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Tribune

Pour un autre récit médiatique des migrations [Tribune]

 Président du Réseau marocain des journalistes des migrations (RMJM), Salaheddine Lemaizi explique, dans cette tribune, l’importance pour les professionnels des médias de créer un autre récit sur les migrations. Un récit qui redonne à la question migratoire son aspect humain, loin des discours xénophobes ou de l’approche sécuritaires à laquelle ce vaste débat est réduit.

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Photo d'illustration / Ph. DR.
Temps de lecture: 3'

L’annonce de la création d’un Observatoire africain des migrations avec pour objectif principal de «créer un narratif africain sur la migration» ne peut que nous réjouir au sein du Réseau marocain des journalistes des migrations (RMJM). Notre association, créée en novembre 2018, est fondée autour d’un projet similaire : la nécessité pour les médias du Sud de construire un autre récit des migrations et des questions de l’asile.

Un traitement médiatique de la mobilité humaine, de la diversité des sociétés qui prend à contre-pied le discours dominant, porté et encouragé par des politiques du Nord comme du Sud. Le discours politique du moment s’appuie sur des mythes et des préjugés autour des «migrations». Et le traitement médiatique fait qu’aujourd’hui, «l’étranger» est devenu une figure d’épouvantail.

Notre réseau entend contribuer à la déconstruction ce discours-là. Nous plaidons pour un changement de perspective médiatique et journalistique pour aborder ce thème. Un changement du «logiciel» médiatique passe nécessairement par l’inscription de ce thème dans sa profondeur historique, ses différents contextes locaux mais aussi son environnement international.

Des couvertures biaisées

Pour nombre croissant de responsables politiques du Nord comme du Sud, la migration est «un problème», «un phénomène à endiguer» ou même «un fléau». Ces qualificatifs péjoratifs sont repris par une certaine frange de nos sociétés et le récit biaisé sur les migrations est traduit médiatiquement.

Les différentes revues internationales spécialisées aboutissent, quasiment, à la même conclusion : «Les médias contribuent à la perception de la migration comme étant un problème.»  Une de ces études[1] avait fait deux constats. Le premier confirme l’existence d’exemples puissants de stéréotypes médiatiques et de formes de discrimination. Ces couvertures sont biaisées par un manque de professionnalisme et/ou de déontologie, par l’instrumentalisation politique, par un discours de la haine ou par l’emballement propre au champ journalistique. En somme, nous sommes face au degré zéro de l’exercice de notre métier.

A l’opposé, un journalisme de l’excellence s’engage pour le respect de l’éthique. C’est le deuxième constat de cette étude. Cette conclusion rappelle l’existence d’un traitement journalistique de la migration qui est à son meilleur, un journalisme élégant, ingénieux et minutieux. Mais comment faire pour ces traitements, hélas d’exception, puisse redevenir la norme ?

Choisir notre récit est une priorité

Dans le cas des médias marocains, avant même la maitrise technique du thème des migrations (concepts, environnement normatif, analyse des statistiques, etc.), la priorité est de se poser la question du récit migratoire dont nous souhaitons être porteur. Faire ce choix nous évitera de subir des choix décidés ailleurs pour nous.

Or, le récit migratoire porté aujourd’hui par plusieurs médias marocains (comme ailleurs en Afrique) se cristallise autour des obsessions des Etats, plus particulièrement européens au sujet de la protection de leurs frontières. Le récit médiatique depuis le Maroc est déformé et centré, quasi exclusivement, sur ces personnes fuyant leurs pays d’origine et qui tentent de rejoindre l’Europe.

Ce récit réduit les migrations internationales aux risques sécuritaires. Cet angle de traitement est dominé par la terminologie de la surveillance, des grillages et des refoulements. Consciemment ou inconsciemment, ce discours est un pain béni pour des xénophobes d’ici ou d’ailleurs sur une prétendue «vague d’immigration de la jeunesse africaine vers l’Europe». Refuser de se conformer à ce storytelling porté par nombre d’officiels africains et européens sur le sujet est un acte de résistance journalistique de tous les instants.

Notre chance, en tant que journalistes travaillant depuis le Sud, est de pouvoir revisiter le traitement des migrations, loin des crispations identitaires que vivent l’Europe et l’Amérique du Nord. Un traitement qui part de notre histoire, celle de pays d’émigration et d’immigration.

In fine, ce «journalisme des Migrations» que nous appelons de nos vœux au sein du RMJM vise à informer le public de manière apaisée, professionnelle, équilibrée, indépendante et pluraliste. C’est notre plus grande contribution, nous, professionnels des médias, à la lutte contre les discours de la haine et de la xénophobie. C’est surtout une contribution citoyenne à replacer l’altérité et la diversité dans leur normalité historique et sociale.

[1] How does the media on both sides of the Mediterranean report on Migration? A study by journalists, for journalists and policymakers (Ethical Journalism Network & The International Centre for Migration Policy Development, 2017)

Tribune

Salaheddine Lemaizi
Président du Réseau marocain des journalistes des migrations (RMJM)
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