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Interview

Emplois au Maroc : Le programme «Awrach», du «social» destiné à «apaiser les tensions»

Tout comme l’opposition parlementaire qui considère le programme «Awrach», récemment lancé par le gouvernement comme «non fondé sur un emploi adapté et soutenable», l’économiste Azeddine Akesbi rappelle que «les besoins en matière de création d’emploi sont supérieurs aux chiffres promis».

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Photo d'illustration. / DR
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Cette semaine, les conseillers parlementaires des partis de l’opposition ont averti que le programme d'emploi «Awrach», lancé la semaine dernière par le gouvernement, ne se transforme «en une nouvelle usine pour produire des chômeurs», en raison du fait qu’il propose des emplois temporaires. En présence de Younes Sekkouri, ministre de l’Inclusion économique, e la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, ils ont rappelé au gouvernement la nécessité de «préserver la stabilité sociale des bénéficiaires».

Le professeur d’économie et expert en économie de l’emploi et du marché du travail, Azeddine Akesbi, revient avec Yabiladi sur la situation de l’emploi au Maroc et ce nouveau programme.

En plein débat sur la politique du gouvernement, pensez-vous que l’économie marocaine est capable de créer des emplois l’heure actuelle avec les chiffres avancés ?

Nous sommes depuis mars 2020 dans une situation de crise importante, avec une baisse d’activités dans beaucoup de secteur de manière importante, en particulier le tourisme et tous les secteurs qui tournent autour. La fermeture des frontières dernièrement n’arrange pas les choses tout comme l’année agricole qui se profile. Je peux rappeler aussi qu’on a perdu l’équivalent de 3 ans de création d’emplois en 2020.

Au Maroc, les créations d’emploi ne dépassent pas 130 000 en moyenne, qui peuvent légèrement augmenter ou baisser. Le chiffre qui a été donné par le nouveau modèle de développement est de 144 000 emplois annuels sur une longue période. Le gouvernement a déjà promis la création d’un million d’emplois nets dans son programme. Ces deux chiffres sont farfelus à la lumière de l’expérience et de la structure économique du pays.

Depuis les assises de l’emploi de 1998, nous avons fait de petites bricoles. Le bilan est globalement extrêmement modeste sinon limité et c’est chiffre à l’appui. A part Intilaka, lancé en 2020, qu’est-ce qu’il y a comme chantier envisagé, dans une conjoncture économique extrêmement dépressive ? Sincèrement, je ne vois pas ce qu’ils peuvent avancer comme projets pour créer, de manière inhabituelle par rapport aux tendances historiques de l’économie marocaine, des emplois.

Ceci-dit, dans la conjoncture actuelle, quelle comparaison faites-vous entre les chiffres avancés et les besoins ?

Il faut rappeler que parfois, les gouvernements utilisent des chiffres en brut, qui n’ont pas de sens. Il faut voir ce qui se crée, ce qui disparait et ce qui reste, soit le net.

Globalement, sur la base des données relatives à l’économie globale du pays, sa situation ou par rapport à l’expérience politique du Maroc en matière de création d’emploi très modeste et des résultats très médiocre, je ne vois pas d’où l’exécutif sortira ces emplois.

Les besoins en matière de création d’emploi sont supérieurs aux chiffres promis. Il ne s’agit pas de rêver mais de voir ce que l’économie arrive réellement à faire en situation normale, soit entre 130 000 à 144 000.

Comme vous le savez, un taux de croissante de 1% permet de créer environ 28 000 à 32 000 emplois. Avec le taux de 3,2% qui figure dans la Loi de finance 2022, nous sommes autour de 90 000 emplois créés. A mon avis, s’ils arrivent à préserver l’emploi actuel, vu la conjoncture dans beaucoup de secteur et en particulier le tourisme et maintenir la création des emplois habituels, ce serait un grand exploit.

L'économiste Azeddine Akesbi. / Ph. Mounir Mehimdate -HespressL'économiste Azeddine Akesbi. / Ph. Mounir Mehimdate -Hespress

Pour le programme Awrach, les associations et les coopératives seront appelées en renfort. Qu’en pensez-vous ?

Depuis au moins 2014, il y a eu une politique de casser toutes les associations et les ONG sérieuses, alors comment vous voulez leur donner des chantiers ? De plus, nous avons une politique qui consiste à déléguer et à sous-traiter aux associations, sachant que celles-ci ont très peu de moyens et de capacités. Ils ont aussi un environnement hostile. Pourquoi faire par la société civile ce que le secteur privé et l’Etat n’arrivent pas à faire ?

Si c’est une forme de l’Entraide nationale, c’est une autre question. C’est du social pour apaiser une crise. On crée des emplois via l’activité économique. C’est lié à la croissance et véritablement à la solution d’un problème important de financement. C’est globalement quel développement le Maroc est en mesure d’assurer. On n’est pas dans ce cas de figure car la situation n’est malheureusement pas du tout bonne. D’ailleurs, vous voyez cela dans le décalage entre le rapport sur le nouveau modèle du développement et le programme gouvernemental : nous parlons de 5,5% de taux de croissance pour le premier, qui ne figure pas dans le deuxième.

Plusieurs annonces sont de simples vœux ou des discours pour endormir ou apaiser des tensions sociales, car s’ils avaient véritablement une volonté de créer des emplois, on n’aurait pas traité un secteur comme le tourisme et beaucoup d’autres de cette manière-là. Je pense que toute la politique de gestion de la pandémie n’a pas tenu compte des exigences et des contraintes de l’économie. On pense à autre chose mais pas aux conséquences sur le plan économique.

Quelle aurait été la priorité, selon vous ?

La priorité maintenant est de sortir le pays du marasme, aussi bien économique que sur le plan social, car les gens souffrent.  La dernière enquête du HCP montre que les ménages ont une appréciation pessimiste de la situation et des perspectives. La priorité aurait été de ne pas fermer le pays sans justification, d’un point de vue des données épidémiologiques. Il ne fallait pas fermer les frontières et croire que le problème sera résolu.

La gestion de la pandémie a des conséquences sur l’économie et le social et cela qui mériterait d’être sérieusement revu pour apprécier l’impact des décisions qui se prennent sur la situation du pays, y compris l’emploi. Car lorsque vous arrêtez un secteur aussi important que le tourisme, avec les agences, les transports, l’évènementiel, vous portez atteinte à l’emploi existant et non seulement les créations.

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