Au Maroc, l’échange de noms d’oiseaux entre responsables politiques éclipse le débat politique rationnel et la dérive marque un retour fracassant. En témoigne, l’empoignade verbale opérée à distance entre Rachid Talbi Alami, le président de la Chambre des représentants et Abdelilah Benkirane, le secrétaire général du PJD et ancien chef de l’exécutif (29 novembre 2011 - 5 avril 2017).
Le RNiste a comparé, samedi 14 mai dans un discours prononcé lors de l'ouverture du congrès de la région Rabat-Salé de son parti, son adversaire du PJD au «loup sénile» que «personne n’accorde de l’intérêt à ces vociférations répétées». Le lendemain, saisissant la tribune du congrès de la Lampe de la région Casablanca-Settat, Benkirane a répliqué violemment, traitant Talbi Alami d’«ânon».
Eloigner les citoyens des réelles préoccupations
Des dérapages qui interpellent alors que le fossé séparant les leaders politiques et les électeurs est de plus en plus abyssal. «La diffamation ne peut qu’encourager l’abstention des électeurs. Ce retour massif des insultes dans le paysage politique est une carte que certains marocains n’hésitent pas à jouer à dessein d’éloigner les citoyens des sujets sensibles, tels le développement du pays, les relations extérieurs, et la crise économique», explique, dans des déclarations à Yabiladi, Mohamed Farès, le secrétaire général du Parti des verts marocain (PVM).
«En l’absence d’une réelle audace à aborder les dossiers stratégiques du pays, les représentants de partis politiques s’adonnent, avec joie, aux insultes. Et malheureusement, ces pratiques populistes portent la signature de formations dites "grandes", ayant une forte présence médiatique et des ressources conséquentes», déplore-t-il.
Même son de cloche auprès de Driss El Ganbouri, analyste politique. «Ces invectives sont le symptôme attestant d’une part de l’absence d’une offre partisane sérieuse à même de répondre aux préoccupations des citoyens et d’autre part de la perte des partis au Maroc de leurs identités», note-t-il.
«Au lieu d’encadrer les électeurs, conformément à la mission que la constitution leur a assignée, les formations politiques se sont transformées en influenceurs sur les réseaux sociaux à la recherche de plaire aux fans par de petites phrases qui font le buzz. La presse surfe aussi sur cette vague et contribue à amplifier le phénomène au lieu de pointer du doigt ces dérives.»
Ces dérapages avaient atteint leur paroxysme lors de la période ayant suivie la victoire du PJD aux élections législatives de novembre 2011, avec dans les rôles principaux : Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement et secrétaire général du PJD, Hamid Chabat, numéro 1 de l’Istiqlal et Ilyas El Omari, homme fort du PAM avant de prendre les commandes du Tracteur en janvier 2016.