Yabiladi : Quels sont les points sur lesquels vous êtes en désaccord avec le ministère de la Communication concernant les nouveaux cahiers des charges ?
Salim Cheikh : Au niveau de leur contenu, ces cahiers de charges se caractérisent par une approche générale dirigiste et interventionniste. Il s’agit là d’une véritable grille des programmes et non pas d’orientations et d’objectifs, comme cela est le cas dans les benchmarks internationaux, comme chez BBC et France télévisions. Les dispositions fixent les horaires, les durées et la nature des intervenants. Cette approche est très mal vécue par les professionnels qui la considèrent comme une infantilisation, voire une réduction de leur marge de créativité et une remise en cause de leur indépendance. Par exemple : les horaires des journaux télévisés sont fixés à la minute près, les adapter à la concurrence ou en cas de baisse d’audience, devra se faire en passant par l’approbation du ministère et d’un amendement. Ceci est un véritable retour en arrière et une approche extrêmement bureaucratique.
Vous reprochez au ministre de la Communication de ne pas vous avoir assez consulté pour élaborer ces nouveaux cahiers des charges...
SC : Il y a eu certes des concertations mais les remarques importantes des professionnels n'ont pas été prises en considération. Le processus s’est caractérisé par une rétention totale de l’information. Les opérateurs n’ont pas pu accéder au document afin de l’étudier. La restitution du projet du cahier des charges aux responsables des chaînes publiques s’est faite dans des conditions ne permettant pas de l’amender. Une seule lecture partielle de ce cahier des charges - moins de 20% - en a été faite quelques heures avant son adoption.
Une arabisation est-elle véritablement en marche chez 2M, au détriment de la langue française ?
SC : La question à se poser ne concerne pas l’arabisation mais plutôt la politique linguistique en général. Je voudrais faire trois remarques à ce niveau.
La première : la question de l’officialisation de l’arabe et de l’amazigh dans le domaine public doit selon la Constitution faire l’objet d’une loi organique la régissant. Deuxièmement : la formulation des quotas linguistiques concernant 2M est très ambiguë notamment en ce qui concerne la question de l’arabe, relevant plus d’un arabe académique que de la langue spontanée que parlent les Marocains et qui amènera forcément une perte de proximité. Enfin, les dispositions concernant les langues nationales et étrangères tendent à aller vers la marginalisation de ces dernières. Par exemple : le JT en français de 20h45 était complémentaire avec celui de la chaîne Al Aoula et permettait d'avoir de la diversité. Il créait un lien avec les Marocains de l'étranger. Les contraintes actuelles du cahier de charge font qu’il ne peut techniquement être programmé qu’en 2ème partie de soirée.
Quel sera l’impact de ces nouveaux cahiers des charges sur l’image de 2M et son modèle économique, surtout après la suppression des publicités du loto sur votre chaîne ?
SC : 2M n’a pas de position particulière concernant la publicité des jeux de hasard. Nous avons toujours respecté la législation en vigueur et les dispositions des cahiers de charges sous l’autorité de la HACA. Concernant l’impact sur le modèle économique de la chaîne, la combinaison des interdictions et la réduction du temps de publicité, soit 50 millions de dirhams en moins, mais aussi du repli des recettes dues à la baisse des audiences et de l’augmentation substantielle des coûts de fonctionnement, tout cela mettra sérieusement en péril la pérennité de la chaîne si l’état ne revoit pas radicalement son modèle de financement. Je rappelle à ce titre que 2M est financée à 95% par la publicité et que ce marché connaît une de ces plus graves crises mondiales depuis des décennies. La bonne gouvernance aurait voulu que ces conséquences financières soient évaluées avant l’adoption du cahier de charges.
A quel moment de son existence, 2M a-t-elle commencé à s’intéresser de près à la communauté MRE et à faire des programmes pour elle ?
SC : La politique éditoriale de 2M vis à vis des MRE s’est concrétisée à travers la création du Canal satellitaire 2M monde il y a plus de 10 ans et par la création d’émissions dédiées à la communauté marocaine à l’étranger. 2M est selon certaines études la chaîne la plus regardée par les Marocains de l’étranger mais également par les Maghrébins. C’est un véritable lien social entre le royaume et les Marocains du monde. Il est à signaler d’ailleurs que le canal 2M monde n’est plus mentionné dans le nouveau cahier de charge contrairement à l’ancien.
Lorsqu’on regarde aujourd’hui les programmes dédiés aux MRE sur 2M, on a l’impression de ne voir que des MRE qui ont réussi dans leur vie et beaucoup moins des programmes traitant de la réalité sociale dans laquelle ils vivent dans les pays d’accueil...
SC : Nous traitons de tous types de problématiques diverses concernant les Marocains du monde que ce soit aussi bien les modèles de réussite que les problèmes spécifiques comme l’intégration et le racisme et nous le faisons dans les magazines d’investigation et les journaux télévisés. Néanmoins, nous nous devons évidemment de renforcer ce traitement mais également d’associer plus les Marocains résidents à l’étranger dans nos émissions de débat.
Nous avons tenu à avoir l’avis d’un spécialiste marocain de l’audiovisuel sur les programmes de 2M. Deux critiques sont ressorties. D’une part, que certains programmes ne sont pas à la hauteur des attentes des Marocains, surtout en période de Ramadan. La seconde critique est que 2M importe trop de concepts d’émissions de l’étranger…
SC : Concernant la qualité des programmes et notamment ceux de ramadan, il faut savoir qu’elle est mesurée par les audiences mais également par des études de satisfaction que nous menons régulièrement. Il faut également garder en tête que la période de ramadan est assez particulière car des profils de publics très différents se retrouvent devant la télévision au même moment. D’où la difficulté de répondre à des attentes très éclectiques avec un seul programme. Nous essayons de diversifier l’offre et de l’améliorer afin de satisfaire tous les publics. Le ramadan 2011 sur 2M par exemple, a enregistré les plus fortes audiences des dernières décennies au Maroc. Quand aux programmes inspirés de formats étrangers, il faut savoir qu’ils sont produits entièrement par des équipes marocaines et connaissent un grand succès. Je pense notamment à Pékin-express.