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Grand Angle

Le fact-checking du grand oral d’Aziz Akhannouch sur Al Aoula et 2M

Lors de son interview diffusée, mercredi soir, sur Al Aoula et 2M, Yabiladi a repéré 10 imprécisions et erreurs factuelles évoquées par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch dans plusieurs dossiers.

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Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, lors de son interview à Al Aoula et 2M, mercredi soir. / Capture d'écran
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Pour marquer les 100 premiers jours de l’exécutif, le chef du gouvernement était l’invité, mercredi soir, des deux chaînes nationales Al Aoula et 2M, pour revenir sur ce premier bilan. Véritable grand oral médiatique d’Aziz Akhannouch, après sa toute première comparution devant les deux Chambres du Parlement, en octobre dernier, l’interview a permis au chef de l’exécutif de mettre en avant un premier bilan «marqués par des signes clairs de fidélité aux promesses et engagements annoncés», selon ses propos. Mais durant ses interventions, concises et calculées, le chef du gouvernement est resté vague sur plusieurs questions, n’hésitant pas à glisser plusieurs imprécisions et erreurs factuelles.

1. Le gouvernement «applique» les recommandations du comité scientifique [FAUX]

Interrogé sur la polémique relative aux décisions prises par l’exécutif contre la propagation de la Covid-19 et notamment la fermeture des frontières, Aziz Akhannouch a qualifiée cette décision de «bonne». «Il y a un comité scientifique et un comité ministériel qui prennent des décisions qui nous impliquent et que nous suivrons», a-t-il répondu aux questions d’Abdellah Tourabi et Yassine El Idrissi. «Les membres du comité donnent les orientations scientifiques que nous suivons», a-t-il ajouté.

Toutefois, dans le cadre du suivi de la situation épidémiologique au Maroc, le comité scientifique et technique au Maroc n’a qu’un rôle consultatif. Ses avis ne sont qu’un élément (qui peut être ignoré par le gouvernement) dans la prise de décision qui reste avant tout politique. En témoigne la polémique, née début décembre, sur des indiscrétions ayant fuité dans la presse, faisant état de l’avis favorable du comité quant à la réouverture des frontières. «Le comité ne se prononce pas sur la question de l'ouverture des frontières aériennes, mais donne plutôt des recommandations», avait martelé le ministre de tutelle Khalid Ait Taleb.

2. Nadia Rmili a démissionné pour se «consacrer pleinement à ses fonctions» [Faux]

Sur les premiers faux pas du gouvernement, notamment le «remaniement» ministériel rapide entrepris en octobre, avec le remplacement de Nabila Rmili, nommée par le roi au ministère de la Santé et de la protection sociale, par son prédécesseur Khalid Ait Taleb, Aziz Akhannouch a repris le communiqué du cabinet royal. «La ministre a constaté qu’il y une pression et que Casablanca a ses problèmes. Il fallait trouver une alternative dans des circonstances importantes», a-t-il déclaré. Or, la composition du gouvernement a été dévoilée après l’élection des nouveaux maires et les formations des nouveaux bureaux des conseils. Le remplacement de Nadia Rmili par Khalid Ait Taleb au pied levé montre un désaveu de celle qui dirige aujourd’hui la mairie de la capitale économique. D'ailleurs les autres ministres-maires de grandes villes, Aziz Akhannouch en premier lieu, cumulent leurs mandats sans se soucier de «se consacrer pleinement à [leurs] fonctions» locales.

3. La maire de Rabat n’a pas embauché son mari en tant qu’avocat [FAUX]

Enchaînant sur les faux départs, Aziz Akhannouch a abordé le cas d’Asma Rhlalou, maire de Rabat sous les couleurs du RNI et la polémique née suite aux révélations sur la désignation de son mari Saad Benmbarek, pour défendre la commune. «Elle a embauché son mari pour une affaire personnelle qui concerne les élections et non pas la commune», a répondu le chef du gouvernement. «Il l’a défendu dans une affaire personnelle. Il n’a pas été mandaté par la commune» de Rabat, insiste-t-il.

Toutefois, selon un document fuité fin octobre, le conseil de la ville de Rabat, dirigé par Asmaa Rhlalou, avait bel et bien mandaté l’avocat Saad Benmbarek pour le défendre face à un élu souhaitant invalider l’élection d’un président d’une commission à la mairie de la capitale.

4. Le pass vaccinal «obligatoire» dans les administrations, des surfaces et certaines sociétés privées [IMPRECIS]

Interrogé sur l’obligation du pass vaccinal, qui a provoqué plusieurs manifestations au Maroc, le chef de l’exécutif a assuré qu’il «a une application de l’obligation du pass vaccinal dans les administrations, des commerces et certaines sociétés privées». Sa déclaration reste imprécise, laissant entendre que la décision est appliquée à la lettre.

En effet, l’expérience sur le terrain a montré une application aléatoire de la décision qui n'a jamais vraiment réussi à être généralisée. A titre d’exemple, la quasi-totalité des grandes surfaces, les magasins et plusieurs commerces n’exigent pas le pass vaccinal. De plus, les cafés et les restaurants, lieux très fréquentés par les Marocains, ont annoncé dès les premiers jours qu’ils n'appliqueront pas cette obligation à leur clientèle.

5. Le pouvoir d’achat des citoyens «n’a pas été impacté» par les hausses des prix [FAUX]

Revenant sur les dernières hausses des prix ressenties par les citoyens, le chef du gouvernement a balayé d’un revers de main tout impact sur le pouvoir d’achat. Pour argumenter, Aziz Akhannouch a rappelé que l’inflation a été de 1,8% en 2021 et sera maintenue en 2022. Un chiffre qu’il a comparé à celle en Turquie (+35% en 2021), aux Etats-Unis (+7%) ou en Espagne (+6,7%).

Toutefois, si l’inflation au Maroc est moins importante que dans d’autres pays, ses effets sur le consommateur marocain ne sont pas négligeables. Car bien que les chiffres annuels du HCP cités par Aziz Akhannouch soient vrais, ils restent globaux et ne reflètent pas les tensions sur les prix de certains produits. De plus, bien que le niveau de l'inflation sur un an reste bas comparé à d'autres pays, les prix ont largement accéléré pendant la seconde moitié de l'année dernière. A titre d'exemple, en glissement annuel, l'inflation a atteint 1,7% en octobre 2021 contre 2,6% en novembre 2021.

Toujours sur l'impact sur le pouvoir d'achat, la flambée des prix à l’international a fait augmenter ceux du pain. En septembre dernier, des associations de protection du consommateur ont dénoncé une hausse des prix de cette denrée, entreprise pendant la campagne électorale, par les boulangers qui ont brandi «l’exposition du secteur à l’évolution des cours mondiaux».

Les mêmes ONG avaient dénoncé également, en février 2021, la hausse des prix de l’huile au Maroc, confirmée récemment par un rapport du Conseil de la concurrence. La hausse des prix est également palpable à la pompe avec un litre de diesel gravitant autour de 10 dirhams désormais.

6. L’Etat prend en charge «les salaires de certains employés du secteur» du tourisme [Faux]

Mettant en avant le programme d’urgence approuvé par son gouvernement pour sauver le tourisme, le chef du gouvernement a laissé entendre que l’Etat prendra en charge «les salaires de certains employés du secteur». «Nous payerons aussi les taxes locales et nous avons vu avec les banques pour les échéances de crédits», s’est-il félicité.

En réalité, l’Etat ne payera pas les salaires des employés du secteur du tourisme. Le plan d’urgence d'un montant de 2 milliards de dirhams (MMDH) pour le soutien du tourisme approuvé par le gouvernement prévoit, en effet, un «prolongement du versement de l’indemnité forfaitaire de 2 000 dirhams durant le premier trimestre 2022, pour l’ensemble des employés du secteur du tourisme, les transporteurs touristiques et les restaurants classés». Il s’agit ainsi d’une indemnité forfaitaire plafonnée pour les personnes déclarées à la CNSS qui n'équivaut même pas au salaire minimum légal.

7. Qualité des interventions de certains parlementaires ? La faute aux citoyens [Faux]

Interpellé sur la qualité des interventions de certains parlementaires, qui ont créé une polémique sur les réseaux sociaux, Aziz Akhannouch a brandi la démocratie pour se désengager de toute responsabilité. Il a ainsi assuré que les parlementaires critiqués aujourd’hui «ont été choisis par les citoyens».

Sa réponse évacue trop rapidemment la responsabilité des partis. En effet, si les citoyens ont élu, par un scrutin proportionnel plurinominal, le vote s’est fait sur la base de listes de candidats, elles-mêmes établies par les partis politiques. Ces derniers sont ainsi directement responsables des parlementaires qui ont été élus. Qui plus est, les électeurs ne peuvent être tenus responsables de la médiocrité des élus. C'est au contraire à ces derniers de se montrer dignes du mandat qui leur a été conféré par le peuple.

8. La majorité reste «ouverte» aux propositions de l’opposition [FAUX]

La démocratie en tant qu’argument a été réutilisée par le chef du gouvernement pour défendre sa majorité au Parlement. Interrogé sur l’opposition et ses craintes quant aux limites de son rôle, Aziz Akhannouch a rappelé que les partis formant la majorité ont été choisis par les électeurs. Il s’est toutefois rattrapé en assurant que la majorité reste «ouverte» aux propositions de l’opposition. Une ouverture qui a montré ses limites.

En effet, il y a quelques jours, les partis de l’opposition ont dénoncé l’inaction du gouvernement et sa majorité quant aux propositions de lois émanant des députés de l’opposition. Ils ont également critiqué la faible réaction du gouvernement avec les questions écrites posées par les députés de la nation, tout comme les demandes des députés pour convoquer à des réunions de commissions parlementaires. L’opposition a expliqué que parmi les 1 706 questions posées, le gouvernement n’a répondu qu’environ le tiers, soit 509. 

9. Le gouvernement actuel venu «mettre en œuvre le chantier de protection sociale» [IMPRECIS]

Interrogé sur le dossier de la protection sociale, Aziz Akhannouch a reconnu qu’il s’agit d’un chantier royal, qui vient confirmer la notion de «l’Etat social», assurant que son cabinet est «venu mettre en œuvre» ce chantier. Ses propos laissent entendre que la mise en œuvre de ce grand projet a commencé avec la prise de fonction du gouvernement qui n’a publié pour le moment que des décrets.

Or ce chantier a été lancé en avril 2021 par le roi Mohammed VI lors d’une cérémonie. Le gouvernement précédent, présidé par Saadeddine El Othmani a débuté cette mise en œuvre en adoptant, lui aussi, plusieurs décrets. D’ailleurs, le 10 mai, devant les députés, l'ancien chef du gouvernement a fait une présentation sur les actions de son exécutif pour mettre en œuvre le chantier royal. De plus, trois projets de décrets relatifs aux régimes de l'AMO et des pensions, similaires à ceux adoptés par l’actuel gouvernement, ont été approuvés en septembre 2021.

10. Le vote des MRE, une question «posée à la dernière minute» [FAUX]

L’une des plus grandes bourdes du chef du gouvernement concerne la participation politique des Marocains résidant à l’étranger. Bien que le programme gouvernemental n’accorde aucune attention à cette catégorie de Marocains, le chef du gouvernement a tenté une pirouette en assurant que cette question de participation politique «a été évoquée «aux dernières minutes avant les élections». «Ce dossier nécessite une étude et une logistique. Il s’agit de 5 millions de Marocains établis à l’étranger et cela doit être préparé», a-t-il justifié. Jouant sur les mots, il a évoqué une sorte d’«avantages» accordés aux partis qui présentent sur leurs listes des élus issus de la diaspora». «Pour le RNI, dans la liste des femmes, nous avons intégré une Marocaine résidant en Espagne pour présenter à la fois la diaspora et les citoyens de l’Oriental», s’est-il justifié. Sur les traces de ses prédécesseurs, Aziz Akhannouch a renvoyé aux calendes grecques cette question, évoquant une possibilité pour les prochaines élections législatives en 2026.

Pourtant, la participation politique des MRE est une revendication qui date de plusieurs décennies. Le discours royal invoquant cette représentativité a été prononcé par le souverain en 2005 avant que la Constitution de 2011 ne vienne entériner ce droit. L’année dernière, à la vielle des réformes des lois électorales, des partis ont voté contre la participation des MRE.

Des responsables politiques et militants MRE ont fait part de leur «déception» quant à ce vote, alors qu’ils avaient obtenu des promesses des directions de partis à la veille de ce vote. Ils ont également affirmé ne pas comprendre l’attitude de leurs propres formations politiques.

Article modifié le 20/01/2022 à 16h59

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