Le Canada a annoncé la suspension de ses lignes aériennes directes avec le Maroc, depuis le 29 août dernier, compte de la situation épidémiologique liée au nouveau coronavirus dans le royaume. Mais pour des Marocains résidents au Canada et qui se retrouvent contrains de rester au moins un mois de plus dans leur pays d’origine, la décision serait liée aux affaires de fraudes, qui ont révélé le mois dernier des résultats non-concordants de tests PCR réalisés sur place avec les documents sanitaires de voyageurs en provenance du pays. Dans le cadre de l’émission «Faites entrer l’invité spéciale Marocains du monde» sur Radio 2M, en partenariat avec Yabiladi, trois Canadiens d’origine marocaine ont témoigné.
Cheffe d’entreprise à Montréal, Selma Regragui a fait part de son choc en apprenant l’information, fin août dernier. En contact direct avec l’ambassade du Canada au Maroc, elle a indiqué avoir proposé notamment que les services consulaires reçoivent directement les tests PCR. «Mais il fallait toujours revenir à Ottawa et voir les possibilités, et cela bloque au niveau central où l’on ne veut rien savoir de tout ce qui vient du Maroc», a-t-elle déploré. Travailleuse autonome à Montréal également, Karima Chafaï avait acheté des billets pour elle et ses trois enfants, mais impossible de les utiliser ou de les changer depuis l’entrée en vigueur de cette mesure.
Plus de 10 000 ressortissants au dépourvu
Pour l’écrivain et journaliste Mohamed Lotfi, résident au Canada, «ne pas avertir au moins 11 000 ressortissants canadiens de ce qui pourrait leur arriver et l’annoncer très vite avec toutes les conséquences que cela a sur les familles, les enfants et le travail est un coup bas». «C’est une décision insensée, non fondée sur des données scientifiques», a-t-il dénoncé, soulignant que le Canada est en pleine période de campagne électorale pour le scrutin fédéral du 20 septembre.
«Le fait pour le gouvernement ne veuille pas revenir sur cette décision est surtout pour ne pas avoir l’air de céder à l’opinion publique. Cette mesure est aussi une insulte pour le Maroc, ses compétences et ses laboratoires mais le Maroc ne réagit pas non plus. Nous sommes pris en sandwich entre deux Etats qui ne réagissent pas.»
Selma Regragui décrit une situation qui a plongé les ressortissants, du jour au lendemain, dans l'expectative. «Il y a des Canadiens sans attache avec le Maroc et qui se sont retrouvés bloqués aussi. Certains ont été mis à pied ou ont perdu leur travail. On essaye de venir en aide à tout le monde de manière autonome, mais le pire en effet est que nous ne pourrons pas voter (…) J’ai laissé trois voix – mon mari et mes deux enfants – au Canada et qui pourraient ne pas voter pour le gouvernement qui a mis leur famille dans cette situation», a-t-elle indiqué, suggérant la possibilité d’un vote sanction.
Danse ce contexte, Karima Chafai décrit sa fille de 21 ans «presque en dépression» à l’idée de ne pas pouvoir rentrer et voter, envahie par le sentiment de ne pas être citoyenne canadienne à part entière. «Si mon fils de 17 ans n’était pas revenu avant le 23 septembre au Canada, il aurait perdu son année. Il est finalement parti cette semaine avec son père, grâce à un vol avec escale aux Etats-Unis», a confié la Marocaine, dont l’époux tient une entreprise qui doit impérativement reprendre son activité.
Des responsables canadiens informés mais pas de réactions
En contact direct avec le chef du Bloc québécois «qui prend le temps de répondre mais qui n’a pas encore réagi officiellement», Mohamed Lotfi est pour sa part décidé à ce que les Canadiens d’origine marocaine fassent valoir leurs droits. «Je continue à dire que je suis canadien et parce que je le suis, et parce que nous sommes canadiens plus que jamais, nous employons tous les moyens que le Canada nous donne pour défendre nos droits», a-t-il insisté.
Dans ce sens, le journaliste et écrivain a indiqué qu'il «y aura un recours collectif pour poursuivre le gouvernement canadien à cause de cette décision et c’est une avocate canadienne d’origine marocaine qui a été elle-même victime avec ses trois enfants de cette situation qui a déjà entamé ce recours». Selon lui, l’avocate «a réussi à partir en passant par la Turquie pour 3 000 dollars le billet». Et d’ajouter que «dans le passé, on a mobilisé tout ce qu’il faut pour rapatrier les citoyens canadiens de partout dans le monde, à cause de la crise sanitaire. Si l’on avait jugé vraiment que la situation était trop grave au Maroc pour les ressortissants canadiens, c’est une raison de plus pour les rapatrier».
Faute d’actions dans ce sens, Mohamed Lotfi «ne pense pas que c’est pour [des raisons purement sanitaires] que la décision a été prise». Pour lui, le gouvernement canadien «s’est rendu compte que c’était injuste mais que s’il faisait marche-arrière il allait perdre des points». La politique nnest jamais loin.