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Interview

Racisme : «Les parents ne réalisent pas que leurs enfants se rendent compte de ce qui se passe» [Interview]

En librairie depuis le 10 septembre en France, «Le petit manuel antiraciste pour les enfants (mais pas que !)» est la nouvelle bande dessinée de l’illustrateur franco-marocain Rakidd. Comme son nom l’indique, elle n’est pas destinée uniquement à un lectorat de jeunes, puisque l’auteur a su à la fois marier images captivantes et interventions de spécialistes des questions de racisme.

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«Le petit manuel antiraciste pour les enfants (mais pas que !)» (éd. Lapin) par Rakidd
Temps de lecture: 3'

Intitulé «Le petit manuel antiraciste pour les enfants (mais pas que !)» (éditions Lapin), le troisième livre de l’illustrateur franco-marocain Rakidd est aussi sa première bande dessinée. Après «Le Monde de Rakidd» en 2016 et son roman graphique «Gribouillages» en 2018, l’artiste a choisi de traiter les différentes dimensions du racisme et des discriminations, dans un langage qui parle aux lecteurs de 7 à 77 ans.

Enfant, vous avez été victime de racisme. Les illustrations dans cet ouvrage partent-elles de votre vécu ?

Il n’y pas vraiment d’illustrations liées directement à moi en tant qu’enfant, car j’ai voulu concevoir cette bande dessinée de manière à ce qu’elle parle à plein d’enfants, tous différents les uns des autres. Ceci dit, je parle à un moment des différences entre «arabes», «musulmans», «maghrébins», des compliments qui veulent sembler gentils mais qui sont racistes au fond. J’ai pu vivre cela quand j’étais enfant et une fois adulte, j’ai voulu expliquer aux gens que ce n’est pas bien.

L’idée est d’expliquer ces choses à un enfant, à un adolescent et à un adulte à la fois. Il y a plein de choses que les adultes vont apprendre avec les enfants, en lisant cette BD. Pour accrocher les plus petits et ne pas les ennuyer, il fallait que ce soit beau visuellement. Il y a de l’humour pour faire passer des idées, mais aussi beaucoup de pédagogie, pour comprendre ce qu’est un préjugé, un stéréotype, pour savoir que veut dire xénophobie… Tous ces termes-là qu’on entend, que les enfants entendent à longueur de journée mais qu’ils ne distinguent pas forcément.

Il y a aussi un chapitre consacré au blackface, un à islamophobie, un sur les asiatiques ou encore sur les juifs. Les thématiques sont réparties en petits segments, pour essayer de répondre aux questions que se posent les enfants sur ces concepts.

Comment s’est fait le travail avec les spécialistes du sujet et qui ont été associés à la BD ?

Pour chaque thématique à peu près, l’idée a été d’aller chercher des spécialistes dans le domaine. Pour les enfants roms, par exemple, j’ai fait intervenir l’avocat, écrivaine et militante Anina Ciuciu pour parler de l’accès de ces enfants à l’école. Il y a beaucoup de problème que moi-même je ne connaissais pas, mais le fait d’échanger avec les spécialistes, chacun dans son domaine, m’a permis d’avoir un vrai argumentaire et des référence solides, le long des chapitres.

J’ai procédé tout d’abord en listant les thèmes qu’en tant qu’enfant, j’aurais aimé qu’on m’explique. Il y avait 100 chapitres au début, la BD aurait pu faire 600 pages, mais il fallait élaguer tout cela et équilibrer entre l’espace donné à chaque sujet de manière équitable. J’ai fait ensuite un nouveau filtre en sélectionnant ce qui collait le plus avec l’actualité, comme le blackface par exemple, afin que les enfants comprennent mieux les thématiques dont ils entendent beaucoup parler dans l’actualité et dans le quotidien.

J’ai essayé ensuite de prendre attache avec les spécialistes dans chaque domaine. J’avais quelques contacts mais j’ai dû fouiller pour d’autres sujets, comme le racisme anti-asiatique par exemple. La plus grosse partie du processus a été celle du dessin. Au rythme de deux heures par jours vu que j’étais sur autre chose, j’ai travaillé en fil rouge sur cette BD de septembre 2020 à juin 2021.

Est-il facile de concevoir une BD sur le racisme et la discrimination qui soit destinée à la fois aux enfants et aux adultes ?

Je travaille déjà avec la chaîne de jeunesse Gulli, cela m’a appris à avoir le langage enfant. J’ai collaboré aussi avec des magazines et j’ai toujours été attiré par l’illustration de jeunesse, donc j’ai pu accumuler un certain savoir-faire.

Il faut faire une technique ‘à la Pixar’, en ayant un double-langage qui puisse correspondre à la compréhension des parents d’une certaine manière et à celle des enfants, d’une autre manière. Je pense qu’en traitant les questions de racisme et de discrimination, il est important de garder à l’esprit qu’il ne faut pas prendre les enfants pour les idiots. Dans beaucoup d’ouvrages de ce genre, j’ai vu que l’on s’adressait souvent à des enfants de 10 ans mais en utilisant un vocabulaire pour les 3 ans, par exemple.

Je pense qu’il ne faut pas insulter l’intelligence des enfants, surtout qu’Internet a ouvert le spectre de sujets auxquels ils peuvent avoir accès. Ils peuvent comprendre et connaître plein de choses. Ils ont été matures peut-être plus vite que nous sur certains sujets. Ils ont plein d’outils, des podcasts pour enfants et d’autres formats d’introduction ou d’explication de certaines questions… A mon avis, beaucoup de parents ne réalisent pas à quel point leurs enfants se rendent bien compte de ce qui se passe autour d’eux.

Vous prévoyez de présenter la bande dessinée dans le milieu scolaire ?

J’ai eu trois demandes d'écoles pour intervenir autour du livre. Je sais que des bibliothèques scolaires le commandent et que des professeurs en parlent déjà dans leurs classes. Je souhaiterais aussi que cette bande dessinée soit présentée aux enfants du Maroc, qui est aussi mon pays et où je serai grandement intéressé par une traduction vers l’arabe ou la darija, si une maison d’édition marocaine accepte de travailler sur ce projet, en partenariat avec mon éditeur. On a encore des lacunes sur les questions de négrophobie ou de racisme et je trouve que ce sera plus utile de présenter ce livre au Maroc, vu les outils encore limités qu’on a pour traiter de ces questions avec les enfants.

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