Désigné en 1902, secrétaire de la légation française de Tanger, Eugène Aubin s'exécute conformément aux consignes de son pays et entame son périple chérifien. Sa mission le conduit très vite à quitter Tanger pour un voyage long de 16 jours jusqu'à Mogador (actuelle Essaouira) où il arrive le 10 novembre 1902.
Malgré la rudesse du voyage, le diplomate s’empresse de comparer les huit points de la côte marocaine, qualifiant le port de Mogador de «seul qui donne à peu près l’idée d’un port». En effet, entre la fin du 18e siècle et la première moitié du 19e siècle, le port commercial de Mogador était devenu le plus important du pays. S’ensuit dans ses écrits des éléments d’histoires sur la naissance de la ville. Ainsi, on peut lire que «l’origine de Mogador est récente, et les circonstances qui ont provoqué sa fondation ont également déterminé les conditions de son existence et de son développement. Elle est née, en 1760, d’une volonté chérifienne, sur les ruines d’un petit établissement portugais». Et d’ajouter que le Sultan Sidi Mohammed ben Abdallah, après un différend avec les Soussis, prit le parti de les réduire en les ruinant. Il ferma donc le port d’Agadir et fit construire, pour le remplacer, la ville de Mogador.
Aux origines de l’appellation Essaouira
C’est en raison de son édification innovante, que la ville d’Essaouira porte son nom. En d’autres termes, la construction de la nouvelle ville est confiée à Théodore Cornut qui imagine une conception hybride, réunissant à la fois le plan traditionnel marocain et le tracé de l’alignement français. Cette association attribua à la ville, de par son caractère novateur, le nom d’Essaouira (le petit tableau).
Au début du 19e siècle, Mogador comprenait une population de 20 000 à 25 000 habitants, pour la majorité originaires du Souss. Eugène Aubin écrit : «Lors de la fermeture du port d’Agadir, le commerce local fut invité à se transporter à Mogador et une colonie de juifs du Sous (sic) furent les premiers à s'installer dans le mellah à la suite de leur trafic primitif».
Les deux kasbah
Dans la continuité de son récit, le diplomate dépeint les deux kasbah comme «le centre de la vie européenne». Ces emplacements sont des carrefours où se mélangent des étrangers et une population juive de quelques deux milles résidents aisés. Quant aux immeubles, le Makhzen se charge de les louer à raison de 6 % du capital investi. Cette configuration permet aux européens d’être logés «a fort bon compte dans de vastes maisons ouvertes sur des patios intérieurs et distribués selon un modèle identique, le rez-de chaussée servant de magasin et le premier étage a l’habitation», relate Eugène Aubin.
Bien que les négociants juifs de la ville dominent le commerce, le marché européen sur place génère du profit. Il est représenté par cinq grandes maisons, une italienne, deux allemandes et deux françaises. Au sujet de l’exportation, le diplomate affirme que «le principal débouché des amandes est l’Allemagne, puis l’Angleterre ; la France ne s’adresse au Maroc pour cet article qu’en cas d’insuffisance de la production italienne ; les cires, les gommes et les huiles vont également en Allemagne, puis en Angleterre ou en France ; les peaux en Angleterre, aux Etats-Unis ou en France».
La ville de Mogador n'était qu'une étape pour le diplomate qui poursuivra son périple à la découverte du Maroc par Marrakech.