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Grand Angle  

Figuig : Les terres d’El Arja, propriétés privées ignorées par les accords maroco-algériens de 1972

Depuis quelques jours, les agriculteurs d’El Arja font leurs bagages pour quitter les terres qu’ils ont cultivées de père en fils. Le 18 mars, ils devront tous partir, l’Algérie leur ayant rappelé que le territoire relevait de sa souveraineté. Qu’en est-il réellement ?

Publié
Province de Figuig / DR.
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D’ici le 18 mars, les palmeraies d’El Arja seront vidées de leurs propriétaires marocains, sommés par les soldats algériens sur place de quitter un territoire qui ne serait pas sous la souveraineté du Maroc. A Figuig, un peu plus au sud de ces terres, Yabiladi a appris des acteurs de la société civile locale que les autorités marocaines ont également signifié aux propriétaires l’impératif de ce déplacement, «pour la protection de leurs vies».

Mais pour les exploitants des palmiers dattiers, le traçage frontalier n’est pas le même que celui convenu entre le Maroc et l’Algérie. D’après le bulletin officiel algérien n°48 du vendredi 15 juin 1973, consulté par Yabiladi, la Convention relative au traçage de la frontière d'Etat établie entre le Maroc et l’Algérie évoque une frontière «le long de la ligne de crêtes en passant par les points côtés 1544, 1026 (djbel Melias)». Elle passe ensuite «sur la ligne de crêtes des hauteurs séparant les Oasis de Beni Ounif et de Figuig, puis contourne les zones dunaires à l’est de cette localité en suivant l’oued sans nom, jusqu’à sa rencontre avec l’oued Halouf».

Ce dernier «est suivi vers le nord, jusqu’à Beni Smir». Le texte enchaîne qu’«à partir de Ras Beni Smir, la frontière suit la ligne de crêtes de djebel Abiène, en passant par les côtes 1769, 1735, 1704, contournant Ich à l’est, elle se dirige, en ligne droite vers le nord-ouest, en passant à 800 mètres à l’est de Hassi El Mekhareg, jusqu’au point de coordonnées 04° 01’ ouest, 36° 33’ nord».

Une convention entre Hassan II et Boumediène définit un tracé

Cet accord scellé entre Hassan II et Houari Boumediène en 1972, ne sera publié au Bulletin officiel du Maroc, le 1er juillet 1992 dans les mêmes termes. Pour des acteurs associatifs originaires de la région, contactés par Yabiladi, ce texte laisse entendre que «l’oued sans nom serait Zousfana ainsi que l’oued qui le rejoint, qui est celui qui passe par El Arja». Cela indique selon eux que «tout ce qui est de l’autre côté est algérien» et qu’«il est officiellement convenu que la moitié des terres historiques de Figuig sont en Algérie».

Mais les exploitants des palmiers dattiers ont une autres interprétation de cette convention. Ils estiment que l’oued traversant El Arja est bien connu pour être éponyme, «l’oued sans nom» étant ainsi celui qui passe de l’autre côté des crêtes, qu’ils considèrent bien comme étant algériennes, contrairement à leurs terres situées au nord-est de Figuig.

Acteur associatif local, Mohamed Ammari explique à Yabiladi que «le tracé est bien défini dans la convention entre les deux pays, mais la grande question reste que les locaux considèrent «l’oued sans nom» qui délimite l’espace comme étant celui de l’autre côté des hauteur et non pas l’oued El Arja qui traverse les palmeraies».

«Dans tous les cas et en dehors des questions de souveraineté marocaine ou algérienne, celle de la protection des biens individuels se pose sérieusement pour les agriculteurs, au regard du droit international qui les protège et de la responsabilité de chaque pays à protéger les droits économiques de ses ressortissants.»

Mohamed Ammari

Une souveraineté qui ne doit pas exclure la protection des biens individuels

Dans ce sens, Mohamed Ammari s’interroge sur la position du Maroc face à ce qui se passe actuellement. Il estime que «les autorités locales devaient soit garantir, via un accord administratif, l’accès restreint aux exploitants qui n’habiteront plus El Arja si le territoire est bien algérien, mais qui pourront s’y rendre pour leur travail agricole en tant qu’héritiers et exploitants dont l’identification est documentée». Ou bien «leur proposer des indemnités avant de leur imposer un déplacement aussi brusque, alors que quels que soient les termes de la convention ces exploitants n’ont jamais été inquiétés sur leurs activités depuis des décennies». Mohamed Ammari déplore qu’aucune «des deux options n’a été à l’ordre du jour du côté du Maroc».

S’ils viennent à être dépossédés de leurs biens à El Arja, en réactivation stricte d’un accord signé dans les années 1970 mais qui n’a pas été contraignant pour les tribus locales et leurs activités agricoles, les agriculteurs seront-ils réhabilités ? Pour l’heure, les autorités locales à Figuig n’abordent effectivement pas la question. A El Arja, les agriculteurs déplacés laisseront derrière eux entre 10 000 et 15 000 palmiers. Les plus productifs en dattes, et qui sont nombreux, rapportent jusqu’à 4 000 dirhams par an. Sur les lieux, ils ont également mis en place avec leurs propres moyens toutes les installations d’énergie solaire et de branchements en eau, en plus d’importantes réparations routières pour faciliter l’accès à leurs exploitations. En cas d’indemnisation, la facture risque d’être considérablement élevée.

Pour les habitants locaux, ce tour de vis sur la flexibilité de la circulation des propriétaires identifiés, malgré la fermeture des frontières entre les deux pays depuis les années 1990, serait notamment lié aux nouvelles tensions politiques entre le Maroc et l’Algérie, concernant la question du Sahara occidental. De son côté, Alger a bien opté pour la fermeté. «Quelques installation militaires à vue d’œil depuis El Arja portent désormais le drapeau algérien, pour souligner aux passants qu’ils ne sont bel et bien pas sur un territoire marocain», nous décrit Mohamed Ammari.

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