Menu

France: Sans-papiers et sans soins

Deux décrets du gouvernement compliquent l'aide médicale des étrangers en difficulté.

Le gouvernement vient de publier deux décrets contraignant les étrangers sans papiers à apporter la preuve qu'ils se trouvent sur le sol français depuis au moins trois mois pour avoir le droit à l'aide médicale d'Etat (AME), forme d'assurance maladie spéciale réservée aux étrangers en situation irrégulière. Paradoxalement, les sans-papiers devront donc en fournir pour attester de la régularité de leur séjour et avoir ainsi accès aux soins (hormis les soins d'urgence qui devraient continuer à être assurés).

L'ensemble des associations humanitaire, de santé ou de défense des étrangers s'élève contre ces deux décrets. En effet, c'est notre honneur d'être indignés car les circonstances qui entourent leur publication sont profondément troublantes. Elles révèlent fondamentalement le faible intérêt que porte ce gouvernement à la santé publique et à l'équilibre de ses comptes sociaux, aux droits des étrangers et à l'élaboration de la décision politique.

De fait, ces dispositions excluent de l'accès aux soins ceux qui, sur le sol français, sont le plus en difficulté face à la maladie. Pourtant, on le sait, plus tôt est posé le diagnostic d'infection au VIH et rapidement débutée la prise en charge, meilleures sont les chances de rester en bonne santé, et donc moins l'épidémie peut se propager, ce qui est déterminant dans un groupe de population déjà fortement touché par le sida. Soigner au plus tôt aujourd'hui, c'est non seulement éviter des souffrances (et pratiquer donc concrètement sur notre propre sol cet humanisme affiché par la France avec tant de morale à la face du monde), mais c'est aussi éviter demain des dépenses nécessairement plus coûteuses (et donc être utilement soucieux de l'équilibre de nos comptes sociaux).

On peut donc s'interroger sur le fait que, contrairement à ce qui est soutenu, ce n'est pas pour limiter la dépense de soins que ces décisions ont été prises. Alors, pourquoi ? Sommes-nous devant un oubli soudain du principe de précaution au détriment d'une plus grande propagation de l'épidémie ? Sommes-nous devant un racisme archaïque qui réserve à l'étranger malade une forme raffinée de haine consistant à l'exposer à des souffrances que nous ne tolérerions pas pour les nôtres ? Tout ceci nous entraîne loin de la santé publique et du souci d'équilibre des dépenses de santé.

Prise au plus haut niveau de l'Etat, sans doute même loin du ministère de la Santé, la décision de publier ces deux décrets vient conforter l'idée que des pratiques administratives méprisables sont parfaitement fondées au plan local dans les préfectures en matière de droits des étrangers. Une enquête menée récemment par Aides dans les quatre-vingts départements où l'association est présente révèle des conditions déplorables d'accès aux préfectures des personnes malades, l'exigence de pièces non prévues par les textes, la perception de frais indus, le refus illégal d'enregistrer certaines demandes, l'absence de délivrance de récépissé de demande de titre de séjour laissant la personne malade en proie à une éventuelle expulsion, la notification très tardive des décisions d'admission au séjour, la délivrance de plus en plus systématique de titres de séjour inférieurs à un an alors que les soins en matière de VIH/sida s'inscrivent dans le long terme. Ce n'est pas un tableau très honorable. Il fait apparaître plus que jamais combien l'accès aux soins est étroitement dépendant des conditions de régularisation du séjour.

Nous touchons ici à la décision politique. Un peu de cohérence ne nuirait pas. D'un triple point de vue.

Depuis 1998, avec courage, la France a mis en oeuvre un droit au séjour qui protège l'étranger malade. Il ne peut plus être expulsé ou reconduit à la frontière s'il ne peut trouver dans son pays de renvoi les soins que son état de santé exige. Ce n'est rien moins que la traduction dans la loi de la convention européenne des droits de l'homme que la France a signée et dont l'article 3 stipule que «nul ne peut être exposé à des traitements inhumains ou dégradants». Renvoyer dans son pays un étranger malade qui ne pourrait y trouver les soins exigés par son état de santé constitue indubitablement un tel traitement. C'était sans compter sur le fait que, quelques années plus tard, la France pourrait, sur son propre sol, perpétrer de tels manquements en refusant l'accès aux soins des étrangers malades. Il faut aller jusqu'au bout de la démarche de solidarité.

Le refus de certains pays développés de généraliser l'accès gratuit aux antirétroviraux dans le monde crée un possible appel vers les pays où ils sont disponibles. L'enjeu de cette épidémie est planétaire, il ne peut se gérer par une politique nationaliste et protectionniste. La France doit continuer à plaider pour une normalisation de l'accès aux traitements antirétroviraux en Europe et dans les pays en développement. Le fait que les personnes séropositives puissent être traitées dans leur pays d'origine est la seule garantie pour qu'elles ne viennent pas en Europe dans le but d'obtenir des traitements qui ne sont pas accessibles chez eux. En attendant cet accès généralisé dans les pays en développement, ce qui est en bonne voie, c'est de l'honneur et du devoir de la France de soigner les étrangers présents sur son territoire.

Prise en plein été, la décision politique de publier ces décrets vient confirmer l'idée que la France d'en haut est toute-puissante. On voit là, quelques semaines après le scrutin européen, et alors même que ces décrets étaient «sous le coude» depuis deux ans, que la CNAMTS (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés) avait émis un avis défavorable sur ces décrets en février 2004, qu'aucune leçon n'a été tirée des soubresauts d'une société française qui n'en peut plus d'être conduite avec mépris. Les associations humanitaires, de santé ou de défense des droits des étrangers sont confrontées à des difficultés grandissantes pour soutenir les étrangers malades dans leur combat contre la maladie. Leur haut niveau d'engagement ne valait pas un tel mépris.

Où placer notre espérance ? Dans une vie politique formellement et fondamentalement rénovée ? Sans doute. Il faut toujours y croire. Mais ce n'est pas facile quand la confiance fait place à la défiance. Ces deux décrets freinent l'accès aux soins des personnes. Enfermées dans la clandestinité, elles sont en situation de transmettre le virus, alors qu'une mise sous traitement est efficace en matière de prévention ! Après deux décennies de politiques de l'emploi, nous dissertons sur la préférence française en matière de chômage. D'ici peu, nous parlerons d'une préférence française pour l'épidémie... L'année même où le gouvernement a décrété le sida «grande cause nationale» !



Par Christian SAOUT
Président d'Aides, association de lutte contre le sida.
Source: Libération


Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com