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Interview

«Déconstruire la vision eurocentrée de l’autre» pour écrire l’histoire migratoire des femmes

Spécialiste des migrations à l’Université Mohammmed V de Rabat, la sociologue Fatima Ait Ben Lmadani a présenté, vendredi 13 mai au siège du Conseil de la communauté marocaine de l’étranger (CCME), la synthèse d’une étude qu’elle a consacrée aux «Migrantes marocaines : trajectoires, itinéraires et modes d’insertion». La chercheuse défend l’urgence d’une approche intégrant la méthodologie d’historien, pour conserver cette mémoire.

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Photo d'illustration / DR.
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Dans les prochains jours, une étude intitulée «Migrantes marocaines : trajectoires, itinéraires et modes d’insertion» et réalisée par Fatima Ait Ben Lmadani sera accessible au public. Ce travail a été effectué dans le cadre de «Les notes du Conseil», nouvelle collection du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). Auteure en 2018 du livre «La vieillesse illégitime ? Migrantes marocaines ou les chemins sinueux de la reconnaissance», la chercheuse a présenté déjà une étude synthétique du travail réalisé avec le CCME.

Ce travail est le fruit d’un processus qui restitue notamment les étapes historiques de la migration des femmes, en mettant en avant plusieurs phénomènes occultés, à savoir l’émigration féminine marocaine dès les années soixante, en dehors du parcours classique du regroupement familial.

Combien de temps a duré la préparation de l’étude et quels sont les terrains qu’elle a couverts ?

La rédaction a prix six mois, mais elle s’est basée sur un travail de recherche personnel, qui est celui sur ma thèse de doctorat depuis plus de vingt ans. J’avais commencé ma thèse dans les années 2000 puis publiée dans le livre «La vieillesse illégitime ?». Je me suis basée sur d’autres chercheuses marocaines dans les pays d’immigration, comme Nassima Moujoud, Chadia Arab, Nouria El Ouali, Houria Alami Mchichi et une cinquantaine de recherches citées, en plus d’autres auxquelles je me suis encore référée.

Il y a eu aussi des références aux rapports du Haut-Commissariat au Plan (HCP), de Mohamed Berriane à la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, qui a collecté et actualisé à chaque fois les données relatives à la question de la migration marocaine. Je me suis basée aussi sur tout le travail fait lorsque j’étais chargée de mission «genre et conseil de la communauté marocaine». Il y avait un groupe de travail qui s’intéressait déjà à ces thématiques-là.

C’est dire que d’un côté, j’avais bénéficié mon travail de recherche, des contact institutionnels et associatifs, des chiffres de rapports institutionnels, pour rendre compte de cette étude.

Vous préconisez notamment de converger les approches multidisciplinaires dans les universités, pour conserver la mémoire de ces femmes, tout en inscrivant leur parcours migratoire dans une dynamique constante. Comment concrétiser cette démarche ?

J’ai insisté là-dessus car je me suis rendue compte que le travail que j’avais effectué, notamment auprès des femmes marocaines vieillissantes, mais aussi les travaux de Nadia Bourras ou Nassima Moujoud, j’ai remarqué que nous étions d’abord des sociologues et des anthropologues. En d’autres termes, nous avons fait des entretiens, mais il n’y a pas eu un travail d’historien justement sur ces questions-là, ce qu’on appelle l’histoire orale.

La question est  : Comment réellement faire un travail académique d’histoire orale qui reprend les parcours de ces femmes dans l’histoire des migrantes, mais qui la relie à l’histoire des femmes marocaines dans sa globalité ? On n’a malheureusement pas fait ce travail. L’histoire des femmes au Maroc est balbutiante. Il n’y a pas beaucoup de travaux. On se contente plutôt de relater l’histoire de quelques femmes qui ont jalonné notre histoire.

On ne connaît donc rien de l’histoire migratoire et encore moins les parcours féminins. C’est pourquoi j’appelle à un travail interdisciplinaire de restitution de mémoire et surtout de l’effectuer au plus vite, car les femmes concernées sont aujourd’hui à un âge très avancé de leurs vies, certaines sont malades ou décédées et leurs enfants revendiquent ce qu’on appelle la dette mémorielle, car on leur doit au moins cela.

Dans les perceptions du large public, la migration des femmes pose problème car leur parcours est assimilé à des idées reçues, en fonction de leur pays ou région de résidence. Comment déconstruire méthodologiquement ces stéréotypes ?

C’est un travail de longue haleine car il nécessite, d’abord, une déconstruction genrée des approches en général, indépendamment de la question migratoire. Les femmes migrantes ne font que subir l’approche que les femmes subissent en général. Un travail de sensibilisation est nécessaire à tous les niveaux, au Maroc ou ailleurs.

Il faut aussi une déconstruction de la vision eurocentrée ou euro-occidentale sur l’autre. On a l’impression que sur l’islam, sur les étrangers, les femmes qui viennent de ces pays-là sont forcément supposée être soumises ou sont dans le besoin d’être assistées, parce que nous avons une image négative de la femme musulmane, qui soi-disant ne peut pas voyager, aspirer à un accomplissement personnel, être actrice de sa vie. C’est cela qui pose problème.

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