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Grand Angle

L’agriculture mondialisée, fléau du changement d’utilisation des terres

Depuis 1960, un tiers des surfaces globales de la Terre a été modifié, sous l’effet de l’activité humaine. Cette empreinte inquiète les scientifiques, car elle est plus importante que les prévisions. Déforestation, modification des sols, expansion de l’agriculture et urbanisation, sans oublier l’exploitation minière, tous ces facteurs ont accéléré un processus auquel le Maroc n’échappe pas.

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Photo d'illustration / Ph. Yasuyoshi Chiba - AFP
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De 1960 à 2019, l’utilisation d’un total de 43 millions de kilomètres carrés à travers le monde a changé. Ce chiffre représente 32% de la superficie terrestre, ou encore l’équivalent de l’Afrique et de l’Europe réunies. Comme de nombreux pays, le Maroc n’est pas épargné par ce phénomène. Une étude mondiale montre que ces deux continents font partie des territoires les plus touchés, avec l’Océanie, l’Amérique et une partie de l’Asie. Publiée dans la revue scientifique Nature, ses auteurs basés en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni alertent notamment sur «une perte nette globale de superficie forestière de 0,8 million de km²», parallèlement à une «expansion de l’agriculture mondiale, terres cultivées et pâturages, de 1,0 et 0,9 million de km², respectivement».

Cette évolution est le résultat du creusement des équilibres par régions géographiques. Dans le Nord, y compris en Chine où des politiques de soutien au reboisement ont été initiées, une augmentation des superficies forestières est observée. A contrario, les zones vertes naturelles ont fortement diminué dans les pays du Sud et ceux en voie de développement. Cette disparité est inversée, s’agissant des terres cultivées, qui ont diminué dans le Nord et augmenté dans le Sud. Dans ce sens, «l’expansion des pâturages en Chine et au Brésil représente une partie importante de la superficie mondiale des terres». D’ailleurs, les scientifiques notent que la déforestation tropicale est particulièrement induite par la production bovine, de canne à sucre et de soja en Amazonie, d’huile de palmier en Asie du Sud-Est et de cacao au Nigéria et au Cameroun.

L’agriculture de masse fait reculer les autres utilisations de terres

Au Maroc, l’agriculture inadaptée au climat de certaines régions, la sollicitation des ressources hydriques que ces activités nécessitent, en plus des périodes de sécheresse plus longues et des changements climatiques, accentuent le recul des espaces naturels boisés. Des spécialistes de la protection de l’environnement dans le pays ont précédemment estimé que ces facteurs expliquent aussi le recul inquiétant des zones humides, dont 50% de ceux du territoire national ont disparu en dix ans.

Source : 'Global land use changes are four times greater than previously estimated'Source : 'Global land use changes are four times greater than previously estimated'

A l’échelle mondiale, la récente étude indique qu’«en séparant le changement d’utilisation des terres dans les zones avec un changement unique (par exemple la déforestation) ou plusieurs événements de modification», des tendances se dessinent à travers le monde. «De toutes les transitions, 38% sont des événements de changement unique, qui sont les plus évidents dans les pays en développement du Sud», indique-t-on, notant qu’«environ la moitié de ces zones comprennent l’expansion agricole», qui peut être observée dans les pâturages ou dans la déforestation.

Par ailleurs, «les événements de changement multiples représentent 62% de toutes les transitions terrestres» et sont plus répandus dans les pays développés du Nord, ainsi que dans les économies à croissance rapide (Nigéria, Inde…). Les chercheurs notent que «l’intensification agricole, comme dans l’UE et aux Etats-Unis et / ou les grandes transitions dans le secteur agricole, tels que le passage des cultures de subsistance aux cultures de base au Nigéria, se sont produits au cours des dernières décennies».

Parmi les événements de changement multiples, 86% sont ceux d’utilisation des terres agricoles. 75% se produisent entre les terres gérées et celles non gérées. C’est le cas lors de l’abandon des terres cultivées à cause de l’intensification de l’agriculture sur des terres plus appropriées, en Europe de l’Est post-soviétique, ou de transitions entre terres agricoles et forêts comme dans les systèmes agroforestiers d’Europe occidentale, selon les chercheurs.

Les pays du Sud paient le lourd tribut sur leurs forêts

Les chercheurs font aussi le lien entre ces dynamiques de changement d’utilisation des terres et la mondialisation des marchés. En effet, l’analyse temporelle a permis d’identifier des phases d’accélération de changement à des fins agricoles de masse, dans une période où la production mondiale est passée «de l’intensification agro-technologique» à la «production pour les marchés mondialisés et l’augmentation des échanges» depuis l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Asie.

Ainsi, la forte hausse des exportations agricoles à partir des années 2000 a particulièrement influencé le changement d’utilisation des terres, «en particulier la déforestation pour les cultures de base dans le Sud mondial». Selon les chercheurs, «cette délocalisation du changement d’utilisation des terres du Nord vers le Sud est évidente dans la proportion croissante de terres cultivées dans les pays du Sud, utilisées pour l’exportation et la consommation en dehors de leurs territoires».

L’observation de cette dynamique revêt une grande importance, puisqu’elle permet aux chercheurs de réfléchir aux «défis sociétaux mondiaux tels que la sécurité alimentaire, le changement climatique et la perte de biodiversité». Ce changement sur 32% de la superficie terrestre mondiale en seulement six décennies inquiète davantage, car il est «environ quatre fois supérieur à l’étendue que ce qui était précédemment estimé, à partir des évaluations à long terme».

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