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Interview

Casablanca : L’urbanisation au défi des inondations et des tsunamis à venir [Interview]

Architecte, urbaniste et paysagiste, Rachid Haouch estime que les inondations répétées à Casablanca doivent conduire à un changement de paradigme en termes d’urbanisme. Egalement vice-président du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), il insiste sur les défis climatiques, auxquels les politiques de la ville doivent s'adapter.

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Photo d'illustration / DR.
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Les inondations reviennent à Casablanca de manière périodique depuis presque un siècle. Nous n’avons toujours pas tiré les leçons ?

Pour gérer les inondations, il faut retenir qu’il existe deux visions principales. Il y a d’abord celle des astrophysiciens, selon laquelle un cycle solaire de dix à onze ans peut provoquer des perturbations climatiques. Si l’on se réfère à l’année 2010, on se rappelle qu’elle a été marquée par des inondations à Casablanca, comme en 2000 aussi. La prophétie peut être justifiée, d’autant plus que je crois au facteur important de changement climatique. Tant qu’on ne s’est pas posé les bonnes questions, on ne peut donc pas résoudre la problématique à Casablanca.

Dans ces circonstances, on ne peut pas concevoir non plus des lotissements dans les logiques et les visions d’avant, avec des équidistances de 72 mètres entre les grilles d’assainissement. Il faut mettre en place une équidistance de 36 mètres, comme je l’ai fait sur la partie du centre-ville entre Anfa et boulevard El Massira, qui n’a pas été inondée. Il faut s’y préparer dès maintenant, car il faut s’attendre à plus d’alertes météorologiques à l’avenir, justement avec le changement climatique.

Autre point important : la canalisation des eaux pluviales vers la mer est venue à bout, au regard de l’écologie. Cependant, on continue à concevoir des projets qui sortent du cadre réglementaire du plan d’aménagement, via des dérogations. Ils n’ont pas été étudiés pour être connectés au réseau ancien, qui date de 50 ans et qui ne peut pas être refait. On a mis en place tellement de lotissements sans en tenir compte et on continue à bétonner la ville, à augmenter en conséquence le coefficient de ruissellement sur une surface minérale, sans penser au boisement. On voit ici la difficulté de connecter toutes les dérogations ayant donné lieu à des quartiers (Lissasfa, Lahraouiyne, Nassim…).

Aussi, nous sommes encore au stade de rejeter en mer tout ce que l’on récupère comme eau pluviale avec le super collecteur, en ayant l’impression que l’on détourne l’oued Bouskoura. Ce qui tombe sur Casablanca et rejeté directement en mer équivaut à un bassin de 100 hectares, avec 3 mètres de profondeur. Nous aurions pu récupérer cette pluie pour mettre en place une station d’eau douce. 

Chaque plan de réaménagement implique une étude de risques ou d’impact. Cela ne se fait pas dans le cas de la ville de Casablanca ?

L’importance d’une étude de risque ou d’impact a été introduite très récemment dans la politique de la ville. Pour l’heure, elle se fait surtout au niveau des infrastructures industrielles, mais peu pour l’habitat. On instruit encore des autorisations de construire, avec un arrêté municipal permanent qui date de 1931. Cette disposition insiste seulement sur l’accessibilité de la terrasse, mais ce débat est dépassé. La terrasse d’un bâtiment doit désormais être végétalisée pour ralentir le ruissellement et permettre l’absorption par les plantes, ainsi que l’acheminement d’eaux pluviales à des citernes dans les sous sols, pour que l’on puisse en récupérer un maximum.

Il faut aussi créer en parallèle des chaussées-réservoirs, avec un béton poreux pour ralentir le ruissellement et bénéficier de cette eau pour l’arrosage, qui se fait encore souvent avec de l’eau potable. On bétonne actuellement sans même mettre en place les 12m² de verdure obligatoires selon l’OMS en ville et 25m² en périphérie, tout en ouvrant 3 000 hectares à l’urbanisation, de l’autre côté de l’autoroute de contournement. Donc il faut absolument mettre en place une ceinture verte en périphérie, pour accentuer l’absorption de la pluie.

On pense aussi que le site de Casablanca n’est inondable que durant des intempéries. Mais étant un lit majeur de l'oued Bouskoura, la ville ne peut pas être protégée par le super collecteur. En effet, il est faux de croire que les sources de Casablanca sont inactives. En les canalisant vers la mer, on pense qu’elles ne se réveilleront jamais. Mais à chaque construction prévoyant un double sous-sol, on retrouve cette nappe superficielle alimentée par ces sources justement, et qui nécessite un pompage de six mois à un an et demi.

Si une étude d’impact avait été faite au début du XXe siècle, on aurait pu penser à connecter ces sources et en tenir compte pour envisager des zones vertes, au lieu de mettre en place des dérogations de construction. C’est une erreur également de continuer à y voir seulement une question d’entretien, alors qu’il s’agit d’une capacité de réseau d’assainissement qui, avec ou sans entretien, arrive à saturation lorsqu’elle est dépassée.

Face au bétonnage à outrance de la ville, y a-t-il un espoir que les décideurs locaux mettent en place des zones vertes justement pour atténuer les risques d’inondation ?

La spéculation immobilière a fait des ravages incommensurables. Soit on continue à faire l’autruche, soit on résoud le problème du bétonnage de la ville, car il en va de la survie des générations futures. Ou nous continuons à vendre Casablanca au plus offrant, ou nous mettons en place un plan quinquennal pour proposer des solutions de prévention contre les inondations. Il faut questionner l’impact de l’ensemble des dérogations prises qui ont transformé la ville, sans avoir diminué le risque d’inondabilité des quartiers.

Il faut repenser la situation des parcs et des espaces verts, qui sont souvent sur des propriétés acquises par le privé, dont le terrain est très coûteux. La spéculation immobilière ne doit plus envahir les espaces à transformer en parcs, qui doivent être repris par la ville pour être réinvestis par de la végétation. Il existe aussi des possibilités de compensation en hauteur.

Les solutions sont multiples, mais elles ne pourront montrer leur efficacité que si l’on abandonne le fonctionnement sur lequel nous sommes depuis au moins 50 ans, ce qui nécessite une révolution des mentalités.

Faute de pouvoir déplacer l’ensemble des zones inondables de la ville, que préconisez-vous en tant qu’architecte et urbaniste ?

C’est une remise en question de l’ensemble du paradigme qui s’impose. Il faut sortir du type de calcul mis en place jusque-là et j’insiste sur la révision de l’équidistance entre les réseaux. Dans le cas échéant, il faut trouver des solutions d’assainissement alternatif, de façon à ce que chaque opérateur de construction se charge de récupérer les eaux à son niveau. Il s’agit d’équiper chaque immeuble, à sa construction, d’un rétenteur d’eau de pluie, avec des toitures végétalisées, puis une possibilité de réutilisation de cette eau. Cela doit se faire désormais à l’échelle de l’habitant.

N’oublions pas qu’en plus des inondations, il y a le risque de tsunamis. Nous savons que Casablanca est sur la côte atlantique, connue pour le mouvement de sa plaque tectonique. Nous connaissons les conséquences du séisme de Lisbonne, qui a généré une vague emportant 30 000 Marocains en 1755 et qui est entrée sur 10 kilomètres dans les terres, entre Tanger et Agadir. D’après les physiciens, la fréquence d’un tel mouvement est de 500 ans. Nous sommes à mi-chemin, nous devons donc nous y préparer, au lieu de rejeter la responsabilité les uns aux autres à chaque intempérie.

D’après la cartographie de Casablanca, nous pouvons dire qu’en cas de tsunami, une vague de huit mètres fera des dégâts jusqu’au boulevard des FAR. La vague la plus importante pourrait mesurer jusqu’à 30 mètres, l’équivalent d’un impact tragique jusqu’à l’autoroute, qui dévastera donc toute la ville. Nous devons réfléchir à des ralentisseurs de vagues avec des études approfondies le long de la côte en créant des avenues-quais, mais non pas bétonner le littoral comme cela se fait actuellement.

C’est pour cela qu’à Casablanca, il faut un «plan Marshall» pour la gestion des risques liés à l’eau. Il faut tenir compte de solutions en amont comme évoqué plus tôt, sinon nous aurons les mêmes débats tous les dix ans. Cela est important aussi pour le bâtiment, car avec les périodes d’inondation qui deviendront de plus en plus féquentes, les menaçants ruine vont se multiplier. Il existe beaucoup d’auto-constructions, les fondations sont mal faites et les glissements donneront lieu à plus d’effondrements. Il faut prendre en considération le risque de tremblement de terre, qui peut certes se déclencher en zone 1, mais avoir aussi de lourdes conséquences sur une ville en zone 2, inondable et sur un littoral, comme Casablanca.

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