… Toutes ces personnes ont des univers singuliers et des trajectoires particulières, à la contrée de la manière dont l’héroïne va se forger son identité, à la croisée aussi de plusieurs autres identités. Je souhaitais réellement parler de cette question de double culture, sur des territoires où tout est diversité, à l’âge de l’adolescence où l’on apprend à se construire.

Comment avez-vous adapté le langage de votre écriture, afin d’interpeller les jeunes lecteurs sur des questions complexes comme l’identité, la violence, le rapport à la famille ?

La littérature de jeunesse est très relue par un comité désigné, étant donné que ses auteurs ont une part dans le processus d’éducation des jeunes lecteurs. Dans ce sens, j’ai choisi de ne pas nommer certaines choses ou certains concepts, mais de les suggérer. Il y a beaucoup de pointillés dans mon écriture, afin de laisser les jeunes se faire leurs propres opinions. J’ai rarement mis des idées posées, de manière définitive. Auquel cas, je mets toujours du contradictoire, une confrontation des idées, un contre-avis, une position différente, de la part de l’enseignant ou d’un autre élève.

L’objectif de ce roman est de travailler sur les questions de préjugés et de stéréotypes, mais aussi de construire un esprit critique. L’idée est que les enfants – et les adultes – qui lisent ce roman gardent à l’esprit qu’à partir du moment où ils se placent dans des positionnements différents, ils n’auront pas forcément le même avis à chaque fois. Je trouve qu’il y a souvent, dans notre monde, des injonctions à avoir un avis tranché et des positions marquées, concernant des sujets comme la religion, le multiculturalisme, l’intégration…

On demande à avoir des positions tranchées, alors qu’à l’âge de l’adolescence, ce n’est pas souvent le cas. Je m’en suis rendu compte avec mes enfants, pour qui je posais des concepts, en termes de valeurs éducatives. Par la suite, j’ai réalisé que ce n’était pas si simple que cela pour eux. Il fallait apporter de la nuance, relativiser certains points de vue. Le message que je voudrais donc faire passer à travers ce roman, c’est qu’il est important de développer un esprit critique, lutter contre les préjugés, notamment en se décentrant un peu de ce que l’on est, essayer de regarder la société en miroir.

Je l’ai adapté dans mon langage, à travers les personnages, notamment des élèves à travers lesquels j’ai pu parler du stress post-traumatique dû à une guerre, un conflit armé ou la violence de l’exil et ses conséquences, ainsi que les incidences physiologique et physiques sur des personnes. Je ne nomme pas nécessairement les choses, mais je les explique dans un registre de langue des jeunes, en utilisant aussi une écriture imagée.

Il y a une part autobiographique dans ce livre, mais ce dernier reste un roman avant tout. Pourquoi avoir opté pour cette forme d’écriture ?

Avant d’écrire ce livre qui a été édité, j’ai écrit un récit de vie sur mon père, et où j’ai traité du voyage mortuaire que nous avons fait, pour inhumer sa dépouille au Maroc. Ce voyage a duré six jours. Je suis de l’école sociologique d’Annie Ernaux, qui a construit son travail sur l’écriture au couteau ou l’écriture blanche. Cela consiste à s’inspirer en faisant parler la sociologie. L’idée était de parler d’une histoire singulière pour en faire quelque chose d’universel.

Sur ce roman-là, j’ai choisi l’autofiction. Je continue de m’inspirer du réel, je me suis basée sur une cohorte d’élèves avec qui j’ai travaillé pendant plus d’un an. J’ai observé, travaillé sur des faits de société, je me suis documentée. J’ai tiré des fils pour romancer le récit, afin d’avoir davantage de liberté que le récit de vie. Ce dernier implique une exigence de fidélité envers le réel et envers les lecteurs. Je ne souhaitais pas déroger sur ce premier manuscrit, qui n’est pas encore édité, mais que je vais certainement transformer, à l’issue de cette écriture-là.

Je trouve que l’autofiction à cette puissance de s’inspirer de sujets de société, tout en s’octroyant des libertés. Dès lors que c’est annoncé comme tel, ce n’est plus un engagement de fiabilité avec le réel.

Dans ce livre, on remarque l'espace important donné aux dialogues. C’est un parti pris dans la construction romanesque ?

J’ai fait ce choix de dialogues, car c’est un roman que j’ai voulu plein de vie. Je voulais qu’on se mette à la place des personnages. C’est un roman à la première personne. On le lit comme on voit un film avec caméra sur épaule. L’idée est vraiment de faire parler ces jeunes-là, ces enseignants, ces assistants de l’éducation, de leur donner la parole et de rendre toute l’histoire très vivante.

Lorsque j’arrive dans ce type d’établissements, je ressens de la vie, du dialogue, de la répartie et j’ai voulu m’amuser à faire des répliques. Pour réussir le challenge d’amener une image proche de la réalité, j’ai d’ailleurs fait lire beaucoup de ces dialogues à mes enfants et j’ai tenu compte de leurs remarques, ainsi que de leurs observations et de leurs propositions de réécrire certaines parties, en fonction du vocabulaire qu’ils se parlent entre amis à l’école.

Autant dire que mes enfants ont été mes premiers lecteurs et mes premiers conseillers d’écriture. Les jeunes comme eux sont les premiers concernés par mon livre, j’ai donc vraiment souhaité que les situations soient le plus proches de la réalité.

Puisque les dialogues prennent une part importante du roman, pensez-vous que ce dernier prêterait à une adaptation au théâtre ?

Je n’ai pas comme projet de l’adapter, mais j’aimerais beaucoup qu’il puisse être adapté en BD ou en pièce de théâtre. Récemment, j’ai rencontré des collégiens qui m’ont fait remarquer que ce roman ressemblait effectivement à une pièce, mais moderne. Ces élèves m’ont confié, une première fois, qu’ils pensaient que les écrivains n’existaient plus et qu’ils étaient contents de voir une écrivaine vivante. Cela illustre le décalage important entre les lectures imposées parfois dans les établissement et la rencontre réelle avec des auteurs issus du même milieu que ces jeunes, voire du même collège.

Au fur et à mesure de l’échange, les adolescents ont eu un grand engouement pour travailler sur ce texte et l’adapter même en anime !

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