Menu

Grand Angle

Quand deux destinées nomades se croisent au Drâa [Reportage]

Entre Jbel Bani et Oued Drâa, les nomades de plusieurs régions du Maroc accourent pour profiter des pacages et des puits. Si Ahmed et Si Hssain se rencontrent le temps d’un trajet commun et révèlent les secrets de la transhumance en ces temps de sécheresse.

Publié
Ph. Hicham Ait Almouh
Temps de lecture: 5'

À la station des grands taxis d’Agdez, petite ville située sur la rive sud d’Oued Drâa, à environ 70 kms au sud-est d’Ouarzazate, deux destinées nomades se sont croisées en cette matinée du 16 mars 2022. Si Ahmed, un sexagénaire des Ait Oussa, n’a eu aucun mal à reconnaitre que Si Hssain, un Ait Hdidou des environs d’Imilchil, partage le même mode de vie que lui. Les deux hommes, habillés en djellabas en laine brunes et enturbannés, ont le même âge et la même prestance. Ce qui les différencie est la langue. Si Ahmed, natif des environs d’Assa, parle un arabe épuré, comme chaque locuteur natif de la Hassania, mais ne comprend pas la variante amazighe du Haut-Atlas Oriental, celle de Si Hssain.

Transhumant à longueur d’année, il passe parfois des mois dans la région de Souss et s’est plutôt accoutumé à Tachelhit, une autre variante amazighe. Si Hssain, lui, est nomade par nécessité, notamment à cause de la sécheresse qui a accablé les pacages situés en bas des cimes dégarnies de ses montagnes. N’ayant que rarement quitté sa région, il ne fait que baragouiner l’arabe dialectal. Ces différences linguistiques ne les ont pas empêchés d’échanger longuement sur les choses de la vie, les deux hommes se dirigeant à Ouarzazate en même temps, pour des raisons différentes.

Nomades vs. semi-nomades

Les différences entre si Ahmed et si Hssain ne se limitent pas au mode de nomadisme et à la langue maternelle. De par la taille de son troupeau, Si Ahmed doit faire appel aux services d’un ou plusieurs bergers. «Cela dépend de la taille du troupeau et peut aller, pour certains nomades, jusqu’à cinq bergers, payés à 2 500 dirhams le mois. Notre plus grand problème dans le sud du Maroc est que, actuellement, personne ne veut plus faire ce métier, tellement les conditions de son exercice sont devenues très rudes», précise Si Ahmed.

Ph. Hicham Ait AlmouhPh. Hicham Ait Almouh

Pour ce qui est de Si Hssain, il ne peut se permettre de faire appel à des bergers payés au salaire. Les membres de sa famille se chargent donc de la besogne. Parfois, si l’année est bonne, certains bergers sont payés en se faisant offrir quelques têtes de bétail. Dans le cas contraire, ce qui est arrivé assez souvent ces dernières années, la perte est partagée entre le propriétaire et le berger. In fine, ce dernier ne perd dans ce cas que le temps passé à garder le troupeau. Mais c’est aussi un actif précieux.

Ce 16 mars, Si Ahmed partait à Ouarzazate à la recherche d’un vétérinaire pour se procurer des médicaments à son cheptel de dromadaires, d’ovins et de caprins, constitué de plusieurs centaines de têtes. Il a passé sa vie à pratiquer le nomadisme, essentiellement au Sahara, dans le Souss et dans le sud de l’Anti-Atlas Oriental. La rareté de l’eau l’a poussé à s’aventurer aux alentours de Jbel Bani, car l’herbe et l’eau y sont disponibles. «Au Sahara, les puits sont de plus en plus secs et il faut parfois attendre des jours devant un puits avant que votre tour n’arrive», dit-il. Ne s’étant jamais sédentarisé, il n’a pas hésité à aller tenter sa chance aux environs d’Oued Drâa, après avoir passé l’hiver aux environs de Tata, où ses enfants sont installés pour les besoins de scolarisation. Ses questions semblaient toutes motivées par l’envie d’en savoir plus sur la région, ses pâtures et ses points d’eau. Si Hssain, lui, a vécu toute sa vie entre les cimes enneigées du Haut-Atlas Oriental. Il rentrait ce 16 mars à Imilchil près avoir placé son troupeau quelque part entre Jbel Bani et Oued Drâa.

La nouvelle, que les herbages sauvages du sud-est, à l’opposé de la plupart des régions, sont prolifiques cette année et ne manquent pas d’eau, a voyagé parmi les nomades du Maroc. C’est pour cela qu’ils ont accouru de toutes les contrées où s’éternise encore ce mode de vie millénaire. Certains nomades des environs de la ville de Figuig, essentiellement les Béni Guil et les Lâamour, se sont déplacés vers les larges zones dépeuplées séparant M’hamid El-Ghizlane et Mezouga, connues pour leurs ergs qui drainent les touristes.

Au nord d’Oued Drâa, on a également recensé plusieurs vagues de nomades venant d’aussi loin que les hauteurs d’Azilal. Selon Si Ahmed, plusieurs prérequis sont indispensables pour cette transhumance pré-printanière. «Il faut bien évidemment que les endroits choisis contiennent de l’herbe en abondance et de l’eau». Ensuite, les tribus qui y résident doivent être habituées à nous accueillir. Sinon, «on est obligé de quitter les lieux», souligne le nomade Ait Youssa.

Ph. Hicham Ait AlmouhPh. Hicham Ait Almouh

Au cours des dernières années, un conflit oppose en permanence certaines tribus du Souss et les nomades du Sahara. Les premières se sont révoltées contre ce qu’elles considèrent comme un abus et une transgression de leurs terres ancestrales. Les deuxièmes se plaignent d’actes belliqueux qui vont jusqu’à empoisonner les pacages pour empêcher les troupeaux sahraouis de paitre là où ils avaient l’habitude de le faire depuis le moyen-âge. Mais cela est une autre histoire.

Un mode de vie qui disparaît

Nomades et semi-nomades doivent souvent vendre une partie considérable de leurs troupeaux pour pouvoir se payer les services d’un camionneur et se déplacer entre les pâturages, éloignés les uns des autres. C’est ce qu’a fait si Hssain et d’autres semi-nomades récemment. Pour le retour, une fois que la saison est écoulée, le chemin sera parcouru de la même manière et les frais couverts en cédant, encore une fois, une partie du cheptel. Un nomade rencontré sur la route de l’oasis d’Ouigan, situé aux environs de Tinzouline, fera le chemin de retour vers les hauteurs d’Ait Bouguemaz à pied avec quelques ânes, une fois le troupeau arrivé à sa pâture et laissé avec des bergers, membres de la famille.

Si Salah, un autre éleveur rencontré à Tidri aux environs de M’hamid El-Ghizlane, pratique un autre type de nomadisme. Résident à Tagounite, il emmène son troupeau, d’une vingtaine de caprins, paitre dans des endroits choisis également en fonction en de la présence de l’herbe et de l’eau. Il n’y passe qu’une vingtaine de jours, le temps que ces petites chèvres soient bien engraissées, puis rebrousse son chemin. Lui aussi se fait aider par un berger, membre de la famille, et se déplace seul avec une moto. Pour arrondir ses fins de mois, il accompagne parfois des touristes étrangers pour bivouaquer dans le désert, où il connait tous les sites de tumulus funéraires et de gravures rupestres. Lui aussi attendait la fin de la pandémie avec impatience.
En période de sécheresse, les nomades du Maroc reçoivent une aide étatique. Il s’agit d’une subvention de deux dirhams le kilo qui peut leur être versée, à condition de se trouver dans la province où le nomade est déclaré.

Ph. Hicham Ait AlmouhPh. Hicham Ait Almouh

«Pour quelqu’un comme moi, cela est pratiquement impossible, car mon troupeau se trouve en permanence loin d’Assa où j’ai mes papiers», se lamente-t-il. La société civile aide parfois les nomades à soutenir certaines charges, dont les plus élevés sont le fourrage, en temps de sécheresse, et les salaires des bergers pour les nomades qui peuvent se permettre de les embaucher. Pour les autres, ils sont livrés à eux-mêmes et à une pluviométrie de plus en plus avare.

Après la succession des années de sécheresse, les nomades commencent à renoncer à leur mode de vie, déjà délaissé par une grande partie de leur progéniture. Dans l’Oriental, les villes de Bouârfa et de Tendrara ont vu récemment naître deux nouveaux bidonvilles du troisième millénaire, respectivement Lâouina Zargua et Hay Lkhiam. Leur spécificité, ils accueillent les nomades Béni Guil qui ne peuvent plus survivre en exerçant une activité qui a toujours fait leur identité. Cela dit, ils ne sont pas les seuls perdants. Le Maroc y perd aussi une partie de son âme.

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com