Menu

Grand Angle

Histoire : L'interdiction des instruments de musique au Maroc sous les Almohades

Considérée comme «relents du paganisme» et un héritage païen, les premiers califes almohades interdisaient la musique et détruisaient ses instruments. L’embargo, décidé par Al-Mahdi Ibn Toumert et visant cet art, n’est levé que grâce au Melhoun, introduit au Maroc depuis Al Andalus.

Publié
Photo d'illustration. / DR
Temps de lecture: 3'

Les premières années suivant l’arrivée d’une dynastie au pouvoir sont souvent marquées par des politiques visant à rompre avec l’ère précédente. C’est dans cette optique que les Almohades avaient rompu avec la politique des Almoravides qui propulsaient des savants venus d’Al Andalus aux hauts postes de responsabilités de l’empire chérifien.

Pour unir le nord du Maroc au Sud et à Al Andalus sous la bannière d’un seul Etat, Al-Mahdi Ibn Toumert, fondateur de la dynastie des Almohades, avait instauré certains principes de la doctrine chiite, comme l’imamat et l'infaillibilité. Mais dans cette conquête du Maroc et des esprits de ces citoyens, plusieurs pratiques et habitudes sont alors sacrifiées sur l’autel de la religion, dont la musique et l’utilisation de ses instruments.

Un embargo sur la musique et une chasse aux sorcières visant les musiciens

Dans les «Mémoires du patrimoine marocain» (Deuxième volume, Editions Nord Organisation, 1986), le musicologue, compositeur et directeur artistique de nombreux festivals et événements artistiques, Ahmed Aydoun revient sur cette époque, rappelant que «les Almohades étaient les premiers à mépriser les instruments de musique, les considérant comme les relents du paganisme» et un héritage païen. Ils considéraient aussi, selon lui, les instruments de musique comme permettant d’exercer et de diffuser un péché.

«Durant cette époque, la musique a souffert d’une bigoterie sans précédent, suite à une campagne lancée par Al-Mahdi Ibn Toumert (le fondateur de la dynastie des Almohades, ndlr) contre l’impudicité et la désobéissance religieuserépandues. Il avait ainsi ordonné la destruction des instruments de musique.»

Ahmed Aydoun

Cette interdiction prenait aussi une autre ampleur sous Yaacoub Al Mansour, qui «arrêtait les musiciens et chanteurs et les poursuivait en justice», dans une méprise de la musique qui a été même «confirmée par le philosophe, astronome, médecin et mathématicien Ibn Tofail, proche des Almohades».

Cependant, le Grand Maghreb et Al Andalus étant unis politiquement sous la bannière des Almohades, les deux rives de la méditerranée «connaissaient une migration dans les deux sens et un échange culturel élargi qui mènera à la levée de l’embargo sur la musique et ses instruments». Une série d’événements avait, en effet, précédé ce retour en grâce de cet art permettant à l'homme de s'exprimer par l'intermédiaire des sons.

Et si la musique en général souffrait, celle de chaabi n’aurait jamais été inquiétée par cet embargo. En effet, «les Banou Hilal, installés par Yaacoub Al Mansour dans le Haouz et au centre du Maroc avaient introduit une musique arabe bédouine dans les plaines littorales», explique le musicologue. 

Photo d'illustration. / DRPhoto d'illustration. / DR

Le Malhoun, cet art venu délivrer la musique au Maroc

«L’esthétisme musical commencera ainsi à se former», raconte le musicologue, en rappelant qu’Ibn Rochd de Cordoue alias Averroès, façonné par la place Jemaa El Fna de Marrakech, mettait en avant l’apport de la musique et sa valeur dans ses écrits. «Ils considéraient que la musique et les sports sont considérés comme des pillers de l’éducation et qu’il faut les utiliser avec sagesse pour atteindre un équilibre spirituel et physique», ajoute-t-il.

Pour Ahmed Aydoun, c’est dans ce contexte que le Malhoun, forme littéraire ne respectant pas la structure de la poésie classique, était devenue une branche noble de la poésie en darija au Maroc. Les premières formes de cet art étaient «sans doute attachées à la religion musulmane et à la dévotion, ce qui lui permettra de trouver sa place auprès du (calife) Abd al-Mumin», rappelle-t-il. «C’est d’ailleurs pour cela qu’on trouvera qu’Ibn Quzman (l'un des poètes les plus célèbres d'Al-Andalus, ndlr) exceller dans le Zajal et le Mouachah», poursuit le chercheur en histoire de la musique au Maroc.

Le Malhoun servira aussi pour les Almohades comme arme d’argumentation et de conviction, car permettant de toucher une large partie de la population, avec un contenu chargé de messages appelant à la sagesse et la dévotion. Ceci dit, «des concepts qui apparaissent comme de la vie courante au début des poèmes finissent en adoration de Dieu et prêche pour le bon travail, ce qui constitue le fondement de la doctrine des Almohades», conclut le musicologue.

Photo d'illustration. / DRPhoto d'illustration. / DR

Avec les développements de cet art, plusieurs autres formes, comme le ghazal, ont fleuri. Ibn Tofail était lui-même connu pour ses poèmes. Petit à petit, Al Malhoun réussira à introduire aussi du chant portant le même nom. Mais le déclin de la dynastie des Almohades et la naissance de celle des Mérinides annoncera l’âge d’or de la musique et la poésie au Maroc.

Dans son livre «Nathir Al-Juman», cité par Al Massae, l’historien Ismail Ibn Youssef Al Anssari Al Gharnati (décédé à Fès en 1405) recensait 74 poètes et experts d’instruments musicaux au Maroc et à Al Andalus, rappelant qu’un type du Malhoun était apparu, intitulé «La poésie des rois de Bani Marin (mérinides) et de leurs fils», ce qui indique la place chez les Mérinides de la poésie et la littérature, en plus des poèmes de Zajal qui serviront de bases du développement du Malhoun marocain. A l’époque des Mérinides puis des Wattassides, la musique regagnera donc sa place et sera même utilisée pour traiter certaines maladies mentales et psychologiques.

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com