«La critique est aisée et le critique dans l’aisance». Cet adage intemporel, de Jules Renard, devrait résonner comme une mise-en-garde – sinon déontologique, au moins morale – dans la tête des journalistes faciles de la gâchette qui décochent les accusations plus vite que les arguments qui les supportent. Dernier exemple en date, la tribune de la journaliste du site d'information Rue89, Camille Poloni, dans laquelle cette dernière passe au crible les trois premiers mois de la diplomatie française sous l’ère Hollande. Bien qu’essentiellement consacré à la mise en relief des contradictions du chef de l’Etat français – qui avait promis de «ne pas inviter de dictateurs à Paris» mais qui le fait quand même – ce papier choque. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il place le Maroc au rang des dictatures – ou tout du moins, des régimes autoritaires – au même titre que le Gabon, le Bahreïn, l’Arabie Saoudite ou encore la Jordanie.
«La consultation de cet agenda montre qu’au moins six autres représentants de pays autoritaires ou franchement dictatoriaux ont été reçus par François Hollande depuis son élection. [A commencer par] le Mohammed VI, Roi du Maroc», écrit la journaliste.
La visite à l’Elysée du Roi du Maroc ouvre le bal des «despotes»
En visite privée en France, le Roi du Maroc a effectivement été accueilli par le «président de la normalité» française au lendemain de son élection, ouvrant ainsi le bal des rencontres de la diplomatie hexagonale avec ses partenaires étrangers. A ce propos, Mme Poloni satirise sur «l’escale» de l’altesse marocaine à l’Elysée, «palais remarquable à ne pas manquer quand on vient pour les vacances».
Railleries ineptes à l’écart, ce que la journaliste condamne, c’est essentiellement «la langue de bois» du chef de l’Etat français qui, au lieu de «parler de la prison pour les artistes contestataires» (cf. l’affaire Mouad Belghouat)», de «la répression du Mouvement du 20 février en période de crise sociale intense» ou du «durcissement du régime depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes», a préféré adresser au souverain marocain un message d’amitié, agrémenté de vœux sincères et de chaleureuses félicitations en regard des «processus de réforme démocratique, économique et sociale en cours dans le royaume».
Si l’on explicite le raisonnement de Mme. Poloni, François Hollande aurait dû profiter de l’occasion de cette rencontre pour aborder – avec l’aisance qui est sienne dans pareilles circonstances – les sujets qui fâchent et qui justifient allègrement, selon elle, la place du Maroc au rang des pays dictatoriaux, au même titre que la présidence héréditaire du Gabon, pour ne citer que cet exemple-ci, par hasard.
Le Maroc, dictature paisible …
Outre le caractère dommageable qu’une telle entrevue aurait pu avoir sur les relations diplomatiques entre nos deux pays, on est en droit de se demander si la journaliste mesure pleinement la portée de son accusation sèche de la gouvernance marocaine.
Tout d’abord, considérer le Maroc comme une dictature – ou tout du moins, comme un régime autoritaire – sur la base de l’emprisonnement d’un chanteur contestataire, c’est comme de réduire la France à un pays fasciste parce qu’un couple de Français isolés a tiré sur des jeûneurs musulmans : de la stigmatisation franche au service d’une argumentation simpliste. De deux, si d’aventure la crise sociale qu’a connu le Royaume en février 2011 avait été écrasée par la répression, comment expliquer dans ce cas que le Maroc soit le seul pays du Maghreb (avec l’Algérie) a ne pas avoir connu la déferlante du printemps arabe ? La population marocaine craignait-elle de voir «la main de fer» du pouvoir en place s’abattre sur elle ? Dans ce cas, comment Mme Poloni peut-elle expliquer que le Maroc ait hérité de la 54ème place (sur 158) au classement des pays les plus paisibles au monde, en enregistrant, de surcroit, une progression de 2 places cette année par rapport l’an passé ? Et puis, quid de ce fameux «durcissement du régime depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes» ? Le ressenti d’une journaliste vivant à l’étranger peut-il se substituer à la présentation d’un argument fondé pour justifiant une telle allégation ?
Jacques Chirac : «La monarchie reste le seul garant de la stabilité du Maroc»
Certes, la situation n’est pas des plus roses au pays du Couchant Lointain, le Maroc ayant encore de vastes chantiers à entreprendre dans le cadre de la mise-en-œuvre de ses réformes démocratiques. Cela dit, les efforts déployés par le pays, le roi et son gouvernement sont réels et ont d’ailleurs été, à plusieurs reprises, salués par la communauté internationale, comme ce fût le cas après l’adoption de la nouvelle Constitution par exemple.
Aussi, si le Maroc continue d’avoir mauvaise presse auprès de certains journalistes occidentaux –français en particulier, c’est probablement davantage en raison du tropisme de ces derniers à amalgamer royauté et autoritarisme qu’en raison de leur faculté à comprendre, avec nuances et sagacité, les réalités du pays dont il parle. D’ailleurs, que répondraient-ils à Jacques Chirac qui a déclaré en 2011 que «la monarchie restait le seul garant de la stabilité du Maroc» ? Face à l’omnipotence de la doxa journalistique, il n’est pas improbable que l’ex-président français, amoureux du Maroc, aurait évité de tenir ses propos s’il était toujours en fonction aujourd’hui. Cela dit, il en est un, de lui d'ailleurs, qu’il pourrait continuer de répéter à foison parce qu'empli de sagesse : «Prenons garde que notre esprit critique ne se transforme en esprit de dénigrement systématique...». A bon entendeur.