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Interview

Maroc – Espagne : «Il faut éclairer l’opinion publique sur les intérêts des deux pays» [Interview]

Mohamed Chaïb Akhdim est ex-député au Parlement catalan (PCS), ex-député du Congrès espagnol (PSOE) et président de la Fondation Ibn Battuta à Barcelone. A travers ses diverses fonctions, il explique en quoi le récent revirement diplomatique avec le Maroc préservera les intérêts des deux pays.

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Mohamed Chaïb Akhdim / DR.
Temps de lecture: 5'

Depuis l’Espagne, comment voyez-vous le récent changement de position gouvernementale sur les relations avec le Maroc ?

La reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Espagne, après que le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a donné suite au message adressé par le roi Mohammed VI dans son discours royal d’août 2021, est un moment historique à plusieurs égards. Nous avons attendu ce changement depuis longtemps et il est venu poser les jalons de relations diplomatiques qui doivent être construites sur le respect mutuel, tel que préconisé par le souverain et confirmé par la partie espagnole.

Il faut dire qu’il a fallu huit mois pour que l’exécutif espagnol prenne position, mais sa réponse a été très positive, allant jusqu’à reconnaître et soutenir l’autonomie du Sahara marocain, comme proposé à l’ONU par le Maroc en 2007. C’est un message fort en Espagne et pour le Maroc. La visite de Pedro Sánchez débutée hier à Rabat a renforcé les messages adressés de part et d’autre. En tant qu’acteur politique, je suis reconnaissant aux démarches du roi Mohammed VI, à celles de la diplomatie de notre pays, qui ont mené ce processus de manière positive et sans violence. Je salue également la position courageuse prise par Sánchez, nonobstant les divergences au sein de la classe politique espagnole, dont des membres apportent leur soutien aux organisations pro-Polisario.

C’est pour cela qu’il me semble que même si la réponse de Madrid a mis du temps à être formulée, elle marque désormais un tournant. De plus, elle reflète la position de l’Union européenne, vu la grande importance du rôle du Maroc dans la coopération avec ses partenaires en Europe, sur des dossiers de sécurité, de lutte antiterroriste et lutte contre le crime transnational, ainsi que la gestion de la migration.

En tant que binational comment la communauté marocaine accueille la nouvelle position espagnole ?

Je peux dire que la communauté marocaine en Espagne est très soulagée par ce revirement. Nous avons vécu des moments difficiles, depuis la crise sanitaire en 2020, puis la crise diplomatique en 2021 après l’accueil de Brahim Ghali (chef du Polisario, ndlr) dans le pays. Nous étions très préoccupés par l’évolution des choses, dans ce contexte, mais ce pas en avant du président du gouvernement espagnol a permis de tourner la page.

Dans ce sens, nous ne pouvons que saluer la décision du rétablissement des lignes maritimes, qui est l’un des points sur lesquels a porté la position de Sánchez dans la reprise des relations diplomatiques avec le Maroc. Cela facilitera sans aucun doute la reprogrammation de l’Opération Marhaba au Maroc et Paso del Estrecho (OPE) en Espagne. Leur annulation a eu des répercussions importantes sur l’Espagne, mais sur le Maroc aussi. Plusieurs MRE n’ont pas pu rejoindre leur pays. Il y a aussi une communauté espagnole importante au Maroc, où elle réside et travaille.

Avec cette relance, les entrepreneurs entre le Maroc et l’Espagne, dont je fais partie, sont également soulagés. Etant pharmacien de profession, je travaille sur un projet de construction du plus grand laboratoire pharmaceutique au Maroc, dans les environs de Berrechid, depuis Barcelone où je vis.

Nos deux pays ont mis en place une économie circulaire et aujourd’hui, celle-ci va dans les deux sens. Ce nouveau revirement diplomatique sera donc la base pour construire ensemble notre avenir social et économique, en plus des aspects politiques et géostratégiques.

Vous avez évoqué des divergences internes en Espagne. La récente réaction de Podemos en témoigne. Ces désaccords ne risquent pas de peser sur la popularité de Sánchez ?

Il ne faut pas oublier en effet que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) n’est pas seul. Il est à la tête d’un gouvernement de coalition, constituée notamment de Podemos. En dehors de l’exécutif en lui-même, nous avons vécu un moment très particulier hier, au sein du parlement espagnol. La position du PSOE portée par le gouvernement a été rejetée par les parlementaires de Podemos, qui se sont alignés sur le vote des partis catalans et basques. Connaissant la politique intérieure ici, je pense que le vote négatif du Parti populaire (PP) doit, pour sa part, être lu différemment.

Lors de la crise diplomatique avec le Maroc, le PP a critiqué la gestion du gouvernement espagnol. Mais il a rejeté la position prise par le PSOE, en protestation contre le fait qu’il n’ait pas été consulté en amont. Politiquement, je ne pense donc pas que le PP soit contre cette mesure. Cette dernière a été prise au moment où le PP était en train d’élire son nouveau leader, ce qui n’a pas permis au PSOE de mener des consultations élargies avec la formation.

Mais Sánchez n’est pas confronté uniquement à des divergences extérieures à son parti. Il en existe dans son propre camp. Sa décision a été soutenue par de grandes personnalités politiques au sein du PSOE, comme José Luis Rodríguez Zapatero et Felipe González. Mais le PSOE traverse une crise interne car il y compte d’autres membres influents, qui soutiennent historiquement la position du Polisario et des association pro-Polisario en Espagne.

Nous avons d’ailleurs remarqué que le poids de ce soutien a poussé des représentants gouvernementaux locaux (PSOE) à revenir sur leurs déclarations, après avoir exprimé leur pleine adhésion à la position de Sánchez. A l’approche des échéances électorales en Espagne, nous allons œuvrer pour que le résultat du scrutin ne soit pas impacté par les retombées de la résolution du gouvernement. C’est pour cela que je salue sa démarche et que je la qualifie de courageuse, puisqu’elle a fait abstraction des considérations partisanes de toute part et qu’elle a donné la primauté aux intérêts de l’Espagne en tant qu’Etat, alignés sur ceux du Maroc.

Quels sont les avantages de la convergence des points de vue marocain et espagnol, sur les plans politique et historique ?

En décembre 2020, la décision américaine de la reconnaissance de la marocanité du Sahara a été d’une grande importance et a apporté un soutien à la position marocaine. Mais il faut dire que celle de l’Espagne, annoncée désormais à travers la position du président du gouvernement, l’est encore plus, lorsqu’on sait que le royaume ibérique est historiquement une partie belligérante, du fait de son statut d'ancienne puissance coloniale au Sahara. C’est à ces différents niveaux qu’il faut lire ce que l’on considère comme un tournant.

Les accords de Madrid du 14 novembre 1975, signés par les chefs d’Etats des deux pays, rappellent d’ailleurs que la gestion administrative de ces territoires revenait au Maroc et à la Mauritanie – qui s’en est retirée ensuite –. En plus des faits historiques et des relations d’allégeance qui témoignent de la marocanité du Sahara, la nouvelle position espagnole confirme davantage cette reconnaissance par l’Espagne elle-même, qui se met enfin en phase avec ses propres accords déjà actés, d’où nous considérons aussi ce tournant comme un moment historique.

Maintenant que cette décision est actée et confirmée par la visite de Sánchez au Maroc, quelles sont les autres démarches pour pérenniser ses effets ?

Il est important d’éclairer l’opinion publique, surtout en Espagne, sur l’intérêt pour les deux pays à aller dans le sens suivi actuellement par Sánchez. Il faut expliquer que la solution aux différends avec le Maroc réside dans cette voie-là. Cela passera par la mise en lumière de la situation de la population du camp de Tindouf, sur le projet d’autonomie du Sahara marocain, ainsi que ses retombées politiques, économiques et sociales sur les deux pays, y compris sur ces populations qui auront enfin une possibilité de retour au Maroc.

C’est un point que je pense important à expliquer, surtout en Espagne, car de nombreuses personnes pensent qu’en adoptant cette position, elles laisseraient le Maroc «s’en prendre aux sahraouis». C’est absolument faux et il faut le faire parvenir au plus grand nombre de citoyens en Espagne. L’idée du plan d’autonomie est de proposer un projet, une solution digne et démocratique en réponse à la situation humanitaire dans le camp de Tindouf, tout en étant une base juste et équitable pour construire ensemble des liens socioéconomiques et politiques plus forts entre le Maroc et l’Espagne.

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