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L'entre-deux bleds

Ils étaient un million cet été à traverser la Méditerranée pour rejoindre le Maroc par Algésiras. Parmi eux, de nombreux jeunes. Libération est allé à leur rencontre.

Port d'Algésiras, 14 juillet 2005, 9 heures. Pris d'assaut par les voitures et les fourgonnettes des «MRE» (Marocains résidant à l'étranger), le lieu, situé sur le détroit de Gibraltar, dans le sud de l'Espagne, ne désemplit pas. Le parking de l'embarcadère des ferries constitue la dernière étape du voyage avant l'arrivée au «bled». Plus d'un million de Maroco-Européens transitent par ce port durant l'été. De ce voyage, ils se sont fait une joie toute l'année. Ce rassemblement a des allures de pèlerinage préparé depuis des mois.

Le Maroc s'est associé aux pays d'accueil des «MRE», notamment à l'Espagne, pour organiser le transit. Le royaume a baptisé l'opération «Marhaba» («bienvenue», en arabe), fier d'accueillir durant l'été sa diaspora et ses devises (17,82 milliards de dirhams : 1,8 milliard d'euros pour le 1er semestre 2005).

Sur le parking, les plaques d'immatriculation témoignent de la diversité de ces vacanciers à part. Grande-Bretagne, France, Pays-Bas, Belgique, Suisse, Luxembourg, Allemagne, Italie, Espagne... Chaque pays a ses représentants marocains.

Des jeunes gens arpentent les parkings en attendant d'embarquer. Dans les années 60-70, leurs parents, souvent analphabètes, étaient ouvriers. Eux sont de jeunes Européens souvent qualifiés dont les compétences intéressent le royaume chérifien. Ils accomplissent le voyage avec ou sans leurs parents.

Nous sommes allés à la rencontre de ces jeunes entre deux cultures, deux âges, deux continents, qui nous ont parlé de leur voyage et de leurs aspirations. Les vacances finies, ils feront de nouveau étape à Algésiras avant de rejoindre leur pays de résidence.

Nouredine et Yahia, 21 et 22 ans : le Maroc en célibataires
Ces deux amis, «collègues de travail» chez Renault Trucks à Bourg-en-Bresse se rendent à Meknès voir leur famille avant de parcourir le Maroc en célibataires. En congé pour quatre semaines après un an d'usine, ils se sentent euphoriques à l'idée de rencontrer les «meufs». Ce voyage est un rituel auquel ils tiennent. Ils parlent de l'«ambiance» qui leur plaît, entre la famille, les amis, le soleil et les sorties.

Rida et Aziza, 24 et 18 ans : des coutumes locales étouffantes
Rida, réceptionniste, et sa soeur Aziza, bachelière, viennent de Düsseldorf en Allemagne avec leurs parents. Rida va se marier durant l'été. Sa fiancée vit à Casablanca.
Ils retourneront ensemble en Allemagne après le mariage. Attaché au Maroc, Rida ne se fait pas toujours à ses us et coutumes et ressent vite le besoin de rentrer en Allemagne.

Sofiane, Nesrin et Soulaiman, 16, 22 et 16 ans : voir les cousins
Les deux frères, lycéens, et leur soeur, étudiante en droit, sont venus de Bruxelles avec leurs parents. Après une semaine en Espagne dans un club de vacances, ils rejoignent Kenitra où ils ont une maison de famille. Au Maroc, ils retrouvent leurs cousins, qui vivent au Luxembourg et au Canada.

Khalid, 27 ans : ne pas manquer ce rendez-vous
Aide médico-psychologique à Strasbourg, il est exténué par trente heures de trajet et inquiet pour son chat à cause de la chaleur. Il se rend à Oujda voir sa famille : «Je viens dès que je peux. Je ne manquerais ce rendez-vous pour rien au monde. C'est difficile, les vacances finies, de se dire adieu.»

Leïla et Karima, 20 et 16 ans : les lascars ne savent pas se tenir
Leïla, vendeuse, est venue avec Karima, sa future belle-soeur. Fières de l'Alsace, où elles vivent, elles critiquent les Marocains de la région parisienne : «C'est tous des lascars, ils ne savent pas se tenir.» Leïla veut organiser son mariage au «bled» pour la famille et la fête : «C'est plus chaleureux.»

Abdelmajid, 28 ans : arpenter les nuits de la capitale
Il a fait le trajet avec son cousin depuis Londres. Organisateur de soirées pour célibataires, il est stripteaseur occasionnel. Il se fait une joie à l'idée de retrouver les siens et d'arpenter les nuits de la capitale. Il aimerait travailler entre Londres et Rabat et y réfléchit avec son frère, artiste vivant au Maroc.

Loubna, 23 ans : retourner au pays faire du business
Etudiante en commerce international à Montpellier, elle n'a pas fait le déplacement au Maroc depuis quatre ans. Elle est venue en famille passer trois semaines à Casablanca. En future femme d'affaires, elle évoque les opportunités commerciales qu'offre le Maroc, notamment dans le domaine du commerce équitable. Optimiste sur les années futures, elle fait partie de ces Beurs qui pensent un jour retourner vivre dans le pays de leurs parents pour y «faire du business».

Salah, 28 ans : prêt à mourir pour la patrie
Salah, commercial pour un fournisseur d'accès Internet,
vit à Barcelone. Il se rend avec sa soeur à Khouribga. Avant de s'installer en Catalogne, Salah était engagé comme professeur dans l'armée marocaine. Il fait l'éloge de «Sa Majesté Mohamed VI» et se dit «prêt à mourir» pour la patrie qu'il a quittée «par nécessité et avec beaucoup de regrets» : «J'aimerais que ce pays soit comme l'Espagne, riche et moderne.»

Lahcen AoeT-ZAHRA
Source : Libération

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