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Grand Angle

Au Maroc, l'obtention d'un visa français reste un calvaire

En 2019, la France accordait plus de 340 000 visas au Maroc. Depuis, le chiffre a considérablement baissé, en partie à cause de la pandémie de Covid-19 et surtout suite à la décision de septembre dernier, de réduire de moitié ses visas attribués au Maroc. Aujourd’hui, l’obtention de visas pour tout Marocain qui n’est pas étudiant ou transporteur routier est devenu un véritable calvaire et le sentiment d’injustice se mêle souvent à l’incompréhension.

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Image d'illustration. / DR
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Le 28 septembre 2021, le gouvernement français annonçait la réduction de l’octroi de visas au Maroc et à l’Algérie de 50%, tandis que les visas accordés à la Tunisie baissaient de 30%. Pour les autorités, il s’agissait d’une «décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France», comme le déclarait le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal.

Cette décision «injustifiée pour plusieurs raisons», comme l'affirmait le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, a été vivement critiquée par le bureau national Maroc des Français du Monde - l’Association démocratique des Français de l’étranger et de nombreuses associations marocaines, algériennes et tunisiennes.

Près de 8 mois après cette décision inédite, la situation n’a pas bougé et les Marocains, Tunisiens et Algériens sont toujours confrontés à un véritable parcours du combattant pour obtenir leur visa. Broyés par l’administration française, de nombreux Marocains restent dans l’incompréhension, privés de visas auxquels ils devraient avoir droit, remplissant pourtant les conditions posées par la France.

Une sélection et des motifs de refus obscures

Contacté par Yabiladi, un conseiller des Français de l’étranger a regretté être confronté régulièrement à des situations incohérentes, comme celle d’une famille où les deux parents ont obtenu un visa, mais pas leurs enfants de 5 et 8 ans. «Les consulats sont embêtés», affirme-t-il, alors qu’ils délivraient jusqu’à novembre autant de visas que possible, tandis qu’aujourd’hui, le nombre de visas est compté et certains dossiers sont prioritaires, à savoir les étudiants et les transporteurs routiers.

«Pour les gens qui s’installent en France, il n’y a aucun problème, qu’ils soient Marocains ou conjoints de français», ajoute-t-il, soulignant que le problème concerne les visas de court séjour. Pour faire son choix dans les demandes, l’administration est de plus en plus regardante et élimine d’office les dossiers avec la moindre faille. «Si le dossier n’est pas ultra carré, il est refusé», regrette le conseiller. «Il faut des factures d’hôtel ou attestations d’hébergement qui coutent 30 euros (319 dirhams) en mairie en France. Un dossier peut rapidement couter 100 euros (1 062 dirhams), sans compter des frais de transport, etc. Et si le dossier est refusé, c’est de l’argent perdu. Il n’y a quasiment aucun recours possible», précise le conseiller.

Si ces refus sont en principe encadrés et transparents, leurs motifs sont parfois très obscurs. «Il y a 8 motifs de refus, et c’est bien souvent celui selon lequel les informations communiquées sont incomplètes et ne sont pas fiables qui est coché par l’administration, sans plus de précision», commente-t-il encore.

Dans cette situation, le sentiment que l’administration s’accorde, par obligation ou par choix, une large marge de manœuvre ressort dans les différents témoignages des services concernés. Les employés des consulats ont dû, face à la réduction des visas, trouver une méthode pour appliquer les quotas. Cela passe bien souvent par le ralentissement au maximum du traitement des dossiers pour voir au dernier moment si certains sont «obligatoires». Pour les autres, il faut qu’une ouverture se présente. Dans cette configuration, peu de place est laissée aux considérations de chaque dossier, aux urgences humaines et familiales, d’autant plus que le délai de traitement et de prise de rendez-vous complique les choses.

La France accueille les investissements mais pas les investisseurs ?

Fin novembre dernier, le ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l'attractivité français, Franck Riester, assurait à Rabat la «volonté de la France d'accueillir davantage d'investisseurs marocains en France», la réalité rattrape le discours.

En effet, ces considérations économiques et d’investissement ne sont pas prises en comptes dans l’attribution des visas. «Les investisseurs marocains ne peuvent pas se rendre en France», regrette le conseiller, soulignant, outre les problèmes de business, la perte que la France subit à ne plus accueillir les cerveaux marocains.

Ironiquement, l’Espagne, qui était en crise diplomatique avec le Maroc pendant plus d’un an, offre plus d’opportunité de visas pour les ressortissants marocains, qui se rabattent vers Madrid pour l’obtention d’un visa Schengen pour se rendre en France, parfois pour des entretiens d’embauche.

Le système TLS de prise de rendez-vous

Derrière le problème de l’octroi de visas, une autre situation gangrène le processus, à savoir la prise de rendez-vous. Depuis une dizaine d’années, on note une baisse conséquente des moyens humains accordés aux consulats et la dématérialisation de la relation avec les usagers a conduit l’administration à se tourner vers le système TLS pour sa prise de rendez-vous.

Loin d’être une particularité au Maroc, ce système pose problème à travers le monde par le manque de créneaux disponibles et l’opacité de la procédure de leur mise en ligne. Aussi, tous les administrés, Français ou étranger, font face à l’absence continuelle de rendez-vous disponibles pendant de longues semaines, notamment à Londres. Après deux semaines d’essais en journée et tôt le matin, un Français au Maroc a confié à Yabiladi qu’il a dû se rendre sur le site à 1h du matin pour pouvoir obtenir enfin un rendez-vous pour renouveler son passeport, rendez-vous obtenu par chance une semaine plus tard. Le service n’était par ailleurs joignable que par mail, ajoute-t-il, mais tous les courriels entrainaient une réponse automatique.

Ce rendez-vous, il est cependant bien souvent déposé dans un délai plus proche de trente jours, sans compter le temps passé à essayer de l’avoir. Cette situation ralentit les démarches administratives jusqu’en France, où certaines communes présentent des rendez-vous deux mois à l’avance.

Face à la situation, un jeune développeur a mis en place la plateforme AmbiSlot qui permet, dans certaines villes, d’obtenir automatiquement un rendez-vous dès leur mise en ligne. Malheureusement, d’autres services couteux se sont développés sur le marché parallèle, avec notamment la vente de créneaux de rendez-vous sur les réseaux sociaux.

L’image que cela renvoie de la France est «désastreuse», regrette le conseiller français, alors que des personnes sont contraintes de payer pour bénéficier d’un service gratuit et, en principe, ouvert à tous. Ce problème sera soulevé en octobre à la prochaine réunion de l’Assemblée des Français de l’étranger, assure-t-il.

PCR, Maroc et visa, vers une amélioration du problème ?

Cette situation des visas devait évoluer en mars, affirmaient les autorités, mais aucun retour n’a été donné aux conseillers qui sont toujours dans l’ombre. Cependant, la décision du Maroc de ne plus exiger de test PCR pour l’entrée dans le pays pourrait offrir une lueur d’espoir aux nombreux demandeurs de visas.

En effet, parmi les problèmes au rapatriement des ressortissants marocains, M. Bourita avait souligné que la France ne pouvait les contraindre à subir un test de dépistage, pourtant exigé par le Maroc. La fin de ce test laisserait donc penser que le problème sur l’entrée sur le territoire marocain des personnes ciblées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) serait en partie résolu.

Néanmoins, encore faut-il que le ministère de l’Intérieur en France en prenne conscience ou que les élus remontent le problème. Reste aussi à savoir comment la question du vaccin sera abordée par les autorités françaises, marocaines et les personnes ciblées par une OQTF.

«L’administration va tout faire pour que cela évolue, ils sont sollicités tous les jours avec des vrais problèmes», souligne le conseiller des francais de l'étranger, qui note que la situation diplomatique est devenue très problématique avec cette limitation des visas.

Contacté par Yabiladi, l’ambassade de France n’a pas donné suite à nos sollicitations, ni répondu à nos questions transmises par écrit.

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