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Marocains d’Espagne: Malheurs et déboires d’une communauté

Délinquance de mineurs, situation irrégulière, droits bafoués, mauvaise intégration, marginalisation.

A la direction de l’Egalité des chances de la mairie de Madrid et dans les centres associatifs des quartiers périphériques de la capitale espagnole, ces maux sont le lot quotidien des dizaines d’éducateurs sociaux. Tous les jours ou presque, ils sillonnent les rues de «La Canada de Ulla Vallecas», du quartier Tetuan ou de El Centro pour aller à la rencontre de centaines de familles issues de l’immigration. Les Marocains arrivent juste après les Latino-Américains, une des premières vagues d’immigration en Espagne. Dans ces «cités périphériques», plus de 300.000 personnes élisent domicile dans des conditions souvent désastreuses, parfois inhumaines.

La cherté des loyers a favorisé l’éloignement des familles aux revenus les plus modestes. La location d’un studio avoisine les 500 euros mensuels. Mais c’est certainement à la Canada de Ulla Vallecas que les conditions sont les plus dramatiques. Situées à quelques centaines de mètres de la décharge publique madrilène, les habitations construites sur les terrains de la Communauté abritent des dizaines de familles de gitans et de Marocains. Les Roumains et autres populations originaires des pays de l’Est ont commencé à les rejoindre, ces deux dernières années. Les résidents ont squatté les terres et construit des maisons en dur sans qu’aucune autorisation ne leur soit délivrée. Souvent, il s’agit d’un choix délibéré pour ne pas avoir à payer les charges à l’Etat. Cette zone, où vivent des milliers de personnes, se situe en dehors du territoire desservi par les transports publics, «illégalité oblige». Près de 5.000 camions traversent quotidiennement les pistes en direction de la décharge. Pour les autorités espagnoles, c’est un véritable casse-tête. «Il est très difficile de déloger les habitants, la majorité d’entre eux ont de nombreux enfants. Les enfants, c’est sacré en Espagne», témoigne Saïda, une assistante sociale d’origine marocaine. La misère qui sévit laisse la place à toutes formes d’intégrisme et de délinquance.

Dans une petite mosquée financée par les cotisations des membres de la communauté marocaine, un «fqih» enseigne les piliers de l’islam avec des méthodes classiques. «C’est aussi un véritable danger pour la propagation d’idées obscurantistes», confie un médiateur. Originaires pour la plupart du nord du Maroc, les familles, qui y ont élu domicile, vivent à l’écart de la société madrilène. C’est dans le bâtiment que travaillent la majorité de ces Marocains. Mais c’est aussi au sein de cette population que l’ignorance des droits est la plus criarde. Car les dispositions du code de la famille s’appliquent aussi aux Marocaines qui vivent en dehors de leur pays d’origine. Les cas de conflits les plus fréquents concernent les divorces et le versement des pensions. Lorsqu’il s’agit d’un divorce, les services consulaires exigent qu’il soit prononcé dans un tribunal marocain. Ce qui est conforme à la loi. La lenteur des procédures complique toutefois les choses. La loi exige en effet la présence des deux conjoints pour les audiences obligatoires de tentatives de réconciliation. L’éloignement et les emplois du temps non concordants empêchent cette procédure de se tenir dans des délais raisonnables. «Il faut souvent trois à quatre ans pour prononcer des divorces de Marocains Résidant à l’Etranger», indique un juriste. Il vaut donc mieux divorcer au Maroc! Pour les pensions, l’exécution des jugements est également très lente. Les femmes divorcées attendent souvent plus d’une année avant de les percevoir. Les représentations diplomatiques marocaines ne semblent pas se soucier outre-mesure des problèmes vécus par cette communauté.

A l’ambassade du Maroc à Madrid, on semble avoir d’autres chats à fouetter. Les locaux accueillent les premiers travaux d’entretien depuis leur ouverture au début des années 70... Ils en avaient bien besoin car les pluies ruissellent à l’intérieur des bureaux. La représentation diplomatique madrilène se distingue aussi par son absence auprès des populations. Aucun de ses membres n’a daigné faire le déplacement pour assister à la séance inaugurale de la Caravane organisée du 17 au 21 novembre dernier par la Ligue démocratique des droits des femmes (cf. www.leconomiste.com), pourtant dédiée aux populations marocaines immigrées. Ces dernières n’hésitent d’ailleurs pas à critiquer sévèrement une telle attitude. Aucune information n’est disponible non plus à l’ambassade concernant l’année du Maroc en Espagne. Celle-ci a été annoncée pour 2006. Pourtant, à quelques semaines de la nouvelle année, les cadres de l’ambassade ignorent le programme et ne peuvent même pas confirmer la tenue de la manifestation. Depuis les derniers attentats de Madrid, le Maroc et les Marocains sont en perte de vitesse auprès de l’opinion publique espagnole. Le traitement médiatique des clandestins subsahariens n’a pas arrangé les choses. L’intégrisme religieux est en pente ascendante au sein d’une communauté minée par les problèmes économiques. «La plus grande menace actuelle est la misère, estime Esther Fouchier, présidente du Forum Femmes Méditerranée. Elle contribue à créer une crise identitaire». Les écarts risquent de s’aggraver davantage.
L’intégration des pays de l’Est dans l’Union européenne impose des priorités. Pour un euro injecté dans un pays euroméditerranéen, 200 le sont dans les pays de l’Est. Les actions du monde associatif sont encore insuffisantes. Les Etats ont une grande part de responsabilité. «Toutes les forces progressistes doivent s’organiser. Il faut un projet de civilisation pour constituer une force», estime-t-elle. La lutte contre les discriminations apparaît comme une priorité. Mais quelle application sur le terrain?


Relativisme culturel: Le niet des associations

Le débat est d’actualité en Europe. Faut-il adopter une démarche relativiste lorsqu’il s’agit de conflits culturels? Pour les associations de droit humanitaire et de droits des femmes, l’opposition à ce relativisme est catégorique. «C’est la nouvelle forme de colonialisme de ce 21e siècle», rétorquent-elles. L’anecdote, véridique par ailleurs, d’un jugement prononcé en Suède est édifiante à cet égard. Un ressortissant d’origine turque assassine sa fille parce qu’elle voulait «épouser un Suédois blond aux yeux bleus». Le juge prend en considération sa culture d’origine et le verdict est beaucoup moins sévère que si le citoyen avait été d’origine suédoise. Les crimes d’honneur continuent d’exister!


6 à 7.000 enfants clandestins

Le phénomène de l’immigration clandestine des mineurs en provenance du Maroc prend des ampleurs sans précédent. 6 à 7.000 mineurs, sans compter les autres nationalités, se trouveraient sur le sol ibérique en situation irrégulière. La drogue est souvent leur lot quotidien. L’ampleur du phénomène s’explique par les lois de protection des enfants en vigueur en Espagne. Celles-ci interdisent leur expulsion. Ces enfants sont accueillis dans des centres sociaux spécialisés.
Ces mineurs sombrent souvent dans la délinquance, ce qui aggrave leurs difficultés d’intégration. «Pour que l’on ne connaisse pas leur famille d’origine, de nombreux enfants n’ouvrent pas la bouche, même plusieurs années après leur arrivée ici», explique un éducateur social. Les mineurs sont protégés en vertu de l’article 92 du règlement d’exécution de la loi des Etrangers. Cet article exige, pour l’expulsion, le droit du mineur à être écouté sur sa volonté à être rapatrié. Les autorités ne respectent pas toujours cette loi.
Chaque semaine, des violations sont constatées. Le 16 novembre dernier, quatre enfants Marocains qui étaient sous la tutelle de la Communauté de Madrid ont été expulsés. Un des mineurs avait eu l’accord pour l’obtention d’une carte de séjour puisqu’il était sous la tutelle des institutions espagnoles depuis 2 ans. En septembre 2005, une jeune Marocaine a été expulsée parce qu’elle a été considérée comme adulte, malgré son passeport et le livret de famille qui signalaient clairement son âge.

Amale Daoud
Source : L'Economiste

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