«Mon Maroc», également titre d’un beau livre qu’il a édité en 2003, aura été l’une des toutes dernières expositions à montrer ses travaux, de son vivant. Celle-ci, tenue en 2019 à la Leica Gallery (Istanbul) et une seconde, consacrée à la Chine, constituent d’ailleurs les deux dernières à rendre hommage à Bruno Barbey, avant son décès, le 9 novembre 2020.
Le 13 février 1941, le photographe franco-suisse a vu le jour à Rabat, au Maroc. Depuis, le pays est resté un repère personnel et artistique pour Bruno Barbey. Il y est revenu physiquement ou à travers ses travaux, tout au long de sa carrière, bien qu’il ait passé la majeure partie de sa vie à sillonner le monde. Il a fait son nom particulièrement dans la photographie de guerre et le photoreportage.
Bruno Barbey a surtout immortalisé nombre de révoltes, de mouvements sociaux et de manifestations, notamment celles de mai 68 en France, entre autres événements historiques où il aura été au bon moment et au bon endroit. Il a beaucoup voyagé en Asie, notamment en Chine, en Corée du Sud, ou encore au Brésil.
1968 par Bruno Barbey. Publié par Fotograf Evi, Istanbul. 2008.
Un artisan de la photographie indépendante chez Magnum Photo
Mais avant cela, Bruno Barbey a passé une partie de son enfance au Maroc. D’un père fonctionnaire public français, il a précocement plongé dans la littérature d’Antoine de Saint-Exupéry. Il a décroché son brevet de pilote d’avion et a pratiqué le parachutisme à l’âge de seize ans. Un an plus tard, il s’envole à Paris pour étudier au lycée Henri-IV puis il a rejoint la Suisse. Il étudie la photographie et les arts graphiques à l’Ecole des Arts et Métiers, à Vevey, entre 1959 et 1960.
Pour être né et avoir évolué dans un environnement où nombre de pays ont été en pleine construction après leur indépendance, son attrait aux thématiques sociales, politiques et culturelles se confirme dès les toutes premières photos qu’il a prises. Dans ses travaux qui ont annoncé une carrière prometteuse, Bruno Barbey a accompagné les faits historiques marquant la fin du XXe siècle, après avoir photographié les Italiens, «en les considérant comme des acteurs évoluant sur une scène de théâtre, dans le but de saisir l’esprit d’une nation».
Ses premières images captent rapidement l’attention de la prestigieuse agence Magnum Photo, née deux ans après la fin de la Seconde guerre mondiale (1939–1945).
Ph. Bruno Barbey - Collection Les Italiens
Il la rejoint ainsi en 1964, pour en devenir le vice-président Europe, entre 1978 et 1979. Il devient plus tard le président de Magnum International, de 1992 à 1995. Le photographe aura façonné en partie l’identité de l’agence, connue pour ses photos inédites. En effet, Bruno Barbey sillonne le monde entier, enrichissant ainsi la photothèque de Magnum à travers des images qui ont permis à l’agence d'entrer dans l’histoire.
Le photographe voyage souvent dans les zones de conflit, couvrant les guerres «au Nigéria, au Vietnam, au Moyen-Orient, au Bangladesh, au Cambodge, en Irlande du Nord en Iraq et au Koweït», comme le rappellent ses biographies.
Les travaux de Bruno Barbey ont été récompensés à plusieurs reprises. Le photographe reçoit notamment l’insigne de l’Ordre national du mérite et en 2016, il est élu membre de l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France.
Photo Bruno Brabey - Collection Chine 1973 - 2013, de Mao à la modernité
Des liens avec le Maroc pour lutter contre l’oubli
Tout en recevant ces titres, Bruno Barbey n’a cessé de sillonner le monde et de s’affirmer sur la scène internationale de la photographie professionnelle, comme un artiste de la pellicule et un homme de terrain à la fois. Mais la célébrité ne lui aura pas fait oublier son pays natal. Parallèlement à ses multiples voyages dans différents pays, ses liens avec le Maroc n’ont jamais été coupés, même qu’il y revenait souvent pour consacrer des travaux au royaume.
Dès les années 1980, il participe également avec des équipes de télévision pour des productions destinées à la BBC, à la télévision marocaine, ou encore à 2M, dans les années 2000, pour le magazine d’actualité Grand Angle. «Il connaissait le Maroc profond, celui des montagnes, des villages lointains abandonnés de tous, le Maroc des traditions ancestrales», a rappelé Tahar Ben Jelloun dans un hommage posthume à Bruno Barbey.
Photo Bruno Barbey - Collection Maroc
«Chaque fois que nous avons voyagé ensemble pour un projet sur ce pays, je découvrais avec et grâce à lui un Maroc que je ne connaissais pas. Ainsi, je me souviens de notre voyage en 1998 dans les provinces du Sud et des nuits passées dans le désert, non loin de Mhamid. Son regard avait quelque chose de doux et de poétique. Il mettait longtemps avant de capter l’image qu’il recherchait.»
Ses photos du Maroc ont en effet fait le tour du monde et connaissent un franc succès dans le pays également. Certaines ont gagné en popularité, au niveau local, au point d’être reprises pour l’illustration de livres, voire de cartes postales en souvenir du royaume.
En 1999, le Petit Palais à Paris organise ainsi une exposition personnelle de Bruno Barbey, où ses photos prises pendant 30 ans au Maroc ont été montrées. S’ensuit alors son beau livre intitulé tout simplement et avec beaucoup de sincérité «Mon Maroc», celui qu’il a porté dans son cœur et qui l’a vu naître.
Ph. Bruno Barbey - Magnum Photo
Entre 2015 et 2016, la Maison européenne de la photographie à Paris a montré une nouvelle fois son exposition rétrospective, qui a parcouru le monde jusqu’en 2019. Son livre rétrospectif «Passages» est publié entre temps. «Mon Maroc», sous forme d’évènement cette fois-ci, a permis jusqu’en avril de l’année dernière d’apprécier le Maroc coloré et vrai, vu par Bruno Barbey dont le nom est resté attaché au pays.