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Grand Angle

Maroc-Allemagne : Une stratégie de la tension sans la rupture

La tension sans la rupture diplomatique. C'est la stratégie que le Maroc n'hésite plus à appliquer avec ces partenaires européens. Une politique ayant permis au royaume de glaner des acquis dans ses rapports, parfois tendues avec, trois de ces partenaires européens. Sera-t-elle aussi efficace avec l'Allemagne ?

 

Publié
Nasser Bourita et Angela Merkel / Archive - DR
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Le ministère des Affaires étrangères a annoncé, hier, la suspension de tous ses contacts avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat ainsi que les fondations allemandes installées au Maroc. Ces dernières années le Royaume n’a pas hésité à lancer des représailles ciblées contre certains de ses partenaires européens.

La «suspension de l’exécution de toutes les conventions de coopération judiciaire» avec la France, décrétée le 26 février 2014 par le ministère de la Justice dirigé alors par Mustapha Ramid, a marqué le changement de ton de Rabat avec ses partenaires traditionnels. Officiellement, elle était justifiée par le souci de «remédier aux disfonctionnements qui entachent» ledit accord entre Rabat et Paris. Mais la décision intervenait seulement quelques jours après le mandat d’arrêt lancé par une juge française contre Abdellatif Hammouchi, patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), pour «complicité de torture».

Rabat n'avait pas goûté le débarquement d'une escouade de policiers venus le chercher à la résidence de l'ambassadeur marocain à Paris, le 20 février. Le patron de la DGST à l'époque se trouvait dans la capitale française aux côtés de l’ancien ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad pour une réunion du G4, composé de la France, l’Espagne, le Portugal et le Maroc.

Après une année de brouille, marqué par le gel de la coopération sécuritaire, les attentats terroristes contre Charlie Hebdo et la prise d’otages de l'Hyper cacher à Paris, respectivement les 7 et 9 janvier, ont conduit le Maroc à tourner la page. Les retrouvailles ont été scellées à l’occasion d’une communication téléphonique, début février, entre le roi Mohammed VI et le président François Hollande. S’ensuivie une reprise de la coopération judiciaire en échange de concessions françaises à la partie marocaine. Paris est tenue, désormais, d’informer Rabat de toute plainte déposé contre un Marocain de passage de France. Et il en est de même pour Rabat.

Colères contre l’Union européenne et l’Espagne

Après la France, l’Union européenne connaitra le même épisode de tension, suite à l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE excluant le Sahara occidental de tout accord de coopération avec le royaume, en décembre 2015. Le gouvernement a réagi en dénonçant «le caractère hautement politique de cette décision, ses arguments infondés, sa logique biaisée et ses conclusions contraires au droit international et en désaccord avec les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU», indiquait le 25 février 2016 le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi.

«Tout en prenant note de la réaction rapide et unanime du Conseil de l’UE contre cet arrêt, le gouvernement exprime sa profonde déception à l’égard de la gestion opaque que certains services de l’UE ont faite de cette question.»

Mustapha El Khalfi

Avant l’officialisation de la colère marocaine, le chef de l’exécutif, Abdelilah Benkirane, s’était en effet réuni avec le représentant de l’UE à Rabat, l’ambassadeur Rupert Joy, pour lui notifier la décision. Finalement, cette brouille aura duré à peine un mois. Le 17 mars 2016, le gouvernement marocain annonçait la reprise de ses contacts avec l’UE. Une reprise qui a permis au Maroc de contourner le verdit de la CJUE et de conclure ensuite, le 25 octobre 2018, l’accord portant sur l’échange de lettres portant modification des protocoles n°1 et n°4 de l'accord établissant une association entre le royaume et l’UE. 

Bien avant la France et l’Union européenne, les relations entre le Maroc et l’Espagne ont connu des moments de hautes tensions. Le 2 novembre 2007, Rabat avait rappelé son ambassadeur à Madrid, Omar Azziman, «pour consultation». Une mesure prise en signe de protestation contre le projet de visite effectuée, les 6 et 7 novembre, par l’ancien roi Juan Carlos à Ceuta et Melilla. Un rappel qui n’était pas le premier du genre, puisqu'en novembre 2001, le royaume avait condamné «un certain nombre d'attitudes et de positions espagnoles» et déplorait qu’«aucun effort pour favoriser le dialogue et la bonne entente» entre les deux voisins.

Le Sahara et l'ingérence allemande

Avec l’Allemagne, aucun argument n’a été avancé dans le document du ministère des Affaires étrangères pour expliquer cette décision brusque. «En raison des malentendus profonds avec la République fédérale de l’Allemagne au sujet des questions fondamentales du Royaume du Maroc», a justifié le département de Nasser Bourita dans une note interne au gouvernement. Pourtant l’Allemagne s’est récemment montrée généreuse avec le Maroc. Le 1er décembre dernier, elle accordait une enveloppe de 1,38 milliard euros, dont 202,6 millions euros, sous forme de don. Un geste célébré en son temps par le ministère marocain des Affaires étrangères en ne tarissant pas d’éloges sur la coopération maroco-allemande.

Une tension brusque que d'aucuns lient aux récents bras de fer entre Berlin et Rabat sur le dossier du Sahara à l'ONU suite à la reconnaissance de la marocanité du territoire par Donald Trump, en décembre. Pourtant l'Espagne, avec une position similaire, n'a pas connu une réaction de la diplomatie marocaine aussi frontale. Malgré les différents avec chacun des deux pays européens, les relations ne sont pas les mêmes.

Nasser Bourita a déjà eu l'occasion de marquer sa désapprobation quant à l'ingérence de certains diplomates ou représentants de fondations allemands au Maroc. En coulisse, l'inflexibilité de Berlin sur le dossier du Sahara et l'activisme de ces fondations et diplomates au Maroc -une source affirmant même à Yabiladi des soupçons d'espionnage- a particulièrement irrité Rabat. La fuite opportune de la note interne au gouvernement signée des mains de Nasser Bourita permet à la fois de signifier publiquement la brouille diplomatique sans pour autant aller à la rupture diplomatique. La stratégie de la tension sans la rupture expérimentée avec l'Espagne, la France et l'UE parviendra-t-elle au même épilogue cette fois-ci ?

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