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Interview  

FICAM 2022 : «Ma famille afghane», une tragédie humaine qui revendique la force de l’espoir

Ron Dyens, coproducteur de «Ma famille afghane», a présenté au vingtième FICAM ce long-métrage d’animation, qui montre le visage humain des individus et des membres d’une famille en Afghanistan, où de nouveaux venus tentent de créer l’espoir et la lumière de là où ils se trouvent, contre vents et marrées. Rattrapé par la grande Histoire, le film questionne la complexité de la tragédie humaine à échelle universelle.

Publié
Ma famille afghane, un film réalisé par Michaela Pavlátová
Temps de lecture: 5'

Le film que vous avez produit est inspiré de faits réels. Comment avez-vous développé cette histoire pour en faire un long-métrage d’animation ?

Le film «Ma famille afghane» est tiré d’un livre racontant en partie la vie d’une journaliste tchèque, qui a rencontré son mari afghan, puis elle l’a suivi dans son pays à lui, où elle est devenue photo reporter. Elle fait aujourd’hui de grands reportages dans plusieurs régions du monde et elle en a fait aussi à l’époque des Moudjahidines et de l’invasion soviétique en Afghanistan.

Le texte du départ, autour duquel le film s’est construit, est romancé dès le départ. Il ne raconte pas la biographie détaillée et la vie quotidienne de cette journaliste, mais il part de la rencontre avec son mari afghan. Il y a donc déjà eu une adaptation de son récit de base, dans un roman, puis une nouvelle adaptation pour l’écriture scénaristique.

L’écriture d’un roman ou d’une bande dessinée est adaptée pour son genre. Cela ne veut pas dire que transposé avec le même procédé, cela fera un film réussi. De ce fait, nous avons fait tout un travail sur la création de suspense, de temps, de descriptions des personnages de manière plus fouillée, avec un procédé de recul sur le travail d’écriture par rapport à celui de la réalisation, ce qui a fait du résultat final le fruit d’un processus collectif à travers des prismes divers.

On sent le choix délibéré de mettre en avant la complexité des situations montrées dans le film. Vous l’avez écrit en groupe dans le même esprit ?

L’idée de ce projet est de traduire le côté impuissant et inexorable de grands mouvements qui se confrontent, comme la présence permanente des Talibans, même dans la période où l’armée américaine avait la tutelle contre certaines tentatives d’aide à la santé maternelle, par exemple. Il y a plusieurs forces en action dans ce film. Il a fallu les organiser pour faire évoluer le récit, puisque nous sommes partis de l’histoire d’une famille au sein de laquelle deux personnes extérieures vont s’adjoindre : Hera, la journaliste tchèque qui s’installe à Kaboul avec son mari afghan, et Maad, un enfant souffrant qui sera adopté.

Cette famille va donc s’agrandir avec deux «corps étrangers» qui seront intégrés à ce tissu, mais avec des ressentis divers et variés chez chaque membre, individu qui n’est pas linéaire. Ce sont tous ces mélanges de différents caractères qui vont s’entrechoquer, avancer ensemble, se séparer, pour donner finalement une famille composée d’une bonne dizaine de personnes à une famille de pas plus de quatre.

Sans revendiquer un avis tranché, le film remet en question beaucoup d’aspects dans le rapport historique et politique de l’Occident à l’Afghanistan, tout en racontant une histoire familiale qui accroche un public varié. Comment concilier toutes ces complexités ?

Je pense que le plus important est de se positionner à hauteur humaine, à hauteur d’Homme. Une équipe de film – la réalisatrice, la scénariste, le producteur, les techniciens – n’est pas un chef d’État. Nous sommes en rapport avec des individus à notre hauteur. Donc, si nous pouvons changer quelque chose, ce sera à notre hauteur à nous. On concilie cette complexité parce que la réalisatrice a réussi à caractériser chacun des personnages.

Je pense que c’est à la fois la beauté et la défaite de l’humain ; tout se cristallise à notre hauteur et on peut agir, d’une certaine manière, mais cette action est microscopique par rapport à de grands courants dont on est victimes. Je pense par exemple à ce qui se passe maintenant entre la Russie et l’Ukraine, aux Russes, aux Ukrainiens et aux citoyens du monde entier qui ne veulent pas de ces guerres et qui ne les comprennent pas, ils sont nombreux. Mais il suffit d’une poignée d’autres personnes, parce qu’elles sont décideurs, pour changer radicalement les destins de milliers de personnes, parfois contre le gré et à l’opposé du bon sens.

C’est arrivé en écologie, en économie, mais les intérêts d’une minorité influencent sur une majorité, qui, toutefois, pense, ressent, a le droit de dire les choses. Toujours est-il qu’il en reste la tragédie de l’humain.

Ce film a été conçu entre deux périodes cruciales de l’Afghanistan, à savoir la chute des Talibans puis leur retour au pouvoir, en 2021. Comment sonne pour vous cette histoire, dans ce nouveau contexte ?

Je trouve que c’est toujours bizarre de se faire rattraper par la grande histoire, lorsqu’on ne fait que raconter une petite histoire. Juste avant le FICAM, le film a été projeté au festival de Stuttgart, où le projet a été présenté comme racontant une tragédie. Mais en sortant de la projection, j’ai dit à la modératrice du débat après le film que la situation en Afghanistan est devenue aujourd’hui encore plus tragique, pour les femmes, pour les enfants, pour tous les individus, notamment ceux qui veulent sortir du joug des Talibans après avoir fait partie de leurs structures.

Il est important d’appréhender sa propre culture en s’ouvrant sur le regard des gens qui n’ont pas nécessairement la même et qui vont échanger avec nous d’un point de vue différent, sans pour autant imposer les choses, de part ou d’autre. Je pense que chaque individu doit faire son propre chemin, mais en gardant à l’esprit que l’on ne peut pas le faire tout seul. Si on le fait seul, on pense qu’on a raison, parce qu’on n’a pas un autre point de vue.

Souvent, dans les échanges, on n’a pas tendance à écouter l’autre, parce qu’on part du postulat qu’on a juste. On s’en rend compte parfois quand c’est trop tard et la naissance de la tragédie, comme disait Nietzsche, prend toute son ampleur à ce moment-là. Cela nous dit beaucoup sur les rapports humains qui peuvent avoir de lourdes conséquences à la dimension d’un pays, comme c’est le cas en Afghanistan.

Il y a eu et il y a encore des situations de guerre et/ou des crises humanitaires dans plusieurs régions du monde. Pensez-vous que la situation en Afghanistan a suscité peu d’intérêt au sein de la communauté internationale ?

Les situations de crise existent en Afghanistan depuis plus de cinquante ans. Il y a toujours une forme de lassitude et d’usure qui vient avec le temps. La crise reste et persiste, mais ça devient moins prégnant au fur et mesure des mois, puis des années. Il commence même à y avoir des mouvements politiques qui vont critiquer certaines démarches humanitaires.

Je pense que ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan représente les soubresauts d’une situation latente, qui connaît un pic de crise à plusieurs périodes, et que face à cela, les gens à travers le monde sont impuissants. À partir d’un point de vue occidental des États-Unis, la sortie de crise n’a pas tenu compte de l’évolution de l’Histoire et d’un contexte géopolitique tenant compte de plusieurs complexités sociétales propres à la population locale.

C’est à croire que l’Homme se titre une balle dans le pied mais pense servir ses propres intérêts, alors qu’il réfléchit à moyens terme. Je ne pense pas que c’est comme cela qu’on résout les problèmes.

Ce film est présenté à la vingtième édition du FICAM, que vous ont inspiré les échanges dans ce cadre, avec les professionnels, les étudiants et le public ?

J’ai la chance d’être au Festival international du cinéma d’animation de Meknès pour la deuxième fois. J’apprécie beaucoup de rendez-vous et les efforts qui y sont mis pour partager le regard cinématographique d’animation, notamment auprès des jeunes, de la population dans sa diversité. J’apprécie beaucoup ce principe, avec l’idée à la fois pour moi de ne pas se considérer invité en territoire conquis. La différence est une richesse et c’est agréable d’aller à sa rencontre. Je suis né en France, mais mes parents ne sont pas français. J’ai des origines grecques, juives tunisiennes, tchécoslovaques, serbes et ma mère a été autrichienne. Je suis donc né dans la diversité, que je revendique et qui me tient très à cœur.

J’arrive au Maroc et cela m’intéresse toujours de voir comment les jeunes perçoivent le sujet de la situation en Afghanistan, produit par des Tchèques, des Slovaques et un Français, avec des sensibilités diverses et des terreaux d’échange que sont les films d’animation sur des sujets sensibles.

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