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Grand Angle

Discrimination capillaire : Entre idéologie colonialiste et un rejet de l’identité africaine

Mémoire assumée, nature abîmée, la beauté «confectionnée» dans les salons de coiffure semble poser des problèmes aux femmes marocaines.

Publié
Image d'illustration. / DR
Temps de lecture: 3'

La discrimination capillaire fondée sur la texture des cheveux bouclés est une réalité à laquelle de nombreuses femmes marocaines sont confrontées quotidiennement. Cette distinction contribue fortement à la perpétuation d’idéologies colonialistes des standards de beauté dans le royaume.

Sur les murs des salons de coiffure ou de beauté, ainsi que dans les revues féminines exposées, les clientes découvrent les modèles aux cheveux naturellement lisses, longs et clairs. L’aliénation est donc sous nos yeux. S’ajoute à cela une hypersexualisation des corps des femmes, la femme blanche aux cheveux lisses devient alors critère de beauté et de fantasme.

«Depuis toute petite, je vois des femmes aux cheveux lisses et longs dans les magazines et maintenant sur les réseaux sociaux. On peut voir ces femmes dans les publicités affichées dans les rues. C’est comme le but à atteindre pour certaines Marocaines», explique Salma. Et de poursuivre : «Je me suis toujours dit que pour être jolie, il fallait me lisser les cheveux.»

Les idéologies colonialistes quant à la chevelure, les Marocaines sont à l'origine de nombreuses hiérarchisations culturelles, de classes, raciales en favorisant les canons esthétiques européens et les cultures occidentales. À travers le rejet des cheveux bouclés ou frisés, il existe également, pour certains militants, un rejet de l’identité marocaine ou africaine. Au Maghreb, les colonisations arabes et européennes ont engendré une sorte de répulsion identitaire.

La féministe Lamya Ben Malek s’est exprimée à ce sujet. «On a grandi avec des femmes qui se lissent les cheveux pour cacher la nature "rebelle" de ces derniers, qui n'hésitaient pas à investir de l'argent dans des pratiques très néfastes pour la santé, pour avoir un cheveu raide», ajoute-t-elle. 

Pour plaquer et aplatir le moindre frisottis, certaines femmes ont tendance à avoir recours à des traitements chimiques, parfois même abrasifs. Ces cures capillaires aux résultats non-permanents sont à renouveler de manière régulière afin de conserver sa chevelure raide. Les dégâts subis par le cuir chevelu sont dans la majorité des cas difficilement récupérables. «J’ai attendu des années avant que mes cheveux ne reprennent vie. Avant ma décision d’arrêter les lissages, mes cheveux étaient abimés, cassés, morts», confie Salma. «Ça fait trois ans que je n’y touche plus et j’encourage chaque femme à se réapproprier ses boucles», ajoute-t-elle.

Selon Lamya Ben Malek, «les publicités pour produits capillaires ne font que l'apologie du cheveu lisse et dompté. C’est impressionnant pour un pays où la majorité des humains a le cheveu ondulé et/ou bouclé».

Politiques internes racistes de certaines entreprises

Le 5 avril 2022, une entreprise d’export de prestation de services basée à Tanger a interdit aux femmes employées d’avoir les cheveux bouclés et longs sur leur lieu de travail. Sur les schémas explicatifs et représentatifs, des cheveux longs et bouclés sont raturés.

Cependant, en ce qui concerne l’interdiction des cheveux crépus dans les cadres privés et professionnel, l’article 9 du Code du Travail est clair : «Est interdite toute atteinte aux libertés et aux droits relatifs à l'exercice syndical à l'intérieur de l'entreprise, conformément à la législation et la réglementation en vigueur ainsi que toute atteinte à la liberté de travail à l'égard de l'employeur et des salariés appartenant à l'entreprise.» 

«Est également interdite, à l'encontre des salariés, toute discrimination fondée sur la race (l'ethnie), la couleur, le sexe, le handicap, la situation conjugale, la religion, l'opinion politique, l'affiliation syndicale, l'ascendance nationale ou l'origine sociale», poursuit l'article. 

Malgré cette protection, de nombreuses femmes sont encore discriminées sur leur lieu de travail, et même avant n’y entrer. «Je n’ai jamais osé me présenter à un entretien d’embauche avec mes cheveux bouclés. Même si je ne le pense pas, je veux paraître soignée et apprêtée, alors je me lisse les cheveux», avoue Oumayma.

Depuis quelques jours, des femmes de tout le royaume répandent des photos de leur chevelure bouclée sur les réseaux en soutiens aux femmes discriminées et afin de redonner à cette nature sa beauté trop longtemps dérobée.

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