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Grand Angle  

Lahcen Daoudi, éternel ministre du flou universel [Edito]

Ministrabilité rime avec responsabilité. Pourtant, Lahcen Daoudi, ministre depuis 2012, a accordé un long entretien rappelant ô combien il était irresponsable. 

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Lahcen Daoudi, ministre délégué aux Affaires générales et à la gouvernance / DR
Temps de lecture: 3'

Lahcen Daoudi, ministre délégué des Affaires générales et de la gouvernance, est un paysan. Il a tenu à le rappeler lors de l’éclairant entretien accordé à nos confrères de Medias24. Cette requalification de celui qui était professeur d’économie à l’Université, puis député PJD de 2002 à 2011, et enfin ministre depuis 2012, tient surtout du populisme pour s’assurer une proximité avec les classes populaires. Vous l’aurez compris, il est autant paysan que je suis ouvrier. Lahcen Daoudi est bien ministre mais ne veut pas endosser de responsabilité.

Il explique ainsi que le système de compensation qui permet de maintenir les prix de certains produits de base (gaz, farine et sucre) sera «démantelé» ou bien «réduit» – on ne sait plus trop – d’ici 2021. Mais pour ne pas impacter le pouvoir d’achat des classes les plus modestes, il annonce que le ministère de l’Intérieur négocie un système développé par les Indiens visant à identifier les populations cibles dans un registre national et équiper les commerçants de moyens d’identification et de paiement dédiés.

Si cette longue phrase vous semble compliquée, sachez qu’on peut difficilement faire plus simple pour décrire l’usine à gaz que nous concocte le gouvernement. Mais bonne nouvelle, ce dernier a commandé une étude auprès d’un cabinet international non précisé. On ne sait pas combien coûtera le mode d’emploi de ce système, mais le Maroc a déjà contracté un prêt de 32 millions de dollars, annonce fièrement le ministre-paysan.

«Demandez aux Indiens !»

Pour cette jolie somme, ne comptez pas sur Lahcen Daoudi pour vous expliquer ne serait-ce que succinctement le fonctionnement de cette machine de Rube Goldberg. Il vous renverra sans ménagement aux véritables responsables : «Il faut demander aux Indiens !» Si vous vous demandez à quoi servent nos ministres, vous êtes désormais fixés. 

Vous imaginez bien que si demain la réforme tourne au fiasco, Lahcen Daoudi se déclarera irresponsable. On se demande quel intérêt avait-il à accorder un entretien à un média pour ne répondre que de manière floue aux questions pourtant précises et renvoyer la responsabilité à des tiers. Peut-être pour s’en servir comme alibi en 2021 ? Ou bien pour faire l’annonce de sa propre vision de la réforme ?

«Personnellement, je ne suis pas pour le système proposé mais plutôt pour un revenu social universel», déclare-t-il au cours de l’entretien. Intéressant ! Cette proposition de revenu universel est-elle réellement une contre-proposition de Lahcen Daoudi pour servir d’alternative ou juste une nouvelle bouteille jetée à la mer et envoyée aux naufragés qui ont cru aux promesses électorales du PJD ?

Démonstration : «1000 dirhams par mois, pour un million de foyer les plus pauvres, ça fait 12 milliards de dirhams, soit moins que le budget actuel de la caisse de compensation». Le compte est bon ! Par simplification (ou simplisme ?) le ministre passe sur les détails pourtant essentiels : Quid de l’effet de trappe pour les foyers non éligibles qui pourtant touchent moins de 1000 dhs par mois ? Quelle réponse apporter aux classes moyennes qui verront le prix de la bonbonne de gaz doubler ? Doit-on, une fois encore, demander aux Indiens ?

En réalité, le flou entretenu par le docteur en Economie n’a d’égal que la non-maîtrise du système de revenu universel, qu’il utilise plus comme un outil de marketing politique. Rappelons que le concept de revenu universel théorisé par Thomas Paine (1737 – 1809) vise à distribuer automatiquement la même somme à chaque citoyen, quel que soit son revenu et sans contrepartie. Ce que propose Lahcen Daoudi n’a donc rien à voir avec un revenu universel, mais tient plus de l’allocation d’assistance aux plus démunis. La différence peut sembler accessoire pour le citoyen lambda, mais venant d’un ministre qui plus est, économiste de formation, l’approximation est affligeante.

Une machine de Rube Goldberg : serviette de table automatique.Une machine de Rube Goldberg : serviette de table automatique.

Yakafokon

Lahcen Daoudi a toujours été friand des propositions Yakafokon. Rappelons qu’en 2006, lors de l’émission Polémique sur 2M, le même Daoudi proposait avec simplisme qu’il suffirait d’accorder des avantages fiscaux aux retraités européens (ce qui était déjà le cas) pour en voir un million venir s’installer au Royaume, rapportant 24 milliards de dirhams en devises, et rendant le pays moins dépendant au tourisme de masse.

Il me répètera cette proposition – qui tient plus de la pensée magique – lors d’une interview en 2011 au Parlement. A la fin de l’entretien, nous avions continué à discuter du programme du PJD en matière de croissance économique et de création d’emploi. Croyant me rassurer sur le réalisme des prévisions économiques du PJD, le député de l’époque m’assurait que l’intégrité d’un gouvernement PJD suffirait à elle seule pour assurer 1% de PIB annuel en plus. Inutile de rappeler le cuisant échec du gouvernement Benkirane en matière de croissance économique, de création d’emploi, ou même en matière de réduction de la corruption.

En attendant l’hypothétique million de retraités européens et leurs milliards promis par le ministre délégué aux Affaires générales et la gouvernance, les Marocains devront se contenter de son flou universel et de ses généralités. Pour la gouvernance, nous attendrons que Lahcen Daoudi redevienne réellement paysan.

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