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Grand Angle

Diaspo #202 : Kaoutar Hafidi, une physicienne nucléaire marocaine dans le plus grand laboratoire des Etats-Unis

Le scientifique marocain Kawthar Hafidi est directrice du département de physique du Laboratoire national d’Argonne, un des laboratoires les plus grands et les plus prestigieux des Etats-Unis. Actuellement, elle travaille à attirer des responsables américains au Maroc afin de signer un accord avec le royaume dans le domaine de l'hydrogène.

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La chercheuse Kaoutar Hafidi / DR.
Temps de lecture: 4'

Son amour pour la science et son ambition sans bornes l’ont amenée à la tête du service le plus important du laboratoire américain Argonne, qui pendant la Seconde Guerre mondiale a abrité le projet ayant abouti à la production de la première bombe nucléaire.

Depuis 2017, la scientifique marocaine Kaoutar Hafidi est devenue la première femme directrice du département de physique du Laboratoire national situé dans l'Illinois. Elle supervise désormais des programmes de recherche en physique nucléaire et des hautes énergies, en génie chimique, nanosciences et technologies...

De Boukroune à Argonne

Kaoutar Hafidi est née dans le quartier de Boukroune dans la vieille ville de Rabat, en juin 1972. Deux ans après sa naissance, elle a vu ses deux parents fonctionnaires divorcer ; son père a conservé le droit de garde. Kaoutar a grandi avec sa grand-mère paternelle et à la crèche, elle maîtrisait le français et l’arabe. Férue de sciences, elle obtiendra son baccalauréat en branche mathématique.

 

Bien que sa famille ait voulu l’inscrire dans une école d’ingénieurs, Kaoutar a préféré fréquenter la Faculté des sciences de l’Université Mohammed V, car elle aimait beaucoup les mathématiques et aspirait à devenir chercheuse dans ce domaine, ce que les écoles d’ingénieurs ne permettaient pas. Elle a choisi le département de mathématiques et de physique de l’université, puis s’est spécialisée la dernière année en physique théorique, avant d’obtenir sa licence.

«Je voulais rester au Maroc, mais cette année-là, il y a eu de nombreuses grèves de doctorants au chômage et l’Etat a décidé en juin 1995 de fermer le troisième cycle. Je n’ai eu d’autre choix que de poursuivre mes études à l’étranger», a-t-elle déclaré à Yabiladi. Bien que son dossier ait été accepté dans les universités françaises et canadiennes, son père refusa de laisser sa fille de 22 ans voyager seule à l’étranger. Une de ses tantes est alors intervenue, a vendu ses bijoux pour fournir à sa nièce l’argent nécessaire aux études en France, où elle obtient un master en physique nucléaire.

«Je vivais avec une femme qui était infirmière. Ma chambre était à côté de la cuisine, où il y avait une machine à laver qu’elle utilisait la nuit. Donc je devais sortir sur le parking dans le froid pour étudier. Je me rappelle aussi que le jour de l’examen il y a eu une grève des trains et je n’avais pas assez d’argent pour prendre un taxi. Alors je me suis levée à quatre heures du matin, j’ai suivi le chemin de fer pendant cinq heures pour arriver à la faculté. Après avoir réussi mes examens, j’ai reçu une bourse importante et j’étais la seule étudiante non européenne à l’obtenir.»

Kaoutar Hafidi

De la France aux Etats-Unis

Le sujet de sa thèse était construit sur une expérience tenue au Jefferson Laboratory en Virginie. «J’ai donc dû partir pendant neuf mois aux Etats-Unis en 1997. C’était une grande expérience, puis je suis retournée en France. Mais après ces neuf mois, je suis tombé amoureuse de ce pays et j’ai décidé d’y faire ma vie après mon doctorat», se rappelle-t-elle.

Après son doctorat obtenu en octobre 1999 et son arrivée aux Etats-Unis le 6 novembre de la même année, Kaoutar s’intègre facile. «Mon mari tunisien et moi étudions en master. Nous sommes venus signer un contrat avec le Laboratoire d’Argonne pour trois ans. Quatre mois plus tard, les Français m’ont proposé de revenir pour un poste de recherche. Quand les Américains ont découvert cette offre, ils m’ont proposé de devenir chercheuse permanente ainsi qu'un emploi pour mon mari, alors j’ai décidé de rester aux Etats-Unis», nous dit-elle encore.

 

Argonne est le premier laboratoire national en Amérique, fondé pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a abrité les premiers travaux sur la réaction nucléaire en chaîne, qui a été le début de l’industrie de la bombe nucléaire. Ce laboratoire est aussi le premier à développer des réacteurs nucléaires utilisés dans l’énergie. Son budget est de 1,2 milliard de dollars par an.

Kaoutar Hafidi a gravi les échelons au sein du laboratoire et depuis 2017, elle est directrice du département de physique, devenant la première femme à occuper ce poste. Cette division est considérée comme la plus importante du laboratoire. Elle regroupe toutes les sciences fondamentales, réparties en six divisions. La scientifique marocaine encadre environ 1 200 personnes.

La chercheuse a contribué dans le domaine de la recherche scientifique dans plus de 200 publications et a également participé à des dizaines de conférences internationales dans plusieurs universités et laboratoires. Dans la vie de famille, Kaoutar est mère d’un enfant de 16 ans.

La démocratie d’abord

Son lien avec la mère patrie lui a permis d’accueillir chez elle des étudiants marocains et de les aider à terminer leurs études supérieures aux Etats-Unis, parmi eux, Lamia El Fassi, professeure à l’Université du Mississippi et Ahmed El Alaoui, aujourd’hui chercheur au Chili.

Kaoutar Hafidi prépare également une grande conférence à Marrakech. «Nous travaillons avec l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir. Nous voulons apporter une aide au Maroc, si la situation épidémiologique se stabilise. Nous voulons que le directeur du laboratoire et les responsables du département de l’Energie soient présent, afin de signer un accord pour travailler avec le Maroc dans le domaine de l’énergie à hydrogène», nous confie la chercheuse avec enthousiasme.

Concernant l’avenir de la recherche scientifique au Maroc, elle a déclaré : «Le progrès est lié à la démocratie et aux droits humains. Je suis désolée par rapport à ce qui se passe au Maroc. Notre pays coule dans nos veines mais je vois des absurdités. Les Marocains sont merveilleux, il faut les laisser s’exprimer. Ceux qui aiment le Maroc n’agissent pas ainsi. Mais le Maroc n’est pas ceux qui prennent de telles décisions, le Maroc est plus grand qu’eux, c’est ma patrie.»

«Quiconque veut de la recherche scientifique doit se soucier de l’éducation. Nous avons un système éducatif défaillant. Prenez soin des infrastructures et de l’éducation, prenez soin des citoyens, puis parlez de la recherche scientifique. Je ressens de la douleur et de l’amertume pour ce qui se passe, laissez les gens parler, laissez-les parler… J’ai envie de parler de mon pays avec tout ce qu’il a de beau, mais malheureusement…»

Kaoutar Hafidi

En plus de la science, le football est le sport préféré de la scientifique marocaine. «Le football est le deuxième amour de ma vie après la science. J’étais une bonne footballeuse et on m’appelait Maradona. J’ai commencé à jouer pour l’équipe Ittihad Touarga, mais mon père ne m’a pas autorisée à voyager, et après avoir quitté la France, j’ai joué avec une équipe locale pendant six mois et j’ai finalement décidé de me consacrer à mes études», se rappelle la fan du ballon rond.

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