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Grand Angle

Maroc : Le patrimoine architectural de Casablanca menacé

Poumon économique du royaume, Casablanca n’en affiche pas moins un patrimoine architectural des plus riches. Legs historique d’un protectorat français qui a laissé sur la ville ses indélébiles empreintes, son patrimoine, singulier et hétéroclite, menace toutefois d’être réduit à peau de chagrin. En cause, la spéculation immobilière frénétique que connait la ville et qui pousse les promoteurs à racheter des immeubles chargés d’histoire pour en faire des tours ultramodernes, métalliques et glacées, dont ils peuvent ensuite revendre le mètre carré à prix d’or.

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L'Hôtel Lincoln: un des nombreux édifices de la ville en ruine
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Lorsque les Français établirent leur protectorat au Maroc au début du siècle dernier, leur mission était de faire de Casablanca, outre un port d’envergure internationale, le laboratoire expérimental de l’architecture moderne du royaume. Lyautey souhaitait moderniser les infrastructures de la ville, tout en maintenant une relative harmonie avec le style néo-mauresque qui la singularisait déjà, un style que le Résident général aimait beaucoup.

De grands édifices furent construits, parmi lesquels l’hôtel Lincoln. Dessiné par l’architecte français Hubert Bride, cet immeuble Art Déco majestueux ouvert en 1916 fût utilisé par les espions américains durant la Seconde Guerre Mondiale. Depuis sa fermeture en 1989, précipitée par un effondrement meutrier durant lequel deux personnes trouvèrent la mort, l’hôtel est tombé en ruines. Aujourd’hui, seule sa façade subsiste mais l’immeuble, lui, menace toujours de s’effondrer.

«Nous devons agir vite». Tel est le constat que dresse Karim Rouissi, vice-président de Casamémoire, une association chargée de protéger le patrimoine architectural de la ville blanche. Dans une interview qu'il a accordé à l'AFP, Mr. Rouissi annonce que l’hôtel Lincoln, comme d’autres édifices, «sont dans un état de délabrement avancé» poursuit-il.

Selon lui, ce seraient plus de 4000 édifices historiques qui seraient dans cet état dans la capitale.

Il est vrai que depuis la fin du protectorat français dans les années 50, Casablanca a connu un essor fulgurant et cette évolution tous azimuts s’est faite au détriment de la restauration et du maintien des anciens édifices.

La spéculation frénétique accélère la deliquescence du patrimoine

La spéculation immobilière de ces dernières années n'a rien arrangé. En raison de la croissance démographique continue de la ville, le secteur de l’immobilier casablancais connait en effet une véritable effervescence depuis une vingtaine d'années, promoteurs et investisseurs étant perpétuellement à la recherche de nouveaux terrains à bâtir ou de vieux immeubles à racheter.

En cela, les édifices historiques constituent-ils pour eux des proies idéales car se trouvant souvent situés en plein cœur de la capitale. Que font les promoteurs alors ? Ils les rachètent, les détruisent, puis les remplacent par des immeubles ultramodernes dont ils louent ou revendent les appartements à des prix mirobolants.

Interrogé à ce sujet, Rouissi indique que l’origine du problème de la spéculation est liée au fait que les locataires actuels des anciens immeubles paient de très faibles loyers – dont le montant a souvent été fixé à une époque où le prix des loyers casablancais n’avait pas encore connu la fuite en avant qu’il connait actuellement – et que leur propriétaire ne peuvent les en déloger qu’à la condition très coûteuse de les reloger ailleurs.

Dans ce sens, la destruction de l’immeuble, puis sa reconstruction, apparait donc aux yeux des propriétaires comme une alternative des plus profitables : ainsi, après avoir réalisé des travaux d’amélioration, de modernisation et/ou de réhabilitation peuvent-ils exiger de leurs locataires le paiement d’un loyer majoré de quelques centaines ou milliers de dirhams.

Et ce ne sont pas les autorités des services d’urbanisme de la ville, avec lesquelles les propriétaires entretiennent «d’étroites relations», qui les empêcheront de parvenir à ces fins, témoigne Mr. Rouissi.

D’où les condamnations répétées du vice-président de Casamémoire qui déplore que «la reconstruction de Casablanca se fa[sse] au détriment de la ville et de son héritage». Mr Rouissi tempère néanmoins son propos en rappelant que malgré l’absence de plan stratégique de conservation du patrimoine, les autorités de la ville semblent être devenues depuis quelques années plus réceptives et concernées par la pérennisation de l'héritage architectural de la "Maison Blanche".   

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