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Grand Angle

Fès : Un projet de carrière, épée de Damoclès pour un douar et une ferme d’hôte d’un MRE

A une demi-heure du centre-ville de Fès en direction d’Imouzzer-Kandar, sur la route de Bhalil, une ferme écologique ayant capitalisé sur le tourisme rural et agricole se retrouve menacée par une carrière, à 500 mètres de l’établissement. Acculé, l’investisseur lésé envisage de saisir directement le roi.

Publié
Ph. Dar El Mandar
Temps de lecture: 4'

Un paradis en zone rurale entre Fès et Sefrou, sur la route de Bhalil. C'est dans cet écrin de verdure que l’investisseur franco-marocain Jaoued Saïdi a décidé de s’installer avec son épouse et ses deux enfants, il y a 12 ans. Dans une zone pratiquement vierge et jusque-là non-habitée, près d’un petit douar d’une centaine d’habitants, il crée la maison d’hôte Dar El Mandar, avec une vue panoramique sur la vallée du Saïs. A l’issue des travaux entrepris de 2008 à 2014, il relève le défi de monter un projet de développement rural respectueux de l’environnement et générateur de revenus pour plusieurs familles locales, intégrées au projet paysan et coopératif qui a constitué une extension de l’activité hôtelière de Jaoued. «Nous y avons investi les économies de notre vie ainsi que dix années de travail pour donner naissance à une Ferme d’hôtes en pleine nature», confie-t-il à Yabiladi.

En effet, cette ferme a «révélé l’énorme potentiel de développement économique durable de la région en termes d’éco-tourisme» comme axe stratégique de plus en plus mis en avant au Maroc. Mais depuis 2017, Jaoued se trouve avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, alertant vainement des menaces que constitue un projet de carrière mitoyen à la zone habitable et à l’établissement touristique. Désormais, ce dernier se retrouve à 500 mètres du site, pour lequel «aucune étude d’impact environnemental n’a été rendue publique jusqu'ici».

Une activité menaçant un projet écologique et l’équilibre naturel de la zone rurale

Contacté par Yabiladi, Jaoued Saïdi regrette que «les droits de la population du douar ainsi que les [siens] en tant qu’investisseur MRE ne soient pas respectés». «Plus que cela, c’est un profond mépris que nous ressentons», nous a indiqué l’entrepreneur, qui affirme avoir adressé plusieurs courriers officiels aux différents responsables concernés.

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Dans ce sens, un premier courrier consulté par notre rédaction a été envoyé en 2017 au Wali de Fès. Un second a été adressé en 2019 à Zineb El Adaoui, alors directrice de l’Inspection générale de l’administration territoriale au sein du ministère de l’Intérieur. La même année, Jaoued Saïdi saisit également la ministre du Tourisme, Nadia Fettah Alaoui. Il adresse une série d’autres correspondances, au président de la commune de Sidi Khiar, au gouverneur, au conseil provincial de Sefrou et au ministère de l’Equipement, entre autres instances gouvernementales, jusqu’au ministère de l’Intérieur en 2019.

Ces tentatives pour obtenir une révision du projet de carrière ne sont pas restées lettre morte, mais l’investisseur dit sa déception que ses écrits «n’ont pas été pris assez au sérieux». Pire, il affirme avoir subi des menaces réelles.

«Nous avions fait appel au gouverneur pour lui expliquer la situation et il a été plutôt d’accord sur le fait qu’il n’y a pas d’intérêt pour une carrière dans le voisinage, mais son discours a changé lors qu’il a su que l’investissement appartenait au frère du président du conseil provincial de l’époque. Nous avons obtenu une rencontre informelle avec ce responsable et nous nous sommes confrontés à des menaces directes de sa part.»

Ayant peur pour son intégrité physique et celle de son épouse française, Jaoued a fait appel à un avocat, mais il continue de recevoir des menaces pour arrêter les correspondances écrites. Selon lui, «toutes les voies de recours possible au niveau administratif ont été suivies, avec à chaque fois une absence de considération».

«Nous avons finalement reçu un courrier administratif du caïd, nous informant que la carrière était autorisée, sans réponses à nos arguments», nous indique encore l’entrepreneur, rejoint par les habitants du douar voisin à sa ferme pour la signature d’une pétition contre le projet de carrière. Ce document recevra également peu de considération, au point où les signataires «n’ont pas été consultés par les pouvoirs locaux pour examiner la situation du projet de carrière».

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Un recours ultime par courrier royal

Désabusé, Jaoued estime ne plus savoir vers qui se tourner pour protéger son projet touristique et écologique, mais il garde encore espoir «si le dossier est pris en main par une personne ayant le pouvoir et qui aime notre pays». Il exprime son intention de saisir directement le roi Mohammed VI dans un courrier.

«Je suis né à Toulouse et j’ai eu une activité d’investissement importante, mais mon épouse et moi avons fait le choix de vendre tous nos biens en France pour venir investir au Maroc, surtout après le discours prononcé par le roi Mohammed VI à la fin des années 2000 appelant les MRE à rentrer au pays et à mettre à la disposition de la nation notre savoir et nos compétences pour participer au développement national.»

Jaoued confie justement ne pas avoir choisi la facilité de s’installer dans une région où les infrastructures et les services sont disponibles ou facilement accessibles. «Nous n’avons pas fait le choix non plus d’acheter un riad, de le rénover et d’en faire une maison d’hôtes. Nous avons souhaité nous inscrire dans une vision à long terme, avec la volonté de contribuer au développement dans une zone de l’arrière-pays, en portant un projet écologique respectueux de l’environnement et bénéficiant directement à la population locale», soutient-il.

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«Nous sommes désormais devant le fait accompli et un nouveau panneau vient d’être mis en place, indiquant l’autorisation de la carrière, juste à côté de celui qui signale notre maison d’hôte», regrette Jaoued, qui considère que l’ensemble de l’équilibre naturel de la zone sera menacé avec l’activité de la carrière. Soutenu pour son projet par le Fond international de développement agricole (FIDA) à hauteur de 200 000 dirhams, il rappelle que «c’est le ministère de l’Intérieur qui est l’interface du FIDA au Maroc, avec le soutien du ministère de l’Agriculture» et que les responsables sont appelés à faire face à leurs obligations.

«Au-delà de ma faillite personnelle, quel message passons-nous aux investisseurs, dans un contexte de crise sanitaire avec son impact économique sur les familles qui vivent de l’activité que nous avons développée dans notre propriété, et qui a montré le potentiel de développement durable de la région ?», s’interroge l’hôtelier.

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