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Grand Angle

La curieuse histoire de Mohamed El Attaz, prince saadien devenu jésuite

Parti en pèlerinage à la Mecque à l'âge de vingt ans, il est capturé sur son chemin par des chrétiens et réduit en esclavage. Après cinq ans, Mohamed El Attaz, pourtant prince saadien, se convertit au catholicisme romain et devient l'un des premiers nobles musulmans à rejoindre la Compagnie de Jésus.

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Le prince Mohamed El Attaz devenu Balthazar Mendez de Loyola. / DR
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Au XVIIe siècle, la conversion religieuse était un phénomène répandu dans les terres sous contrôle chrétien ou musulman. Alors que les captifs chrétiens au Maroc se convertissaient à l'islam, il en était de même pour les Marocains capturés par les flottes chrétiennes. Une conversion qui s'imposaient même aux nobles et aux princes. Mohamed El Attaz, connu dans le monde occidental sous le nom de Balthazar Mendez de Loyola, était l'un de ces captifs ayant choisi de se convertir même après leur liberté.

Fils d’Al-Walid, onzième sultan de la dynastie saadienne, Mohamed El Attaz est né en 1631 au milieu de la tourmente politique. Il était le fils de la deuxième épouse du sultan, selon les récits historiques. Dès son plus jeune âge, le jeune prince montre un grand intérêt pour la théologie. Dans un article intitulé «A Muslim Turned Jesuit : Baldassarre Loyola Mandes (1631-1667)» (Journal of Early Modern History, 2013), l'historien religieux Emanuele Colombo désigne le jeune comme «un expert du Coran».

À l'âge de quatorze ans, le prince se marie. A vingt ans, alors qu'il a trois enfants, il «part pour faire le pèlerinage à La Mecque (…) contre la volonté de ses parents», écrit Colombo. Mais sur la route, le prince marocain est capturé par les chevaliers de Saint-Jean. Des sources historiques indiquent qu'il est fait prisonnier par la flotte chrétienne de Balthazar Mandols près du Cap Bon, qui constitue la pointe nord-est de la Tunisie.

De l'islam au christianisme

Mohamed El Attaz est retenu captif à Malte pendant cinq ans ; sa rançon ne sera payée qu'en 1656. Il est donc libéré et peut enfin regagner le Maroc. Pourtant, «le jour même de son départ prévu», Mohamed décide de «se convertir au christianisme», rappelle Emanuele Colombo.

En parlant de sa conversion, El Attaz la qualifie de décision aléatoire qui lui est venue après une nuit blanche, le lendemain du paiement de sa rançon. «J'ai eu une vision : j'étais au milieu de la mer ; la moitié de la mer était noire, l'autre moitié était en flamme ; J'étais en train de marcher dans la moitié noire, mais j'étais attirée vers les flammes. Quand j'étais presque dans le feu, j'ai commencé à crier fort : "Aidez-moi, aidez-moi Seigneur"», écrit-il. «J'ai vu une chose merveilleuse : une montagne dans cette immense mer au niveau de laquelle se tenait un homme vêtu de blanc (…) il m'a fait sortir, et je me suis retrouvé hors du danger. Je lui ai demandé, "pour l'amour de Dieu, qui es-tu, toi qui m'as libéré de cette mer ?" et il répondit : "Je suis le saint baptême"», ajoute-t-il.

En effet, le prince musulman a décidé de rester à Malte et d’embrasser le catholicisme romain. La même année de sa conversion, il est baptisé sous le nom de Balthazar de Loyola, en l'honneur d'Ignace de Loyola, saint catholique vénéré et prêtre basque espagnol.

«Il est resté à Malte, où les Chevaliers de Saint-Jean l'ont traité avec un grand honneur», ajoute la même source. «Il a choisi pour lui-même le nom du capitaine du navire qui l'avait fait prisonnier cinq ans plus tôt et a ajouté le nom de famille "Loyola" en l'honneur de Saint Ignace, le jour de la fête durant lequel il a été baptisé», écrit Colomb.

Après sa conversion, l’ex-musulman a décidé de se rendre en Italie, où il était connu sous le nom de Baldassarre de Loyola. Trois ans passés en Sicile, le prince saadien rejoint alors la Compagnie de Jésus, un ordre religieux de l'Église catholique dont le siège est à Rome. Ignace de Loyola et six compagnons fondèrent cet ordre, en 1540, avec l'approbation du pape Paul III.

Rejoindre la Compagnie de Jésus

Cette décision a fait de Mohamed El Attaz le premier et le seul dirigeant musulman à devenir jésuite et membre de l'ordre chrétien. De plus, selon le même ouvrage, «il est l'une des rares exceptions connues au décret de la cinquième Congrégation générale (1593) qui empêchait les personnes d'ascendance juive et musulmane de rejoindre la Compagnie de Jésus». En 1661, il est même accepté au noviciat romain de Sant'Andrea al Quirinale, une église titulaire catholique romaine construite pour le séminaire jésuite. Deux ans plus tard, il devient prêtre.

«Pendant environ trois ans (1664-1667), il se consacre à la conversion des esclaves musulmans à Gênes et à Naples. Lors de ses voyages en Italie, Baldassarre a été en contact avec d'éminentes autorités religieuses et politiques, dont les cardinaux Antonio Barberini et le futur pape Benedetto Odescalchi, le vice-roi de Naples et des membres des familles Savoia, Medici et Doria.»

Emanuele Colombo

En tant que jésuite, Balthazar rêvait de partir en mission hors d'Europe et a demandé à être envoyé dans un pays musulman. Son souhait est exaucé en 1663, lorsqu'il est nommé missionnaire pour les Indes orientales, un terme faisant référence à l'Asie du Sud-Est maritime et à certaines parties de l'Asie de l'Est.

Colombo explique que «Baldassarre a été affecté à l'importante mission jésuite dans le royaume du Grand Mogol en Inde». Son voyage consistait à se rendre à Lisbonne, au Portugal, puis à naviguer pour sa mission. «Depuis qu'il a atteint une certaine notoriété, lors de ce fatigant voyage à travers l'Italie, la France et l'Espagne, il a été constamment sollicité pour prêcher et rencontrer les autorités locales. Lorsqu'il est arrivé en Espagne, il était épuisé et est tombé malade», rappelle l’historien.

Le prince saadien décède en 1667 à Madrid avant d'entamer sa mission tant attendue. Ses obsèques ont été célébrées et suivies par «une foule de nobles, de membres des ordres religieux et des autorités ecclésiastiques locales».

«Une semaine plus tard, dans la même église, à la demande de membres de la Cour espagnole, le prédicateur royal Pedro Francisco Esquex prononce un sermon funéraire marquant et qui sera immédiatement publié et largement diffusé».

Emanuele Colombo

La vie, la conversion et l'enthousiasme religieux de Balthazar étaient tout à fait uniques et ont été au cœur de plusieurs publications en Europe. Alors que les Chevaliers de Saint-Jean étaient fiers d'avoir acquis un converti aussi noble, les autres captifs musulmans le prenaient pour un fou.

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