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Interview

Figuig : «La question d’El Arja portée à l’échelle nationale et internationale» [Interview]

A l’expiration de l’ultimatum posé par l’Algérie aux propriétaires marocains pour quitter El Arja, une marche empêchée par les autorités marocaines s’est transformée en un grand sit-in à Figuig. Annoncée en clôture du rassemblement, la création d’une coordination nationale et internationale, composée d’acteurs associatifs issus de de la ville, appuyera la dimension juridique du dossier. Interview de Boubker Largo, président de l’OMDH.

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Manifestation à Figuig en soutien aux propriétaires terriens d'El Arja, 18 mars 2021 / Ph. Figuig photographie
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Vous aviez élaboré un mémorandum, il y a quelques années, pour alerter les partis politiques sur la question des propriétaires terriens dans les zones frontalières de Figuig. Que s’est-il passé depuis ?

Nous sommes en train de recueillir de nouveaux éléments pour enrichir un mémorandum fourni en éléments exhaustifs sur cette question, dans sa dimension juridique relative aux droits humains et liée à la question de propriété privée des agriculteurs et des habitants. Il y a douze ans, l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH) a participé à l’élaboration d’un plaidoyer auprès du Parlement marocain et des différents partis politiques. A cet effet, nous avons rassemblé tous les documents pouvant attester de la propriété des populations de Figuig dans les régions dépossédées depuis la Convention relative au tracé de la frontière entre le Maroc et l’Algérie en 1972. Certains partis ont compris la situation, mais la simple compréhension ne suffit pas car cette problématique nécessite une solution.

De ce fait, la même situation s’est reproduite maintenant que les héritiers marocains d’El Arja ont été déplacés et dépossédés de leurs terrains, faisant revivre une nouvelle fois le problème à l’identique. Il y a d’anciennes exploitations de palmiers dattiers dans cette zone et des plus récentes, de 1992 à maintenant. Pourquoi donc avoir laissé ces populations investir dans des territoires, s’ils ne sont pas considérés sous souveraineté du Maroc, alors que les autorités de notre pays considèrent elles-mêmes qu’elles ne lui reviennent pas ? En termes de propriété, ces terres appartiennent aux familles de Figuig, mais se trouvent sur le sol algérien, selon la convention.

Quelle que soit la souveraineté étatique de cette zone, la question de protection du droit de propriété se pose. Quelles est la responsabilité des Etats dans ce volet ?

Le droit international garantit la protection des propriétés privées en tant que droit reconnu. Si un Etat concerné décide que ces biens ne sont plus la possession de leurs propriétaires en tant qu’individus, il doit suivre la voie d’indemnisation et de réparation. Dans le cas d’El Arja, c’est à l’Etat marocain que revient la responsabilité de mettre en œuvre ce processus. Pour cause, il a laissé ses ressortissants investir dans ces territoires, sans jamais les en empêcher. Il a fermé les yeux en les autorisant à rester sur place, tout en sachant qu’ils y ont entrepris des projets et investi leur argent.

La question de réparation qui passe par la définition des statuts de ces territoires ne date d’ailleurs pas du plaidoyer auquel vous avez participé il y a douze ans, puisqu’elle a été abordée dans le cadre des travaux de l’IER…

La question de réparation collective liée au statut des terres coupées de la zone de Figuig a été abordée par les représentants parlementaires de la région dans les années 1980 déjà. Ces terres comptent des dizaines de milliers de palmiers et cela ne revient pas à une simple indemnisation. Les palmiers dattiers nécessitent une attention particulière.

Dans le cadre de l’Instance équité et réconciliation (IER), une recommandation a été levée pour un processus de réparation collective après les violations dont la population locale a fait l’objet au cours des «années de plomb». Il y a eu des dizaines d’arrestations de détenus politiques, d’enlèvements, certains sont morts… La population a été très impactée par l’exclusion qu’elle a subie. Dans un sens large, la réparation impliquait le lancement de projets gouvernementaux à Figuig, en plus d’un appui aux initiatives de la société civile.

Il faut reconnaître que des projets ont été mis en œuvre. Des démarches importantes ont été menées, comme par exemple la construction du barrage qui approvisionne les oasis de Figuig. C’était un projet très important. Mais la population locale n’avait plus les zones où elle pouvait faire ses investissements, à savoir celle de Khat El Jerid, qui s’étend jusqu’en Libye et où l’on peut développer la culture de palmiers dattiers. Donc la situation est devenue difficile, au point de pousser une grande partie des habitants à l’exode vers d’autres ville et même d’autres pays.

Depuis, certains ksour à Figuig n'ont gardé que 25% de leur population. Avec cette récente dépossession, nous nous inquiétons que ces départs deviennent plus massifs et que la région se vide des habitants qui l’ont construite, qui ont historiquement participé à bloquer l’invasion ottomane et la colonisation française en 1901 déjà. C’est d'ailleurs ce qui avait causé les bombardements de Figuig à l'époque.

Vous avez évoqué des initiatives de réparation, mais celles liées à la définition claire de la souveraineté sont restées entre parenthèses. Comment voyez-vous désormais cette problématique ?

Ces terres doivent faire l’objet d’un plaidoyer dans d’autres domaines, qui tiennent compte de la dimension juridique et des mécanismes internationaux onusiens et régionaux. Mais nous avons aussi besoin de trouver du répondant du côté algérien. Nous avons un voisin qui ne fait pas preuve d'une bonne écoute. Si cette situation change, une issue sera possible. Rappelons-nous d’ailleurs que c’est sous Boudiaf que le Maroc a adopté la Convention de 1972, parce que le président algérien avait, dans le temps, exprimé sa volonté de régler la question des frontières.

Dans son discours, l’Algérie se targue de respecter le droit international en se tenant aux frontières définies au temps de l’occupation française. Mais avec cette logique, la population de Figuig a son plein droit à la libre circulation sans cette zone, comme le précise l’accord de 1901, ce qui n’est pas le cas en pratique.

Vous soulignez la nécessité d’avoir de l’écoute du côté algérien. Pensez-vous que les habitants de Figuig ont été entendus d’abord par les autorités marocaines ?

C’est ce pour quoi nous plaidons également. Les autorités locales sont appelées à appuyer la société civile de Figuig ainsi que les coordinations qui porteront ce dossier au niveau de la région, au niveau national et à l’étranger à travers la diaspora en France, au Canada, aux Etats-Unis et dans les grandes villes marocaines. Ces coordinations vont renforcer le plaidoyer car cette question concerne tout le Maroc. La population de Figuig est constituée des enfants de cette nation, ils ont participé à la résistance contre l’occupation, pour la libération de l’Algérie. Boumediene se rendait d’ailleurs dans cette zone et nos voisins bénéficiaient du soutien armé, financier et moral, mais ces efforts ont été niés.

L’OMDH accompagnera ces coordinations comme nous avons accompagné celle d’il y a douze ans, lorsque notre organisation était présidée par Amina Bouayach [actuelle présidente du Conseil national des droits de l’Homme, ndlr] et que j’étais secrétaire général. Nous effectuerons le même processus sur le volet des droits humains, où nous appuierons le droit de la population à protéger ses propriétés, comme cela lui est universellement reconnu.

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