Le Forum Pensée et citoyenneté (FPC) a organisé, ce vendredi à Rabat, en partenariat avec le Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) une table ronde sous le thème «L’enjeu démocratique face aux mutations sociétales». «L’étude des mutations sociétales du Maroc aujourd’hui est le point d’entrée naturel de toute approche visant le développement d’une conscience adaptée à la réalité sociétale», indique le FPC.
Intervenant à cette occasion, Ouafa Hajji, présidente du forum a reconnu que les dernières élections d’octobre 2021 ont confirmé la faiblesse systémique de la gauche et de son discours, rappelant que la gauche est absente de la gestion des grandes villes du royaume et n’a aucun impact dans les régions. «La gauche, qui était pionnière autrefois et a transmis le savoir pour toutes les parties, a abandonné ses responsabilités», a-t-elle déclaré, rappelant toutefois que la gauche en tant que valeurs reste présente dans les organisations non gouvernementales et le tissu associatif.
«Le mouvement progressiste et la gauche ont besoin du renouvellement et d’un nouveau souffle. Le forum ambitionne de participer modestement à l’enrichissement du projet de la gauche et créer une nouvelle dynamique d’un discours. Cela nécessite de comprendre les complexes ayant marqué le développement de la société.»
Unité nationale, démocratie et développement durable
Pour sa part, Manuel Gath, représentant résidant de la FES au Maroc a présenté l’expérience du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) qui a réussi à séduire les électeurs, en faisant appel à des récits prônant la lutte contre les inégalités et pour le progrès. Le responsable a estimé que cette expérience «peut fonctionner pour toutes les sociétés».
Abdeljalil Tolaimate, membre fondateur du Forum, a indiqué de son côté que le diagnostic et l’analyse des mutations restent la base pour construire une conscience proche d'une réalité et proposer des solutions à ses problématiques. Il a rappelé que des «projets de réformes dans différents secteurs ont été menés, sans toutefois parvenir, malgré leurs bilans, à réaliser l’ambition du développement et de la démocratie». Ces projets ont cependant provoqué «une économie de rente», des disparités et des reculs, a-t-il déploré.
Abdeljalil Tolaimate a exposé trois enjeux majeurs pour le royaume, à savoir l’unité nationale, la démocratie et le développement durable, suggérant notamment un débat national élargi sur les enjeux et les défis du Maroc d’aujourd’hui. «Il faut aussi renouveler la culture politique pour surmonter les dysfonctionnements et les pannes de l’échiquier partisan, car il n’y a pas de démocratie sans partis politique, et entreprendre des réformes éducative et religieuse profondes», a-t-il plaidé.
Professeur universitaire, Nasr Hajji a rappelé, pour sa part, que la culture est aujourd’hui «au cœur des débats, y compris démocratiques». «Le développement a besoin d’un socle qui est la culture. Celle-ci donne l’identité», a-t-il fait savoir.
Grilles de lecture, droits humains et démocratie
Ali Bouabid, délégué général de la Fondation Abderrahim Bouabid, a plaidé pour une approche empirique, appelant de son côté à poser des questions non pas à partir d’idée mais de faits. Pour lui, «la démocratie telle que nous la connaissons a besoin d’être repensée et remise en cause de façon permanente tout en gardant ses principes». Le chercheur a donné plusieurs exemples de faits sociétaux, allant des jeunes déjeuneurs arrêtés à Casablanca en avril dernier à l’Etat d’urgence sanitaire, avec ce qu’il a entraîné un «gel» des structures intermédiaires (comme les écoles et les mosquées fermées) entre l’Etat et l’individu en plaidant pour l’adoption de nouvelles grilles de lectures des mutations sociétales.
L’activiste des droits humains et militante politique Sara Soujar est revenue, quant à elle, sur les mécanismes de l’Etat créés pour freiner les libertés individuelles et collectives. «Des institutions complètes, partisanes ou de sociétés civiles, sont créées pour applaudir les pratiques anti-démocratiques de l’Etat, qui leur donne de la légitimité», a-t-elle déploré.
«Entre 2011 et aujourd’hui, l’Etat est devenu vétéran en la matière. En revanche, les dynamiques restent en augmentation alors que l’échiquier politique n’a pas encore assimilé la situation et reste donc dans une situation de blocage. Le discours de la société est toujours aussi présent mais l’acteur politique continue de produire le même discours, les mêmes slogans et les mêmes mécanismes d’analyses obsolètes.»
La militante a plaidé aussi pour un «débat sociétal claire et courageux avec tous les intervenants», une «reconnaissance des stratégies de changement et une redéfinition des priorités en plaçant la libération de tous les détenus politiques à leur tête».
Le chercheur Abderrahman El Amrani a reconnu, pour sa part, qu’ «une grande partie des politiques de gauche ont le sentiment d’être sans abri politique». «Les propositions ne sont plus convaincantes et ne répondent plus aux attentes», a-t-il ajouté, en pointant les «écarts entre les élites formées et celles présentes dans les institutions élues» et plaidant également pour de «nouvelles grilles de lectures».
La table ronde a été marquée également par un retour d’expériences de deux candidats aux élections législatives et communales dernières, à savoir Maryam Benkhouia de la Fédération de gauche démocratique (FGD) et Tayeb Laabi, sous les couleurs du Parti du progrès et du socialisme (PPS).