Nouvelle étape dans le processus d’externalisation des frontières de l’Union européenne. Jeudi 21 juin, l’UE a paraphé avec la Turquie un accord de réadmission des immigrants en situation illégale, rapporte l’AFP. Cet accord, dont la première étape avait été conclue en janvier 2011, ne devrait aboutir, s’il aboutit, qu’en 2015.
L’objectif est, pour l’Union Européenne, depuis la fin des années 1990, d’obtenir de tous les pays «frontaliers» qu’ils acceptent de recevoir sur leur sol non seulement leurs propres ressortissants mais également les ressortissants d’autres pays qui auraient transité sur leur sol pour migrer vers l’UE. Maroc inclus. Selon la juriste Khadija Elmadmad, titulaire de la chaire UNESCO «Migration et Droits Humains», ce type d’accord, parce qu’il ne s’adresse pas seulement aux nationaux, est contraire au consensus du droit international.
L’accord conclu jeudi entre l’UE et la Turquie n’en est qu’à ses balbutiements mais s’il arrive à son terme, il sera le quatrième accord multilatéral que l’Union européenne parvient à faire signer à l’un de ses pays frontaliers, après la Moldavie et l’Ukraine en 2007 et la Géorgie en 2011.
Le Maroc, par le biais du statut de pays avancé octroyé par l’UE, en 2008, s’est vu demandé, lui aussi, d’accepter non seulement les Marocains en séjour irrégulier en Europe, que celle-ci lui renverrait, mais également les Subsahariens qui sont passés par le Maroc pour atteindre l’UE. Les négociations se poursuivent sans réellement avancer entre les deux parties «Ce qui bloque ce sont les migrants que l’Europe voudraient renvoyer au Maroc mais pour lesquels il n’y a pas de preuve qu’ils sont passés par le Maroc», explique Mehdi Lahlou, enseignant-chercheur à l'Institut National de Statistique et d'Economie Appliquée de Rabat et spécialiste des migrations. Une «excuse» pour le Maroc qui ne veut pas de cet accord.
La pression augmente-t-elle avec ce nouvel accord turco-européen pour que le Maroc accepte lui aussi de «réadmettre» les migrants subsahariens ? «Oui, le Maroc vient de prendre un petit coup de pression supplémentaire», estime Mehdi Alioua, enseignant chercheur en migration à l’Université internationale de Rabat, mais pour arracher cette seconde signature turque, l’Union européenne a dû faire des promesses : des facilités de visa dans le contexte d’une adhésion à l’UE. Des promesses impossibles à faire pour le Maroc.
L’Europe n’a rien à offrir au Maroc en échange de cet accord, par contre royaume à tout à perdre. «La rétention des immigrants illégaux et leur renvoi dans leur pays d’origine chaque année coûte 1,2 milliard d’euros à la France», indique Mehdi Lahlou. Un coût intenable pour le royaume qui ne possède aujourd’hui aucun camp de rétention des migrants clandestins. Surtout, de un tel accord susciterait immédiatement de violentes tensions avec les pays subsahariens d’origine qui recevraient des mains du Maroc leurs ressortissants expulsés d’Europe, alors que le royaume développe une politique économique active en direction de ces mêmes pays.
Le Maroc aurait également beaucoup à perdre dans la signature d’un tel accord. Toutefois, pourrait-il se voir imposer un accord dont il ne veut pas ? «Le Maroc n’a pas du tout le même poids politique, économique et démographique pour l’Union européenne que la Turquie», reconnait Mehdi Lahlou. «Si la Turquie avec sa puissance, doit accepter cet accord, alors qu’en est-il du Maroc dont la puissance économique est bien plus faible ?», s’interroge Khadija Elmadmad.
Cependant, le Maroc reste souverain sur les questions de frontières et ce qu’il a accepté de faire sous la pression européenne, il le fait du bout des doigts et dans la mesure de ses propres intérêts. Par exemple, «depuis que le HCR s’est installé en 2007 au Maroc, pour participer à cette «externalisation du droit d’asile» initié par l’UE elle a commencé à enregistrer les demandes d’asiles des migrants clandestins, mais le HCR ne peut pas se substituer au Maroc. Aujourd’hui, le HCR distribue les cartes biométriques aux personnes qu’ils déterminent comme réfugiés. Au Maroc, lors de contrôle de police, ces cartes n’ont quasiment aucune valeur», explique Mehdi Alioua.
Selon le chercheur il est improbable que le Maroc se retrouve un jour obligé ou décide volontairement de signer un accord de réadmission des clandestins transitant par son territoire, «parce que depuis que cette politique de «partage du fardeau migratoire» existe en UE, soit depuis près de 15 ans, les trop nombreuses dissension internes et les réticences externes ont permis la signature de seulement trois accords de réadmission.» Et tous les trois l’ont été avec des pays qui veulaient intégrer l’Union européenne.