Menu

Grand Angle

Maroc : RSF fait état d’un «recul de l’indépendance de la presse»

Dans son édition 2022 du classement annuel de la liberté de la presse dans le monde, Reporters sans frontières (RSF) a classé le Maroc à la 135e position, sur 180 pays. Ce très léger progrès au classement par rapport à l’année d’avant cache un recul de l'indépendance de la presse du Royaume, selon l'ONG.

Publié
Photo d'illustration / DR.
Temps de lecture: 4'

Sur 180 pays, le Maroc est désormais 135e en termes de liberté de la presse, en léger progrès comparé à 2021 où Reporters sans frontières (RSF) a classé le pays 136e. Avec un score global de 45,42 points sur 100, il s’agit d’une avancée timide, puisqu’en 2020, le royaume a été 133e. Le classement mondial pour l’année 2022 a été dévoilé ce mardi 3 mai, qui coïncide avec la Journée mondiale de la liberté de la presse. Dans ce document interactif, l’ONG a indiqué que «l’indépendance de la presse a beaucoup reculé et il reste aujourd’hui peu de médias indépendants».

«Les journalistes indépendants au Maroc subissent une pression continue, et le pouvoir tente de mettre ce secteur aux ordres», constate RSF. Les plus faibles scores dans le pays restent ceux du volet économique et de sécurité concernant l’exercice du métier, ce qui expliquerait ce constat. Pour cette vingtième édition du rapport, RSF s’est en effet basée sur «cinq nouveaux indicateurs», à savoir le contexte politique de chaque pays, son cadre légal, son contexte économique, le contexte socioculturel et la sécurité.

Peu de progrès dans les volets économique et de sécurité

Le premier indicateur «évalue le degré de soutien et de respect de l’autonomie des médias, face aux pressions politiques exercées par l’État ou d’autres acteurs politiques de la société». Le Maroc y est classé 104e sur 180 pays, avec le score de 51,67 sur 100 points. Pour expliquer ce classement, RSF indique que «les médias ne reflètent pas la diversité des opinions politiques dans le pays».

«Le droit à l’information est écrasé par une puissante machine de propagande et de désinformation servant l’agenda politique des proches du pouvoir», note le rapport, ajoutant que «la principale source d’information pour la population vient des réseaux sociaux et des sites en ligne».

L’indicateur économique, lui, «évalue les contraintes économiques liées à des politiques gouvernementales, à des acteurs non étatiques (annonceurs et partenaires commerciaux) et aux propriétaires des médias». Le Maroc chute à 157e place sur ce volet, avec le faible score de 28,83 points. RSF a estimé que les journalistes au Maroc opéraient «dans un contexte économique exsangue». «Les médias ne parviennent pas à attirer les annonceurs, et les organes de presse indépendants peinent à avoir une stabilité financière leur permettant de se développer», a ajouté le rapport.

Quant au cadre légal, il se rapporte à «l’environnement réglementaire dans lequel travaillent les journalistes», comme la censure, la protection des sources, ou encore l’impunité des violences contre les journalistes. Le Maroc se classe 124e, avec 55,81 points. «Malgré l’adoption d’un nouveau Code de la presse en juillet 2016 supprimant les peines de prison pour les délits de presse, une publication jugée critique peut faire l’objet de poursuites judiciaires en s’appuyant sur le Code pénal», rappelle RSF, qualifiant la situation de «manque de garanties légales pour la liberté d’expression et de la presse». «La multiplication des poursuites contre les journalistes poussent les professionnels à l’autocensure», a encore ajouté l’ONG.

Le contexte socioculturel évalue «les contraintes sociales basées sur des questions de genre, de classe, d’origine ethnique ou de religion», mais aussi «les contraintes culturelles empêchant la remise en cause de certains pouvoirs ou problèmes parce que cela irait à l’encontre de la culture du territoire». Le Maroc y est classé 128e, avec 56 points sur 100. «La société consomme la presse indépendante sans pour autant être prête à prendre sa défense», affirme RSF. Ainsi, la désinformation est «accentuée par la valorisation d’un journalisme du buzz et du sensationnel qui ne respecte pas la vie privée et dégrade en général l’image de la femme».

L’indicateur sécurité se rapporte à «la capacité à concevoir, collecter et diffuser des informations selon les méthodes et l’éthique du journalisme, sans risque inconsidéré de dommages corporels, détresse psychologique ou émotionnelle ni risque de préjudice professionnel (perte d’emploi, saisie d’équipements ou saccage d’installations par exemple)». A la 146e place, le Maroc n'obtient que 34,82 points.

Dans cet indicateur, RSF a soutenu que «les arrestations sans mandat et les détentions provisoires prolongées sont courantes au Maroc». Au cours des cinq dernières années, «des affaires de mœurs telles que des accusations de viol, de traite d’êtres humains, d’adultère et de pratique d’avortement illégal» ont visé des journalistes, a ajouté la même source.

Une situation globale de «polarisation»

Dans la partie consacrée à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient, RSF a par ailleurs fait mention des affaires de Taoufik Bouachrine, Omar Radi et Soulaimane Raïssouni. Les trois journalistes «ont été arrêtés, poursuivis et détenus pour des raisons fallacieuses». Le constat est proche de celui dressé par le rapport de l’année 2021, où RSF a estimé que les journalistes et les médias marocains subissaient un «harcèlement judiciaire» et que les professionnels de l’information faisaient l’objet de «pressions judiciaires».

Au niveau régional, «la situation est plus grave encore en Libye et au Soudan, ou l’absence d’une vraie autorité politique empêche l’émancipation de la presse et son travail dans des conditions acceptables», souligne RSF. Cette dernière fait état des «tentatives de contrôle sur les médias audiovisuels et de l’omniprésence du pouvoir militaire, au Soudan tout particulièrement».

Les autres pays de la zone MENA ne sont pas en reste. Dans le score global, l’Algérie occupe la 134e place mondiale, avec un score de 45,53 points sur 100, juste devant le Maroc (135) mais loin de la Tunisie (94e) qui a perdu 21 places et qui enregistre un score de 58,49 points, ou encore la Mauritanie (97e) avec 58,10. La Lybie (143e) reste loin également, ainsi que l’Egypte (168e) avec seulement 30,23 sur 100.

Dans cette configuration et au niveau mondial, les pays scandinaves – Norvège (1e), Danemark (2e) et Suède (3e) – sont sur le podium, grâce à un «modèle démocratique où s’épanouit la liberté d’expression». En bas du classement, on retrouve la Corée du Nord (180e), Érythrée (179e), et l’Iran (178e).

Globalement, RSF constate que «la polarisation médiatique renforce et entretient les clivages internes aux sociétés» dans les régimes démocratiques. Elle évoque une situation de «polarisation» à travers le monde. «Le regain des tensions sociales et politiques est accéléré par les réseaux sociaux et de nouveaux médias d’opinion», a ajouté l’ONG, qui déplore aussi un «chaos informationnel».

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com