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Ramdam et sa famille : une affaire intérieure

Le papa est pratiquant, la maman prie depuis peu. Les enfants respectent le jeûne du ramadan. Visite à Argenteuil

Quand on pénètre dans l’appartement de Rachida et Ramdam, au deuxième étage d’un élégant immeuble du centre-ville d’Argenteuil (95), aucun signe religieux ostensible n’indique au visiteur qu’il vient de pousser la porte d’une famille musulmane. Sur les murs, pas de scène mystique, pas de représentation de la kaâba à La Mecque. Ce qui n’empêche Ramdam, cinq fois par jour, comme le préconise le Coran, de se tourner vers elle pour faire sa prière. Pour les parents, comme pour leurs quatre enfants, la foi musulmane est une affaire intérieure, intime, pas un engagement à afficher aux yeux de tous.

Ramdam, cinquante et un ans, petit homme plutôt râblé, le cheveu court, est arrivé en France en 1980. Il est cariste-magasinier. Bien qu’embauchant très tôt le matin, il prend le temps de quotidiennement faire sa prière avant de partir, quitte à mettre le réveil à 3 h 30. « Je suis né musulman. Dans ma famille, au Maroc, tout le monde l’est. Mais le choix est libre. Moi, je suis pratiquant : je prie, je fais le ramadan, je me rends souvent à la mosquée (une salle de prière - NDLR). Les prières du vendredi sont sacrées, je les fais systématiquement. » Depuis peu, Rachida s’astreint, elle aussi, à prier ; ce qui réjouit littéralement son mari. Elle le fait quand les petits enfants qu’elle garde chez elle ne l’accaparent pas. Sa pratique est tout à fait récente. « Je suis arrivée en France alors que j’avais sept ans. J’ai grandi ici, je vis bien plus à l’européenne que les femmes qui viennent du bled. Je suis musulmane, je respecte ma religion, mais je ne vais jamais à la mosquée, je n’ai jamais lu le Coran. »

Rien dans sa façon de s’habiller ne distingue Rachida des mamans qui viennent lui confier leur progéniture. Porter le foulard ? « Je ne suis pas prête... » répond-elle. Difficile en effet de l’imaginer tant ses tenues ont plus à voir avec l’élégance parisienne qu’avec la noire austérité iranienne ou saoudienne. Pour elle, le foulard est synonyme de vieilles femmes au Maghreb. Elle ne comprend pas les jeunes filles nées de ce côté de la Méditerranée et qui, un beau jour, se voilent. Pas plus que les garçons qui se laissent pousser la barbe. Et pendant les débats sur la loi sur les signes religieux, elle donnait massivement raison aux enseignants qui n’acceptaient pas ces attitudes. Ramdam, lui, aurait préféré que l’État français ne se mêle pas de cette question. « Islam et République auraient pu débattre plus, dans le respect mutuel. La devise de la République française est liberté, égalité, fraternité. Pour moi, cela veut dire que la femme a la liberté de porter le voile. Un dialogue fructueux aurait sans doute permis d’éviter le vote d’une loi. »

Le père de famille parle de tout cela avec sa femme et ses trois filles. Sana, la cadette, treize ans, collégienne, arborant un superbe tee-shirt « playmate », n’écarte pas l’idée de porter, un jour, le foulard. Le tchador, jamais. Son père pense d’ailleurs que c’est une aberration. Pour l’heure, elle « n’est pas prête », pas plus que pour la prière. Son frère, Nabil, dix-huit ans, plombier, et son aînée, Nawel, vingt ans, qui passe son bac STT comptabilité, se contentent, eux aussi, de pratiquer un seul des cinq piliers de l’islam : le ramadan. Nabil avoue ne pas se souvenir ce que sont les cinq piliers. « Oh la la ! » soupire son père. Nawel relève qu’elle ne vit pas dans un pays musulman et qu’il convient d’en tenir compte. Aucun des enfants n’a jamais eu à subir de réflexions ou d’attitudes islamophobes. Pas vraiment non plus de curiosité de la part de leurs amis. Si ce n’est les copains non musulmans de Nabil qui essaient de faire le ramadan avec lui. Nawel, questionnée sur la religion de son futur mari, esquive : « Mes parents préféreraient qu’il soit musulman. Mais je n’en sais rien. Qui sait ce que le sort me réserve... » Maman sourit, papa grimace.

Ramdam regarde sa famille avec affection et bienveillance. Bien sûr, il souhaite que femme et enfants soient de « vrais musulmans », qu’ils aient « un bon comportement », respectueux des autres, de leurs opinions et religions. Qu’ils connaissent le Coran, qui « est tellement beau qu’on ne peut même pas le traduire en français ». Quand la famille découvre à la télé des scènes d’attentats, de violences, perpétrés au nom de Dieu, Ramdam explique : « Cela n’a rien à voir avec l’islam ; un musulman ne peut pas faire de mal à autrui. » Mêler islam et politique n’apporte rien de bon. C’est pour cela qu’il ne considère pas le CFCM comme une chose positive. « L’État ne rentre pas dans la vie des chrétiens, alors... Il faudrait que les musulmans parviennent à s’entendre. Il n’y a qu’un seul livre, le Coran. Nous pouvons avoir la même pensée. » Rachida lâche : « Les musulmans sont racistes entre eux ; que l’État s’en mêle, ça se comprend. »

De toute façon, conclut Ramdam, tout cela est secondaire par rapport à sa foi. « Ma pratique est verticale : entre Dieu et moi. »

Source: L'Humanité

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