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Grenade à la mosquée, Clichy sous le choc

L'explosion dimanche soir d'une grenade lacrymogène des CRS, après trois nuits d'émeutes, a maintenu la colère. Sarkozy a admis, sans condamner.

L'image projetée sur le mur est agrandie, imprécise. C'est une scène de panique, filmée par un portable, dimanche soir à la mosquée Bilal, à Clichy-sous-Bois. On court dans tous les sens. Silhouettes de fuite, des hommes, des femmes, vêtements colorés. Bruits sourds de plaintes. Quelques cris. Le souffle de celui qui a filmé. La scène dure une minute tout au plus. Les responsables de la mosquée ont tenu à faire connaître, hier, le nouveau dérapage des forces de l'ordre dans la ville. Plusieurs grenades lacrymogènes ont été tirées, dimanche soir vers 20 h 30, par les CRS aux abords de la mosquée. Dimanche, la police avait fait savoir au maire de Clichy qu'elle n'était pas à l'origine du tir. Selon les témoins, l'une des grenades, au moins, aurait été lancée à l'intérieur du bâtiment, en pleine heure de prière. La panique a saisi des centaines de personnes. «La fumée a tout envahi, témoigne Khatija, tenant à la main ses deux chaussons verts. Tout le monde toussait, pleurait. Beaucoup sont tombés dans les pommes, C'est vraiment grave. On avait des personnes âgées, et beaucoup de mamans. Ici, c'est comme l'église, la synagogue...»

«Des excuses». Conséquence immédiate : déjà secouée par la mort de deux jeunes, électrocutés, jeudi, lors d'une course-poursuite avec la police, la ville a vécu une nouvelle nuit d'émeutes. Hier, la mosquée Bilal, située à l'arrière d'un centre commercial entouré d'immeubles décrépits, s'est ouverte aux journalistes. Dans la confusion. Pour dénoncer «le gazage de la mosquée». Les familles de Bouna et Zyed, les deux jeunes décédés, ainsi que le père de Metin, grièvement blessé, sont là aussi. «La vidéo, c'est malheureusement, l'accident... l'incident d'hier soir», explique un jeune responsable musulman : «Je demande que les auteurs du tir de dimanche soir soient traduits en justice. Ce qui s'est passé, hier, est indigne de la République française.» Abderamane Bouhout, l'un des responsables du lieu, a été reçu par le ministre de l'Intérieur, à Bobigny, un peu plus tôt. «J'ai demandé une enquête, rapporte-t-il, et qu'elle soit faite le plus vite possible.» Et aussi «des excuses». Nicolas Sarkozy, lui, a annoncé qu'il «pourrait savoir comment et pourquoi une bombe lacrymogène a pu pénétrer dans la mosquée». «Il n'y avait aucune volonté de quiconque de blesser ou de considérer que la mosquée n'est pas un lieu qui doit être profondément respecté», a-t-il commenté publiquement. Façon d'admettre l'incident sans toutefois le condamner.

Les jeunes, autour de la table, trépignent. «Non : ce tir, c'est pas une erreur !» murmure l'un d'eux. «Ce soir même, je suis dehors !» lance-t-il à mi-voix. «On touche à la mosquée ? Demain, ils rentrent chez nous !» Apaisant, Abderamane Bouhout envisage de recevoir Nicolas Sarkozy «si tout se passe comme il l'a promis». En attendant, les familles des jeunes décédés ont finalement refusé de se rendre Place Beauvau, hier. Au premier étage de la mosquée, les jeunes se «concertent». Tarik parle : «J'aimerais rappeler les faits, dit-il d'une voix posée. Il y a eu énormément de comportements agressifs, d'insultes, vis-à-vis des gens qui habitent ce quartier. Dimanche, il y avait des policiers qui étaient là pour taper du bougnoule, il faut bien le dire. Il y a eu des femmes insultées en sortant d'ici. Les policiers en sont venus à tirer une grenade dans la mosquée. Et la violence est repartie.» Il conclut : «On est dans un Etat, mais on ne sait pas si c'est un Etat de droit. Je demande aussi un message du gouvernement pour nous rassurer. Rassurez-nous !»

«Désamorcez !» Plus âgé, Mustapha témoigne aussi : «On a entendu un bruit comme une explosion. Les policiers étaient devant la mosquée, courant à gauche et à droite. Tout le monde s'est sauvé.» «Les femmes avaient tout abandonné derrière elles, leurs foulards, leurs sacs, leurs chaussures, raconte Alex Jordanof, un journaliste de Canal + arrivé sur place quelques minutes plus tard. Moi j'ai vu des cartouches de grenades traîner un peu partout.» De son côté, le maire socialiste de Clichy-sous-Bois, Claude Dillain, a constaté que «les CRS chargeaient». Il n'a vu qu'une «cartouche». La police a fait savoir, hier soir, que la grenade n'avait «pas explosé dans la salle de prière», mais avait été «envoyée en l'air à l'aide d'un fusil avec une trajectoire instable». Les «petits pots contenant le gaz» libérés par la grenade ont «été trouvés près d'une entrée de la salle de prière, mais pas à l'intérieur».

Aux anciens qui, dans la mosquée, demandent le «calme ce soir», un jeune répond : «Alors, désamorcez !» «Que Sarkozy et les policiers quittent Clichy et le calme va revenir.» Le discours du ministre est à des années-lumière. «Ceux qui ont été agressés, ce sont les forces de l'ordre et non pas les voyous», a-t-il asséné à Bobigny, tout en soulignant sa «nouvelle stratégie». «L'occupation du terrain, de façon permanente dans tous les quartiers difficiles.» Venu rencontrer le ministre à la préfecture, le maire de Clichy ne cachait pas son pessimisme. «On voudrait foutre le feu à Clichy, on ne s'y prendrait pas autrement», a-t-il confié à Eric Raoult, député-maire (UMP) du Raincy. Avant de lancer au préfet : «Si on a encore une capacité à calmer les choses, ce n'est pas en s'affichant avec Sarkozy, je vous le dis carrément, M. le préfet.»

Source: Libération

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