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Grand Angle

Diaspo #227 : Yasmina El Messaoudi, une quête identitaire immortalisée par «Straatkat»

Ecrit pour ne pas oublier des souvenirs et des moments passés avec sa mère décédée d’un cancer de pancréas, «Straatkat» (Chat errant) a permis à la Belgo-marocaine Yasmina El Messaoudi de partager avec le monde ses moments de solitude. Un sentiment qu’elle croyait unique mais qui s’avère universel.

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La Belgo-marocaine Yasmina El Messaoudi. / DR
Temps de lecture: 5'

Depuis quelques semaines déjà, les bouquineurs ont découvert un récit émouvant dans «Straatkat», une autobiographie racontant les derniers moments de la vie d’une mère à travers les regards de sa fille, avec des flashbacks renvoyant vers une enfance particulière. Née le 9 août 1983 à Malines d’un père originaire d’Al Hoceima et d’une mère originaire de Flandre, la Belgo-marocaine Yasmina El Messaoudi est journaliste de carrière, avec une riche expérience de plusieurs années dans les médias belges.

Petite, elle fréquentait avec ma mère la bibliothèque une fois par mois et adorait beaucoup lire et écrire. «Ma mère était écrivaine et j’aimais lire les livres. Lorsque j’ai eu 18 ans et je devais choisir, j’avais donc logiquement opté pour le journalisme», nous confie-t-elle. Pendant ses études, Yasmina El Messaoudi a travaillé pour le magazine jeunesse de TV Brussel et la station de radio associée FM Brussels. Après l’école, elle exerce en freelance pendant 12 ans, présentant des programmes à la radio et à la télévision. Après avoir passé 10 ans à Bruxelles puis un an à La Haye, cela fait 4 ans qu’elle présente le journal d’informations pour Radio 2, l’une des chaînes de l’Etat. Depuis un an, elle s'est réinstallée à Malines.

Yasmina El Messaoudi et son frère ont vécu une enfance particulière en Flandre. «Il n’y avait pas beaucoup de Marocains lorsque mon père a rencontré ma mère dans les années 1970. Mon père était le premier marocain du village. Les gens ne connaissaient pas le Maroc et n’étaient pas habitués à voir un Marocain», se rappelle-t-elle. Ses parents, eux, étaient ouverts d’esprit et curieux de découvrir d’autres cultures.

«Mais pour mon frère et moi, cela était difficile car nous étions les seuls et premiers enfants issus de l’immigration dans le village et nés d’un mariage mixte. Dans chaque communauté, nous étions étrangers et entre deux cultures.»

Yasmina El Messaoudi

Seuls enfants issus d’un mariage mixte

La maison familiale était ainsi le seul endroit où la Belgo-marocaine se sentait chez elle. «A la maison, il y avait des langues différentes, des religions différentes, des cultures différentes mais tout le monde respectait cela. Une fois qu’on sortait de la maison, les choses changeaient», explique-t-elle. Ce sentiment grandira aussi avec elle. Adolescente, période où l’on se cherche une identité, Yasmina était «presque la seule belgo-marocaine» de la classe.

Les choses changeront lorsqu'à 16 ans elle sera rejoint par une Maroco-espagnole dans la même classe. «Elle était tellement fière de son identité que cela m’avait vraiment ouvert les yeux. Elle m’avait montré qu’on pouvait être fières de ses racines et ses origines même lorsque cela n’était pas clair et qu’avoir deux cultures n’étaient pas si mal. Comme adolescente, cela m’avait marqué», nous confie-t-elle. Plus tard, elle commencera aussi à «voir les avantages» de sa double culture.

«Grandir entre deux cultures m’a permis de m’adapter très facilement dans des situations nouvelles, lorsque de nouveaux collègues arrivent ou quand je fais de nouvelles rencontres. Je deviens vite une partie d’un groupe car je pense qu’on est obligé d’être empathique. Même dans ma carrière de journaliste, lorsque je dois réaliser des interviews ou faire intervenir des personnes, j’ai l’impression de les comprendre plus facilement.»

Yasmina El Messaoudi

Mais il y a trois ans, la Belgo-marocaine est confrontée à une situation difficile. Sa mère, souffrante, décède d’un cancer du pancréas. Une perte qui ressuscitera les sentiments de tristesse et de solitude mais aussi cette quête identitaire. Peu avant la disparition de sa mère, la Belgo-marocaine trouve alors refuge dans l’écriture.

Un livre pour «ne pas oublier» ses souvenirs avec sa mère et comprendre sa solitude

«J’avais commencé à écrire, non pas pour faire un livre, mais pour immortaliser des mémoires et des souvenirs. J’avais peur et c’était une période où elle était très malade», explique-t-elle. «J’essayais de m’enfuir, de travailler avec acharnement et de m’occuper. Je ne voulais pas penser à ce qui se passait, car il était difficile de voir ma mère souffrir et mourir petit à petit.» «Je me disais que je devais écrire ce qui se passait, la dernière fois qu’on mangeait ensemble une crêpe, la dernière fois qu’on partait pour faire du shopping ou une promenade,…tous ces moments, je voulais les garder, les graver, par peur de les oublier», indique-t-elle.

«Lorsque nous perdons des êtres aussi chers et importants, comme les parents, cela nous fait réfléchir à notre propre identité. Ma mère était une partie de mes racines et une fois partie, je me posais des questions. Pourquoi je me sens souvent très seule ? Pourquoi je ne me sens pas appartenir à une communauté ou une société ? Cela me faisait aussi penser à la période où j’étais petite.»

Yasmina El Messaoudi

Deux ans plus tard, elle présente l’ouvrage à son frère et des amis qui l’encouragent à continuer d’écrire. «Les gens affirmaient qu’ils se sentaient aussi comme un chat errant. Pour moi, c’est un animal qui a des origines mélangés et qui erre dans la rue toute sa vie à la recherche d’une maison. D’autres me confiaient qu’ils se sentaient aussi seuls, non pas parce qu’ils sont nés entre deux cultures mais pour d’autres raisons», se remémore-t-elle. 

Et bien que «Straatkat» ne soit disponible dans les bibliothèques que depuis quelques semaines, la Belgo-marocaine a d’ores et déjà de nombreux échos.

«J’ai eu de très belles réactions de Belges d’origine marocaine mais aussi des personnes qui ne sont pas issues de l’immigration ou encore de personnes de premières générations, d’origine marocaine ou autre, qui se reconnaissent tous dans mon histoire. Cela me fait vraiment plaisir.»

Yasmine El Messaoudi

Renforcer ses liens avec son pays d’origine

Bien qu’elle soit fière d’être Marocaine, Yasmina El Messaoudi ne s’est rendue au Maroc que deux fois. Car la grand-mère de la Belgo-marocaine est morte lorsqu’elle n’avait que 10 ans. «Nous n’avons jamais visité le Maroc avec mes parents, ce que je trouve dommage», regrette-t-elle. «Avant, mon père partait seul visiter sa mère. Ma mère avait écrit quatre livres sur le Maroc, à l’aide de mon père, ce qui m’a permis de découvrir mon pays d’origine et sa culture.» 

Son premier voyage au pays a été toutefois une expérience déplaisante. «Dans ma tête, je pensais que j’allais me sentir chez moi, que j’allais être bien accueillie et qu’il sera la terre promise. Cela n’était pas le cas, car je ne parle ni la Darija ni l’Amazigh et je ne connais pas ma famille là-bas», regrette-t-elle. «La plupart des gens dans le pays pensaient que j’étais Belge, Italienne ou Espagnole. J’étais donc très déçue de ce premier voyage, car c’était naïf de ma part. Je ne me sentais pas chez moi en Belgique et je pensais que ça allait être le cas pour le Maroc», explique-t-elle.

Mais son deuxième voyage sera différent. Elle accepte que le Maroc fasse partie d’elle sans pour autant être sa «maison». «C’est un pays où j’aimerai retourner et pourquoi pas y avoir une maison. J’aimerai que le lien devienne un jour plus fort», nous dit-elle.

Quant à ses projets, Yasmina El Messaoudi admet que le fait que les gens se reconnaissent dans son histoire lui donne envie d’écrire un deuxième livre, bien que le processus reste «assez lourd et très intensif». En attendant, elle compte savourer, pour les prochains mois, le succès de son premier livre et écouter les réactions des lecteurs et des critiques, à travers plusieurs présentations en Belgique, avant d’entamer d’autres projets.

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