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Grand Angle

Maroc : Après le confinement, la chasse aux migrants reprend

Depuis la fin de cet été au Maroc, les expulsions de migrants ont repris. Les ONG alertent sur des reconductions qui concernent particulièrement des ressortissants sénégalais et guinéens, depuis l’aéroport de Dakhla.

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La période d’allègement du confinement sanitaire au Maroc, en lien avec la pandémie du nouveau coronavirus, a apporté son lot de nouveaux défis socioéconomiques à relever. Ces derniers s’accentuent chez les personnes en situation de vulnérabilité, n’épargnant pas des communautés issues de l’immigration. En plus de s’être confrontées aux difficultés économiques liées à la non-reprise de leurs activités professionnelles, elles connaissent désormais de nouveaux obstacles à leur inclusion au tissu social de leurs villes de résidence.

A ces enjeux s’ajoutent des problématiques sécuritaires, ravivant les tensions sur le traitement de la question migratoire dans les provinces du sud. Représentant local de l’ONG internationale Alarm Phone, Hassan Ammari révèle que les expulsions ont été opérées souvent depuis l’aéroport de Dakhla «en collaboration entre les autorités marocaines et les ambassades sénégalaise et guinéenne», particulièrement entre septembre et le début de ce mois d’octobre.

Laâyoune-Tarfaya, nouvel axe migratoire sous surveillance

Cette tendance a été confirmée à Yabiladi par Omar Naji, vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) à Nador. En effet, il explique que «les récentes évolutions post-confinement de la question migratoire sont marquées surtout par les expulsions des migrants depuis l’aéroport de Dakhla, où des ressortissants de différents pays d’Afrique sont déportés, pour être envoyés principalement vers la Guinée et le Sénégal». «Mais avant cela, il y a eu aussi beaucoup d’arrestations et d’admissions aux centres d’enfermement à Laâyoune, Dakhla, Tarfaya ou encore à Bir Guendouz, comme l’AMDH-Nador l’a relayé sur la base de vidéos filmées à l’intérieur de ces espaces», souligne-t-il.

Le militant a expliqué cette évolution de traitement par le fait que les ressortissants issus des autres pays d’Afrique sont «nombreux à chercher des opportunités de travail dans les régions du sud, notamment dans le secteur de la pêche». Pour lui, «la concentration des migrants dans cette zone a également augmenté car les côtes sud constituent désormais la route principale de départs vers l’Espagne, à travers les îles Canaries, vu que celles du nord sont de plus en plus surveillée». Omar Naji décrit d’ailleurs «quelques départs encore opérés depuis Nador ou Al Hoceïma, mais qui ont considérablement baissé, parallèlement à l’augmentation de leur nombre depuis Tarfaya ou Laâyoune».

Ph. AMDH - NadorPh. AMDH - Nador

Ces observations, selon l’associatif, constituent des «faits nouveaux» dans la région, avec l’ouverture de l’aéroport de Dakhla aux expulsions après arrestation pour tentative de migration. Ces opérations «n’épargnent plus les femmes et les enfants» ce qui constitue également «une nouveauté inquiétante», explique Omar Naji.

Pour sa part, Alarm Phone souligne des expulsions étendues également à «Tanger, Nador, Rabat, Casablanca et Al Hoceïma vers la frontière maroco-algérienne à Tiouli, dans la région de Jerada». Hassan Ammari estime à 157 le nombre de personnes expulsées depuis l’Oriental, entre début juillet et fin septembre. Omar Naji explique que «les autorités ont mis en place des mesures dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire» mais qu’«elles s’en sont servies aussi pour renforcer la présence sécuritaire dans les espaces maritimes, de manière à mieux cerner les flux migratoires».

«Ce renforcement s’inscrit plus globalement dans une démarche qui est valable sur tous les plans, en termes de libertés publiques au Maroc. Nous remarquons une augmentation des arrestations arbitraires et des procès depuis la mise en place des mesures sanitaires, censées limiter la propagation de la pandémie du nouveau coronavirus.»

Omar Naji

Dans des centres de rétention dans le sud, «il a été expliqué aux migrants qu’ils devaient rester là-bas pour leurs périodes de confinement sanitaire, mais nombre parmi eux ont dépassé les 14 jours prévus dans ce cadre, sans pouvoir en repartir, jusqu’à leur reconduction à la frontière», relate Omar Naji.

Une coordination entre associations et institutions

«Sur le plan sécuritaire, les migrants ont subi des harcèlements au cours de rafles», reconnaît pour sa part Babacar N’diaye, médiateur sanitaire pour la santé des migrants à Laâyoune, avec l’Association Sakia Hamra pour l’immigration et le développement. «Tout ce qui se passait à Tanger avec le traitement des personnes migrantes se passe maintenant à Laâyoune, avec des refoulements vers les pays d’origine juste au détour d’un contrôle d’identité, où un migrant en règle peut lui aussi être reconduit au cas où il oublie ses papiers chez lui», affirme-t-il.

Babacar N’diaye confirme lui aussi ce «fait nouveau» qu’est la mobilisation de «fonctionnaires consulaires sénégalais et guinéens à Laâyoune, pour faciliter l’identification et la reconnaissance de migrants en vue de donner des sauf-conduits».

«Je connais moi-même certains cas de ressortissants concernés par ces opérations, vivant et travaillant dans la ville depuis des années et qui sont même acteurs associatifs, arrêtés et expulsés faute de documents en leur possession au moment du contrôle.»

Babacar N’diaye

Dans ce sens, il rappelle le cas de l’un de ses compatriotes sénégalais, pour lequel il dit être «intervenu auprès de son employeur marocain, qui lui a fait une attestation de reconnaissance confirmant qu’il travaillait chez lui, en coordination avec le caïd». Sauf que le temps de faire le document et de le soumettre aux autorités compétentes, il apprend que le ressortissant a «déjà été refoulé à Dakar».

Babacar N’diaye affirme à Yabiladi s’être tourné justement vers les caïds, afin d’aborder la question de manière plus large. «Il nous ont expliqué notamment que la ville faisait l’objet d’un grand plan de réaménagement, qui changera son visage urbanistique. L’immigration a semblé poser des difficultés, selon eux, car nous assistons à des situations que l’on ne voyait pas ici, il y a quelques mois», souligne Babacar.

«J’ai travaillé sur la migration dans la ville depuis six ans et jusque-là, je connaissais tous les étrangers vivant ici, ce qui n’est plus le cas maintenant car il y a de nouvelles arrivées chaque jour et les passeurs ont repris de l’activité», nous décrit le militant. Face à cette situation, il constate que les interventions des autorités ont été marquées parfois par «un cafouillage», dans la mesure où «les opérations sécuritaires visent tous les étrangers, ce qui a mis en difficulté ceux en résidence administrative reconnue». Les autorités ont, selon l’associatif, «mené leurs interventions dans les maisons nouvellement habitées et non pas celles connues comme lieu de résidence permanente», mais «elles ont été débordées», ratissant plus large au sein des communautés migrantes.

Président de la Commission régionale des droits de l’Homme (CRDH) à Laâyoune Es-Sakia El Hamra, Taoufik Berdiji a déclaré à Yabiladi que «la communauté migrante vit dans la région depuis plusieurs années», mais qu’elle se confronte en effet à de «nouveaux défis d’intégration». Il confirme que la ville accueille «de plus en plus de migrants, qui envisageaient de partir depuis la Méditerranée mais qui optent désormais pour les routes migratoires maritimes du sud, vu le renforcement du dispositif de sécurité dans les côtes nord».

AMDH - NadorAMDH - Nador

De ce fait, «il y a eu un impact sur les populations migrantes vivant à Laâyoune, surtout après la découverte de foyers infectieux parmi les ressortissants subsahariens, en juillet dernier, ravivant une forme de stigmatisation accompagnée de fake news». La situation a donné lieu à des tensions où la confusion entre mesures sanitaires et sécuritaires s’est invitée.

«Il y a eu après des problèmes de communication, car certains migrants testés positifs à la covid-19 souhaitaient repartir des lieux où ils ont été pris en charge, pour continuer leur trajet migratoire, ce qui a été difficile à envisager, surtout qu’ils étaient sous traitement soumis à un protocole médical. Certains parmi eux faisaient aussi l’objet d’enquêtes, pour leur participation présumée à l’organisation de traversées en coordination avec des passeurs.»

Taoufik Berdiji

Un dilemme entre approches sécuritaire et humanitaire

Dans le cadre de ses missions, la CRDH de Laâyoune-Es Sakia El Hamra indique à Yabiladi être intervenue pour «assurer la coordination sur le volet humanitaire avec deux ONG locales de droits de migrants, afin de sensibiliser la communauté sur la prise en charge médicale» de la covid-19. «Pour apaiser les tensions, les autorités locales ont proposé aussi que les ressortissants étrangers résidents dans la ville et désireux de faire volontairement des tests PCR peuvent en bénéficier à domicile», rappelle Taoufik Berdiji.

Mais «l’objectif maintenant est d’aider ceux dans le besoin pour renouveler leurs papiers sans difficultés administratives», plaide-t-il. Le président de la CRDH estime, dans ce sens, que «la régularisation de ces populations pourra relever plusieurs défis d’intégration, tout en simplifiant la procédure par l’allègement des pièces demandées, en cas de nouvelle demande de titre de séjour ou de demande de renouvellement».

Chercheuse universitaire en droit des migrations et membre du bureau exécutif de l’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations, Hanane Serrhini indique auprès de Yabiladi qu’il s’agit ici d’une revendication très récurrente. Sur la base de ses recherches et de son travail de terrain, elle défend un «renouvellement des titres de séjour sans conditions», afin d’adopter une approche plus respectueuse des engagements onusiens du Maroc, signataire de la Convention de Genève et du Pacte de Marrakech.

«Le Maroc doit simplifier ces procédures, particulièrement pour ceux qui ont perdu leurs emplois à cause de la crise liée à la pandémie. C’est d’autant plus simple puisque ces personnes sont déjà connues des autorités, qui ont leurs dossiers.»

Hanane Serrhini

Au nom de ces mêmes principes, celle qui est également membre du Centre d’études et de recherches en sciences sociales (CERSS) rappelle que le droit à la libre circulation est garanti à toutes et tous, abstraction faite de la situation administrative des migrants. «Le problème est que ceux en transit, qui ne sont pas demandeurs de titre de séjour, sont éloignés des zones frontalières, vu les obligations du Maroc pour contrôler les frontières de l’Union européenne, ce qui pose question du point de vue humanitaire», souligne-t-elle.

Selon la chercheuse, la problématique demeure en effet celle d’adopter une approche claire, entre traitement sécuritaire répondant aux exigences européennes et obligations humanitaires internationales. Omar Naji, de son côté, déplore que «les financements injectés par l’OIM ou l’Union européenne pour faire face à ces départs depuis les provinces du sud portent justement atteinte au droit à la libre circulation».

Dans ce débat, Hanane Serrhini rappelle que le Maroc doit respect «à son identité africaine, alors que le pays attend encore une réponse sur sa demande d’intégration à la CEDEAO». «C’est le moment de montrer ce côté, en procédant à la régularisation des migrants», plaide-t-elle.

Article publié avec le soutien de Google News Initiative

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