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Interview

Casablanca : Un Livre noir dépeint le tableau sombre de la gestion de la ville blanche [Interview]

Ecrivaine et initiatrice du groupe Save Casablanca sur les réseaux sociaux, Mouna Hachim a élaboré un «Livre noir de la ville blanche», qui analyse de manière exhaustive la mauvaise gestion de la capitale économique. Plus de 200 pages montrent ces dysfonctionnements au niveau de l’espace public, de l’assainissement et des espaces verts, entre autres.

Publié
Ville de Casablanca / DR.
Temps de lecture: 4'

Qu’a été l’apport de la dynamique du groupe Save Casablanca à ce livre ?

Au départ, j’ai lancé l’initiative du livre le 9 janvier dernier, à la suite des dernières inondations de Casablanca. C’était la goutte qui a fait déborder le vase, au vu de la situation révélée, des différents dysfonctionnements d’assainissement et surtout le silence total et la l’irresponsabilité qu’a montré le conseil de la ville. La responsabilité a été jetée sur la Lydec, qui n’est pas hors de cause bien entendu, mais qui était l’arbre qui cache la forêt.

J’ai pris l’initiative en l’annonçant sur la page Save Casablanca pour ouvrir les participations aux membres. Faute de retours qui n’étaient pas nombreux, je me suis donnée comme objectif de faire ce livre en le structurant à partir des thématiques qui reviennent dans le groupe. En effet, les réseaux sociaux ont cette capacité de créer de l’interaction, mais ils ont aussi ce défaut de diluer certaines questions. Il était donc important de récapituler tout cela.

J’ai commencé par faire un plan général en écrivant les parties introductives et j’ai misé sur la titraille, avec cette idée surtout de sortir d’une vision lisse qu’on aime donner des villes et de leur gestion. J’ai voulu miser sur une communication où l’on appelle un chat un chat. A ce stade, l’apport des membres du groupe a été important à travers les publications quotidiennes que j’ai pu retrouver sur la page des témoignages, des photos et des textes liées aux thématiques analysées, en arabe, en français ou en darija, chacun selon son bagage socio-culturel. Certaines choses peuvent paraître relevant du langage de la rue, mais c’est cela notre réalité et celle de notre ville.

Il y a des introductions en français, mais il ne s’agit pas d’une publication élitiste car il est important de donner les réactions brutes des membres du groupe et dont la diversité reflète bien celle des habitants de Casablanca, où l’on retrouve des personnes issues de différents milieux avec des niveaux d’instruction différents, voire des origines diverses.

Propreté, occupation de l’espace public, gestion du patrimoine de la ville… Les points noirs de la gouvernance ne manquent pas à Casablanca, mais il date de 40 ans ou plus…

En effet, il y a eu un cumul au cours des décennies et au gré des gestions successives du conseil communal de la ville, d’où nous ne mentionnons aucun parti politique dans le document puisque nous questionnons un mandat qui a été assuré par des tendances politiques diverses et nous n’avons aucune obédience à cet égard. Le groupe Save Casablanca est lui-même créé depuis 2013, donc avant l’élection du conseil actuel. Ceci dit, des dysfonctionnements flagrants se sont accentués ces dernières années sous le mandat communal actuel.

A titre d’exemple et en trois ans, jamais je n’ai vu Casablanca se transformer sous mes yeux en souk quotidien et plus seulement hebdomadaire, dans différents quartiers au centre-ville comme à la périphérie, à Bourgogne comme à Sidi Moumen, en passant par le Maârif. L’occupation de l’espace public prend une ampleur quasi-incontrôlable.

Sur le plan du transport, l’état des taxis est déplorable et on se pose des questions sur ce qui fait qu’ils continuent à circuler et même à sortit de la ville. Les grands taxis imposent leurs tarifs, les petits choisissent leur destination. Les chantiers de construction ou de restauration trainent par ailleurs de manière problématique, à l’image de la coupole Zevaco qui est en travaux depuis quasiment dix ans. Il y a véritablement une régression au niveau de la gestion publique de la ville et nous le voyons quotidiennement, d’où la création du groupe.

L’environnement à Casablanca subit une double-peine, entre l’absence des espaces verts et la pollution industrielle et automobile. Comment voyez-vous la gestion de ce volet ?

Ce qui me paraît flagrant au niveau local, c’est la haine inexplicable pour la verdure. Je n’arrive pas à comprendre comment on a le cœur à envoyer des arbres coupés à la tronçonneuse alors qu’ils sont notre seul oxygène dans la ville, pour les remplacer par des palmiers Washington qui ne sont adaptés ni à l’environnement de la ville ni à ses besoins en termes de verdure. Cette question est plus que jamais préoccupante et heureusement que Casablanca est dotée d’une côte maritime qui nous empêche un tant soit peu de nous asphyxier.

Nous assistons à un véritable massacre pour un ensemble de raisons, entre l’élargissement de chaussées, l’installation de tramways ou pour implanter ces palmiers inadaptés au sol casablancais. On en arrive à se poser des questions sur la bienveillance ou la malveillance qui pousse à entreprendre de telles démarches car c’en est trop pour de l’incompétence, dans une ville où il y a des architectes, des intellectuels et des ingénieurs qui peuvent pourtant donner des idées innovantes.

Au lieu de les faire participer, nous faisons face à une gestion communale qui consiste plus souvent à transformer le peu d’espaces verts que nous avons ici et là à des chantiers de béton. Nous nous retrouvons donc avec une ville totalement déshumanisée, pratiquement sans jardins, sans espaces de loisirs et l’on s’étonne que cela impacte la vie des citoyens, non seulement sur le plan de leur santé et de leur bien-être, mais aussi en termes de civisme et de sentiment d’insécurité.

Les failles de gouvernance que vous citez sont liées à la question de la gestion des fonds publics dédiés à l’entretien de la ville. Les éléments recueillis dans le groupe vous permettent-ils d’analyser cela ?

Nous sommes dans un manque de transparence totale de la part du Conseil de la commune de la ville sur ce volet. Les instances impliquées dans la gestion de la ville peuvent rendre public l’ensemble de ces comptes et les diffuser, ce qui n’est pas le cas, dans une opacité complète. Ce n’est pas une démarche que l’on adopte si l’on veut faire preuve de transparence dans la gestion financière de cette gouvernance défaillante. Même les travaux lancés connaissent une opacité en termes d’échéance.

Ce qui est sûr et certain, comme la mentionné le roi Mohammed VI dans un discours inaugural au Parlement en 2013, c’est que Casablanca connaît réellement un déficit de gouvernance. Ce n’est un secret pour personne. Or depuis cette colère royale, il y a eu le fond de développement de la capitale économique avec un important budget alloué à des projets dont les échéances ont été dépassées. Certains ont été livrés rapidement, mais beaucoup ne le sont pas sans aucune explication.

Il faut considérer sa ville et son pays comme sa propre maison dont il faut prendre soin tous les jours, ce qui n’est pas le cas de nos décideurs locaux qui font subir les conséquences aux citoyens.

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