Auteur de plusieurs ouvrages, économiste, président-directeur général de Guépard Group pour le conseil en stratégie et président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS), Abdelmalek Alaoui vient de publier son nouveau livre, «Le Temps du Maroc, 2020-2021 – Résilience et émergence du Royaume chérifien». Analyse entre le parcours politique, historique, économique et l’actualité sanitaire du Maroc, l’opus met en perspective l’évolution du pays durant les 500 premiers jours de la pandémie du nouveau coronavirus.
Sur un an et demi, de 2020 à 2021, Abdelmalek Alaoui fait une lecture entre les lignes des temps forts et des moments de doute durant cette période d’incertitudes, marquée toutefois par la mise en œuvre de mesures décisives.
Que présente votre livre comme pistes de réflexion sur la crise sanitaire ?
D’abord, que le Maroc, sur beaucoup de plans, n’a pas fait exception au niveau de la mise en place de mesures «classiques» observées par ailleurs : confinement, filet social, aides économiques, digues sanitaires, montée en gamme de l’appareil de santé, contribution de l’armée etc… Mais en parallèle, je me suis intéressé aux singularités du Royaume dans la crise, telle la réorientation rapide de l’appareil industriel, sous les instructions de Sa Majesté le Roi, pour fabriquer masques, gel hydro-alcoolique, et autres outils-barrières. Ceci m’a interpellé. Pourquoi avons-nous été en capacité d’anticiper et de «cristalliser», là où l’on est régulièrement brocardé pour les pesanteurs administratives et l’inertie de la technostructure ?
Mais de manière beaucoup plus fondamentale, j’ai surtout observé cette capacité du Maroc et de son Monarque à combiner les temps courts, ceux de la riposte tactique massive, à l’instar de la politique vaccinale, avec des réformes de long terme, telle la protection sociale, le fond stratégique Mohammed VI pour l’investissement ou l’évolution majeure de la partition diplomatique sur le Sahara. Cet ensemble de choses, parfois contre-intuitives – en tous cas à contre-tempo – ont façonné la «marque de fabrique» du Maroc lors de ces 500 jours particuliers.
De manière générale, je développe l’idée selon laquelle un changement de palier et d’échelle s’est produit durant la pandémie pour le Maroc. Bien sûr, il y a eu quelques échecs, des expérimentations qui n’ont pas fonctionné, notamment au niveau de la territorialisation des confinements. Mais globalement, le changement de palier marocain a induit un changement de statut, dont la résultante est peut-être, les «frottements» géopolitiques récents…
Sous quels angles peut-on analyser le traitement des effets de la crise sanitaire sur les autres secteurs ?
Sur tous les secteurs. Sans surprise, ceux qui avaient déjà des difficultés, et qui avaient beaucoup recours à l’informel se sont retrouvés dans une situation dramatique, dépourvus de coussin de sécurité, ce qui a créé une facture sociale dont le prix n’est pas encore déterminé, mais qui sera salée. Comme le dit si bien le financier américain Warren Buffet : «c’est quand la marée se lève que l’on sait qui ne portait pas de maillot». Mais je constate aussi que les secteurs structurés et exportateurs notamment ont été ceux qui ont le mieux résisté et le plus vite rebondi.
C’est dans ce sens que je lis la mesure historique de la généralisation de la protection sociale pour tous les Marocains initiée par le Roi : le temps de l’informel doit être dépassé pour réduire les écarts entre les riches et les pauvres et surtout réduire les inégalités d’opportunité, qu’elles soient éducatives ou territoriales. Le traitement de la crise, comme je l’ai dit auparavant, a ressemblé par bien des aspects à d’autres recettes appliquées ailleurs sur le plan «curatif», avec l’injection de liquidité.
Mais l’essentiel est de traiter les problèmes de fond. Le «Pack» de réformes lancé en 2020/2021 devrait y contribuer, à condition que les conditions de son exécution soient réunies lors de la nouvelle séquence politique qui s’ouvrira en septembre.
Quelle autocritique peut-on faire aussi de cette gestion ?
L’analyse des limites du «modèle» marocain tel que poursuivi depuis l’avènement du nouveau siècle n’a pas attendu la pandémie. Dès 2018, le Roi appelait à ce fameux «nouveau modèle de développement». Hasard de l’histoire, la commission ad-hoc fut installée juste avant le déclenchement de la crise, et acheva ses travaux alors même que nous commencions à voir la lumière au bout du tunnel avec l’accélération de la campagne de vaccination.
A mon sens, l’un des principaux freins qui entrave la gestion de toutes les crises – incluant celle du coronavirus – est l’hétérogénéité de l’attelage exécutif, qui repose souvent sur une coalition qui ne partage pas les mêmes référentiels, ni la même conception de l’exercice de l’Etat, ce qui génère tiraillements, retards et approximation au niveau de l’exécution.
Certaines institutions internationales, comme la Banque mondiale, ont alerté sur une récession qui serait plus grave que celle de 1995 au Maroc. Pensez-vous qu’on en verra les effets sur un temps long ?
Bien que respectant les opinions des organisations multilatérales, je prête peu de crédit à leurs exercices de «prédictologie». Il y a 30 ans, l’Alpha et l’Oméga de la Banque Mondiale et du FMI étaient les Plans d’Ajustement Structurels, qui ont dépouillé des secteurs sociaux essentiels et dont les stigmates se font encore sentir. Leurs économistes aujourd’hui reconnaissent que c’était une erreur.
Je pense en revanche que cette crise peut être utilisée comme une opportunité pour aller plus vite sur certaines réformes qui entravent le Maroc dans sa marche en avant. Qui aurait imaginé, il y a tout juste dix-huit mois, que la légalisation de signature serait supprimée pour un ensemble d’actes ? Qui aurait imaginé interagir avec la vénérable administration marocaine de manière numérique, notamment pour la passation de commande publique ? Pendant trop longtemps, l’on nous a expliqué qu’il était impossible de réformer certaines pratiques, parce que, justement, l’on «a toujours fait comme ça».
La pandémie a montré qu’il était possible de s’affranchir de barrières qui étaient surtout mentales. Pour moi, telle est la leçon à retenir pour le Maroc : la pandémie a élargi le champ des possibles…