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Grand Angle

Aicha al-Maslouhi, 75 ans d’attachement au Maroc et à la Palestine depuis Al Qods

Aicha al-Maslouhi est une Palestinienne d'origine marocaine qui vit à Harat al-Maghariba, à Al Qods. Elle revient, avec Yabiladi, sur le statut de ce quartier offert par Salaheddine El Ayoubi aux Marocains qui l'ont aidé à libérer Al Qods lors des Croisades et sa relation avec le Maroc.

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Aicha al-Maslouhi a vu le jour à Harat al-Maghariba en 1946, d’un père marocain et d’une mère palestinienne. / DR
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Née à Harat al-Maghariba à Al Qods en 1946, soit deux ans seulement avant la déclaration de l'établissement d'Israël, Aicha al-Maslouhi est une Maroco-palestinienne toujours attachée au pays d’origine de son père. A l’époque, le quartier emblématique de la ville sainte accueillait 138 familles originaires d'Afrique du Nord.

Ainsi, tout en veillant à employer des mots en darija marocaine, elle explique que son père était originaire de Tamslouht, située à la périphérie de Marrakech, d’où son nom de famille. Jeune, il était arrivé en Palestine en accompagnant des pèlerins qui se rendaient en Palestine après l’accomplissement du cinquième pilier de l'islam. Une fois à Al Qods, son père s’y installe, et travaillera en tant que gardien de l’une des portes de la Mosquée Al Aqsa pendant 51 ans. Il est décédé dans la ville sainte à l’âge de 90 ans, se remémore Aicha al-Maslouhi.

Le Maroc comme refuge dans les années 60

«Mon père, Haj Ahmed Ben Mohamed Ben Kacem al-Maslouhi est décédé avant la guerre de 1967. Ma mère avait été appelée à choisir entre recevoir une indemnité ou proposer l’un de mes frères pour travailler à sa place», nous confie-t-elle. Finalement, la famille optera pour cette deuxième option et son frère passera, à son tour, 30 ans à garder la porte de la Mosquée.

Aicha se souvient aussi de l'état de Harat al-Maghariba où elle a grandi, avant son occupation par les Israéliens en 1967. «C'était un quartier vivant, dans lequel il n'y avait aucune distinction entre Marocains, Algériens ou Tunisiens», décrit-elle avec nostalgie.

Mais avec la défaite des armées arabes en 1967 contre Israël, la vie d'Aisha sera bouleversée. Elle se trouve forcée de quitter la Palestine et de chercher un refuge. «Nous avons été déplacés avec le reste des déplacés en Jordanie. Mon mari a travaillé en Arabie saoudite pendant un an, puis nous sommes retournés en Jordanie. Après cela, nous avons du partir vers le Maroc pour nous y installer», détaille la Maroco-palestinienne.

«Nous sommes restés à Rabat où nous avons obtenu des emplois dans le cadre d'une qu’aide royale pour les réfugiés. Notre situation était bonne. J'ai travaillé au ministère de la Jeunesse, des Sports et des Affaires sociales, au service des affaires sociales. Mon mari, originaire de Boulmane-Dadès a travaillé au service de la comptabilité.»

Aicha al-Maslouhi

Un quartier défiguré par l’occupation

Mais après la mort de son mari dans un accident de la circulation à Ouarzazate en 1974, la Maroco-palestinienne décide de retourner à Al Qods. «Une loi sur le regroupement familial avait été adoptée et puisque ma mère était restée à Al Qods et avait acquis des documents prouvant sa résidence là-bas, nous avions obtenu la permission de retourner dans notre pays et notre ville natale et nous y sommes restés jusqu'à ce jour», explique-t-elle.

Le poids des années et l'occupation israélienne ont profondément transformé son quartier natal. «Avons-nous encore un quartier ? Il y a un vaste terrain vide et une zone où ils (les Israéliens, ndlr) tiennent leurs rituels religieux. Il ne nous reste plus rien qu’une petite zone où nous résidons actuellement», décrit-elle avec une pointe d'amertume.

Elle se rappelle aussi des souvenirs de l'occupation d’Al Qods. «J'étais mariée et je n'avais jamais été témoin d’une invasion des Israéliens de mon quartier. Bien que nous vivions, mon mari et moi, dans une région éloignée du quartier, mes frères et sœurs y étaient et ma mère racontait que le matin du 11 juin 1967, les Israéliens ont commencé à appeler, à l’aide de haut-parleurs, les habitants à évacuer le quartier en indiquant qu’ils vont le démolir», ajoute-t-elle. «Après cette opération, trois corps avaient été découverts sous les décombres. C'étaient des personnes âgées qui n’avaient pas entendu l'appel», regrette-t-elle.

Un attachement qui persiste à travers les traditions

Cependant, pour cette Maroco-palestinienne, «l'occupation n'a pas pu détruire la mémoire des habitants du quartier, malgré la destruction de leurs maisons».

«Quand j'étais jeune, les habitants du quartier maintenaient les coutumes et les traditions marocaines, en particulier pendant le Ramadan et les fêtes. Ainsi, pendant le mois sacré, une distribution de nourriture à tous les habitants était organisée par le Waqf marocain deux à trois fois par semaine. Les hommes se réunissaient les jeudis pour réciter le coran et on organisait un repas commun, le vendredi, durant lequel une femme âgée du quartier préparait du couscous.»

Aicha Al-Maslouhi

Elle ajoute que Harat al-Maghariba abrite actuellement une dizaine de familles seulement. «Avant 1967, des Marocains aisés venaient avec leur aumône ou leur argent de la zakat pour donner des sommes généreuses aux familles mais après 1967, les gens ont été empêchés de venir dans la Palestine», regrette-t-elle encore. Fière de ses racines marocaines, cette grand-mère affirme que «si une personne n'est pas Marocaine, elle souhaite avoir quelques-unes des bonnes qualités qui nous caractérisent».

La Maroco-palestinienne n'élude pas les questions d'actualité et la politique. Elle explique ainsi que les familles vivant à Harat al-Maghariba, notamment celles d’origine marocaine, ont été «choquées» par l’annonce récente de la normalisation des relations entre le royaume et Israël. «Cela a été douloureux pour moi et pour de nombreux habitants d’Al Qods. De quoi le Maroc a-t-il besoin pour qu’il normalise ses liens avec une entité sioniste et occupante ?», s’interroge-t-elle en rappelant que les Marocains étaient pourtant les premiers musulmans à soutenir la cause palestinienne. «C'est la politique laide», conclut-elle sans ambages.

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