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Grand Angle

Chibanis de la SNCF : L'argent des cheminots marocains au cœur d’un nouveau scandale

Après la victoire  de 848 cheminots retraités d’origine marocaine, dans l’affaire les opposant à la Société nationale des chemins de fer (SNCF), leur combat n’était pas encore achevé. Ils sont en effet au cœur d’un bras de fer opposant l’avocate, l’association ACMF et Abdelkader Bendali, responsable du bureau BBA. Décryptage.

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Les Chibanis marocains autour de leur avocate, Clélie de Lesquen-Jonas, à leur sortie de la Cour d’appel de Paris, 31 janvier 2017. / Ph. Stéphane De Sakutin - AFP
Temps de lecture: 5'

L’information a eu l’effet d’une bombe. «Une avocate est accusée de s’accaparer l’argent des Chibanis de la SNCF», tirait hier le média français Mediapart dans un article payant sur les chibanis marocains.

On explique dans le premier paragraphe qu’«après avoir fait condamner la SNCF pour discrimination, un collectif de retraités marocains vient de déposer plainte pour abus de confiance contre leur avocate». Le média avance ensuite que l’avocate, «ayant reçu les indemnités dues sur son compte professionnel», aurait mis une condition à la remise des fonds : «signer une convention comportant des honoraires de résultat». Mediapart  précise même que l’avocate aurait «ainsi déjà perçu 7 millions d'euros».

Médiapart annonce aussi qu’un collectif d’une «trentaine de retraités» a déposé le 7 mai dernier une plainte pour «abus de confiance» contre Clélie de Lesquen-Jonas auprès du parquet de Paris. Pour le média, l’avocate impose aussi la signature d’une convention comportant des honoraires de résultat de 5 %. Depuis samedi dernier, l’avocate des Chibanis est la cible d’attaques virulentes sur Twitter et Facebook.

L’avocate soutenue par plusieurs cheminots

Contacté par Yabiladi, un cheminot marocain ne faisant pas partie du groupe ayant porté plainte contre l’avocate, donne une toute autre version. «L’avocate nous a défendu et a eu ses honoraires, c’est tout», nous lance-t-il. Notre source ayant requis l’anonymat explique que «les Chibanis ont accepté cet accord avec leur avocate, sans aucun problème». Des Chibanis plutôt, mais pas tous. Certains auraient donc refusé mais auraient réglé, vendredi dernier, 21 000 euros chacun à une tierce partie, poursuit notre source.

Ce cheminot estime que «le travail effectué par l’avocate devait être rémunéré». Il fait état de l’intervention d’un certain professeur et consultant invité par l’association pour les assister dans ce dossier. «Lui aussi veut 10% de notre argent», s’indigne notre source. Celle-ci rappelle que même l’avocate a été sollicitée par l’association. «Elle est le 4ème ou le 5ème avocat mandaté puis viré par l’association et son consultant», fustige notre source. Cette dernière raconte aussi comment l’avocate a écarté l’association de l’affaire, «parce qu’elle a vu des choses pas très clean».

«Les Chibanis n’ont rien à voir dans ces magouilles.»

L’occasion aussi de revenir sur la naissance de l’Association des cheminots marocains de France (ACMF), présidée par Ahmed Katim et née des cendres de l’Association Ismailya des cheminots marocains. «Cet expert, nous on ne le connait pas. C’est l’association qui l’avait ramené, qu’ils se démerdent avec !» (sic), s’indigne notre source, qui dit avoir reçu des courriers de la part du consultant de l’ONG réclamant 10% de l’argent perçu par plus de 800 Chibanis.

Cette même personne aurait, toujours selon ce cheminot, demandé «230 euros chacun pour payer le tribunal alors que ça n’existe nulle part et on ne devrait pas payé cette somme».

«Aujourd’hui, il demande à régler une facture pour avoir travaillé tous les dossiers alors que nous ne le connaissons pas, ni lui ni son bureau BBA basé à Paris et à Oujda et créé depuis à peine un mois !»

Un cheminot d’origine marocaine

Clélie de Lesquen-Jonas dit protéger ses clients des «prédateurs»

Une version qui rejoint celle circulant sur les réseaux sociaux, dont la page Facebook «Chibanis discriminés par la SNCF» montrant une facture que le bureau BBA aurait adressé aux Chibanis. Un exemplaire de lettres adressées par ledit bureau est parvenu ce dimanche à Yabiladi.

Sur la photo de la page Facebook, le montant réclamé par BBA s’élèverait à plus de 20 000 euros.

Pour sa part, l’avocate, jointe par Yabiladi ce dimanche, dément les informations de Mediapart. «C’est un mensonge. Une fausse nouvelle et il n’y a pas de rétention du règlement, c’est totalement faux», nous déclare Clélie de Lesquen-Jonas, avocate des Chibanis contre la SNCF. «S’il y a des escroqueries, c’est bien monsieur Abdelkader Bendali, bien connu au Maroc», lance-t-elle sans gants à l’adresse du consultant et membre du bureau BBA.

«J’ai 800 cheminots qui me soutiennent et qui m’ont fait une pétition suite à cette affaire. Le président de l’association Ismailya des cheminots marocains m’apporte tout son soutien et prêt à faire un communiqué de presse pour dire que c’est grâce à moi qu’on a coupé les cordes avec tous ces véreux.»

Clélie de Lesquen-Jonas

L'avocate insiste aussi sur le fait que «95%» de ses clients Chibanis ne se sont pas plaints, affirmant aussi que «22 personnes seulement sur 846» ont intenté un recours. «Les cheminots ne sont pas représentés par ces 22 personnes. Ils (les 800 cheminots, ndlr) veulent même aller manifester devant Mediapart parce qu’ils sont furieux», explique-t-elle.

«J’ai fait mon travail d’avocate de tout mon cœur depuis 4 ans. J’ai les preuves de mon travail et j’étais salué par tous les cheminots. Les 800 cheminots ne veulent pas que les 22 autres ne payent pas donc je suis obligé de leur faire une note d’honoraire. C’est le bâtonnier qui tranchera sur les honoraires. Mais je n’ai jamais conditionné le versement de leur argent à une quelconque signature.»

Clélie de Lesquen-Jonas

L'avocate et les cheminots, au cœur d’un conflit associatif ?

L’avocate rappelle la création du bureau BBA depuis «à peine un mois». «Il avait menti et il voulait partir avec 15% hors taxe en faisant croire qu’il était professeur, mandaté par l’association alors qu’il ne l’est pas», lance-t-elle. «J’ai des clients et aujourd’hui je les protège contre des prédateurs qui voulaient me priver de mes honoraires et prendre à mes clients 15% hors taxe», conclut-elle.

Sa version est soutenue par celle de Laarbi Kila, président de l’Association Ismailya des cheminots marocains. «Les cheminots ont signé la convention avec l’avocate de leur plein gré», nous déclare-t-il ce dimanche, affirmant que ces conventions ont été signés en juillet 2017. «Ils ont voulu prendre 15% en plus des taxes, et c’est Bendali qui serait derrière», poursuit le président de l’Association Ismailya des cheminots marocains, arguant que le consultant aurait «refusé de partager 10% de commissions entre lui et l’avocate». «Nous avons donc demandé à l’avocate de signer des conventions avec ses clients», nous explique-t-il.

Yabiladi a pu joindre un membre du collectif ayant porté plainte contre Clélie de Lesquen-Jonas. Ahmed Katim, président de l’association des cheminots marocains de France (ACMF) et ancien trésorier de l’Association Ismailya des cheminots marocains accuse l’avocate de les avoir exclu de cette affaire. «J’ai voulu porter plainte mais on ne m’a pas laissé pour ne pas porter atteinte à notre cause».

Il reconnait aussi avoir «fait une lettre avec les documents adressés notamment au bâtonnier lorsque les choses sont devenues graves». «Nous avons été convoqués le 29 mai chez ce dernier et l’affaire est désormais devant la justice», nous assure-t-il.

Il défit aussi l’avocate de fournir «des preuves de son travail». «Elle n’a été présente que 6 jours devant les deux tribunaux et elle a déjà touché 6000 euros devant le conseil de prud’hommes et de 30 000 euros devant la cour d’appel», poursuit Ahmed Katim.

«Elle n’a pas le droit de faire signer aux gens des conventions après le jugement. Les gens ayant résisté, au nombre de 23 personnes, ont déposé plainte contre l’avocate. J’en fais partie parce que les gens me connaissent que moi.»

Ahmed Katim, président de l’ACMF

Une affaire qui vient écorner l’image émouvante immortalisée par les caméras et photographes, lors de la victoire historique des cheminots marocains contre la SNCF, jugée coupable de discriminations. 

La version d'Abdelkader Bendali

Yabiladi a tenté de joindre Abdelkader Bendali, en vain. Ce dernier a cependant confié à l’AFP qu’il a organisé ce dossier depuis des années et a «reconstitué la carrière de chacun». Selon lui, «chaque cheminot s’était engagé à verser 15% d’honoraires de résultats», qu’il était chargé de «répartir au prorata entre les différents intervenants - avocats, professeurs, actuaires». L’occasion pour lui de déclarer aussi que «Mme de Lesquen n’est pas l’auteur d’une seule phrase» des écritures présentées à la cour d’appel. «Cette dame a fait de la figuration et elle s’empare d’un chèque de neuf millions d’euros», a-t-il asséné.

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