Il y a tout juste quelques semaines, deux accidents d’autocars survenus à quelques heures d’intervalles faisaient 27 morts et plusieurs blessés graves. Ces accidents – le premier dû à un excès de vitesse, le second, à une échauffourée entre le chauffeur et l’un de ses passagers – ont évidemment suscité une vague d’émoi considérable au sein de la société marocaine. Puis le temps est passé. Effacé les mémoires. Imposé son acceptation de la fatalité. Noble conscience devant l’Eternel, le marocain s’en est retourné à lui-même, revenu à son irréductible normalité : celle d’un conducteur indiscipliné dont l’inconséquence au volant occasionne, année après année, la mort de plus de 4000 personnes et l’invalidité à vie de quelques 15 000 autres.
Car aussi spectaculaires soient-ils, les accidents d’autocars ne représentent qu’une part «infime» du nombre de décès sur la route. «En 2011, ils n’ont occasionné «que» 70 décès» révèlent la Vie Eco. De fait, la plupart des accidents mortels au Maroc sont provoqués par des chauffards qui ne respectent pas le code de la route : ainsi, des 4222 décès enregistrés sur les routes marocaines en 2011, 1508 ont été causés par une voiture, 923 par un deux roues avec moteurs, 255 par un camion et 8 par un autobus. Fait anecdotique : les deux roues sans moteurs ont également provoqué la mort de 235 personnes l’année dernière.
Ceci dit, si les conducteurs sont les principaux responsables de cette hécatombe routière, ils ne sont pas les seuls à devoir être incriminés : les piétons, qui confondent souvent la route avec le trottoir, participent eux aussi activement de la gabegie meurtrière qui sévit sur les routes marocaines. 1141 sont morts à la suite d’une collision l’an passé. Un chiffre en hausse de 14,67% par rapport à 2010 et dont la croissance est symptomatique d'une aggravation en creux de la situation.
A chaque durcissement des contrôles, les accidents mortels diminuent
Car de fait, la situation empire. En 15 ans, le nombre de tués sur routes a augmenté de 50% au Maroc, passant de 2807 morts en 1996 à 4222 aujourd’hui. Durant cet intervalle, la hausse a été régulière et quasi-constante, à l’exception de deux années, 2005 et 2009, toutes deux marquées par un durcissement du contrôle et des sanctions.
En 2005, qui correspond à la première baisse significative du nombre de morts sur route (-277 morts par rapport à 2004), l’état marocain avait mis en œuvre la première phase du PSIU (Plan stratégique intégré d’urgence) en émettant une circulaire autorisant le retrait de permis de conduire en cas de non-paiement d’une infraction ou de conduite en état d’ivresse. Principalement concernés, les parlementaires avaient alors exercé une pression sur les ministères de la justice et du transport pour que la circulaire en question soit abrogée. Avec succès. S’en était suivi alors une recrudescence du nombre d’accidents mortels entre 2006 et 2009, date de la mise en place de la seconde phase du PSIU. Derechef, celle-ci s’était traduite par un recul du nombre de tués sur route (-120 entre 2008 et 2009) bien que la barre des 4000 morts fût aussi franchie cette année-là (4042).
Conducteurs, Etat, corruption : le responsable porte plusieurs chapeaux
La baisse de 2009 laissait néanmoins préfigurer d’une amélioration de la situation, surtout qu’en octobre 2010 était attendu un nouveau Code de la route, avec ses amendes en augmentation, ses radars, son permis à point et son alcootest. Que nenni ! Après une sensible baisse du nombre d’accident mortels enregistrés en 2010 (3778 tués), le naturel des chauffards marocains revenait au triple-galop en 2011 puisqu’ils «pulvérisaient» le record du nombre de tués cette année-là avec 4222 victimes en douze mois (soit une augmentation de +12% par rapport à 2010).
Evidemment, face à ces chiffres, tout semble indiquer que le conducteur marocain soit le principal responsable dans cette histoire. Et de fait, il l’est, «dans la mesure où il ne respecte la loi que sous la contrainte, voire la peur» commente la Vie Eco. Cela dit, au vu des faits exposés, il parait clair que l’Etat marocain a aussi sa part de responsabilité sur la question et qu’il lui faudra piloter plus efficacement – et, dans ce cas seulement, plus vite – sa politique de renforcement des contrôles pour que la donne ne change. Et mieux piloter pas que sa politique de renforcement des contrôles routiers mais également sa politique de renforcement du contrôle des contrôleurs routiers, en d'autres termes: agir contre la corruption . A cet effet, une étude de l’Instance centrale de prévention de la corruption publiée à la mi-juin faisait état du constat suivant : dans le secteur du transport marocain, le contrôle routier est le domaine où la prévalence de la corruption est la plus élevée avec un taux de 56,7%. Un chiffre qui se passe de tout commentaire.