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Racisme: Bessan (Hérault) pleure son retraité flingueur

Dans ce village de l'Hérault, un sexagénaire a tiré sur des jeunes d'origine marocaine, puis s'est suicidé en prison. Samedi, pourtant, une marche silencieuse lui rendait hommage.

Bessan, 4 500 habitants, est en deuil. Samedi, une foule de villageois silencieux a descendu la grand-rue, rendant hommage à la mémoire de Gaston Malafosse, 61 ans, dont les obsèques avaient eu lieu la veille. L'équipe municipale n'avait pas souhaité d'autres banderoles que la sienne : «Plus jamais ça.» Ça, c'est la mort du retraité, qu'il s'est donné lui-même une semaine plus tôt dans sa cellule de la maison d'arrêt de Béziers. Il y était incarcéré depuis quarante-huit heures pour avoir, dans la soirée du 21 juillet, d'abord ouvert le feu sur des jeunes d'origine marocaine, place de la Fontaine, puis tiré à plusieurs reprises pendant de longues minutes, blessant six personnes dont un enfant de 5 ans.

Mouche. Depuis, Bessan pleure surtout son retraité. Et moins ses victimes. Les Bessanais évoquent un homme «harcelé», «poussé à bout», «excédé» par des jeunes «bruyants et agressifs». Des amis de son club de tir en parlent comme du «plus doux des hommes, qui n'aurait pas fait de mal à une mouche». De nombreux élus du département, PC, PS, UMP, FN, tous en écharpe, dénoncent ces «actes d'incivilité répétés qui pourrissent la tranquillité» de leurs villages. Des jeunes lâchent : «Les bougnouls nous cassent les couilles.» De vieilles dames disent qu'elles ont peur de sortir le soir à Bessan. Des vieillards disent que «la place de la Fontaine est interdite aux Français à certaines heures». A Bessan, le Front national a remporté 38 % des voix lors de l'élection présidentielle. Le village n'apprécie pas qu'on le lui rappelle : «On n'est pas racistes, on dit simplement la vérité.» Il y a aussi d'autres voix, qui récusent le geste du retraité. Elles furent discrètes, samedi, à la manifestation. Pas un Marocain n'a pris part au cortège.

Mais quelques bérets noirs sont là, extérieurs au village. Arrivé devant la mairie, l'un d'eux dépose une gerbe de fleurs au pied de la statue de la République, signée «Les identitaires». Un adjoint au maire bondit, saisit cette gerbe «qui n'a rien à faire là», et prend aussitôt un coup de poing en pleine figure. Sa lèvre est ouverte. Des gens hurlent «collabos !» ; d'autres «et les Français alors ?». Il y a encore des coups de poing. Le maire, Robert Raluy (sans étiquette), tente de disperser ses administrés : «Rentrez chez vous, c'est fini !» Il est dépité. Cette marche silencieuse il la voulait uniquement dédiée à son «copain Gaston, qui était un homme honnête, qui ne baissait pas la tête». Il explique : «Gaston n'avait pas compris que notre République ne défend plus les valeurs qu'il avait apprises.» Selon lui, Gaston Malafosse avait porté plainte à plusieurs reprises contre trois jeunes. Les gendarmes sont beaucoup plus circonspects sur la réalité de ces plaintes. N'empêche, l'édile martèle à qui veut l'entendre que la justice, surchargée de travail, les a toutes classées sans suite. «Pourtant, poursuit Robert Raluy, certains mériteraient de purger une peine de prison, mais notre système carcéral ne le permet pas. Et les peines de travail d'intérêt général sont sans effet.»

Pétition. Quelques heures plus tard, derrière des volets clos, des langues se délient. «Ces jeunes ne sont pas des délinquants, restons modestes, on est à Bessan, assure un habitant. Dans un village aussi tranquille, aussi traditionnel, ceux qui ne respectent pas toutes les petites conventions se mettent à la marge.» Au Tip-top Kebab, place de la Fontaine, la pétition de soutien à la famille de Gaston Malafosse trône sur le comptoir, comme chez d'autres commerçants. Assis à table, un homme en short ne décolère pas : «Ici, c'est bourré de fachos. Les jeunes ne sont pas tous des saints, mais ils ont besoin de vivre, et d'avoir de la place pour ça. Ici, il n'y a rien pour eux. Juste des commerçants qui refusent de servir certains jeunes et un maire qui rêve de leur mettre des claques.» L'élu s'indigne. Pour lui, «Bessan n'a pas de problème avec les Maghrébins, mais avec trois gangsters qui sèment la terreur».

Désarmé. Sur son lit d'hôpital, à Béziers, l'un de ces supposés «gangsters», 22 ans, n'en mène pas large. Les balles de Gaston Malafosse, tirées à bout portant, l'ont atteint au bras, à l'épaule, à la joue, au crâne. Il n'a pas la force de parler, fait des cauchemars dès qu'il s'endort, souhaite qu'on taise son nom. Un copain est à son chevet, méfiant : «Les gens racontent n'importe quoi sur nous. Pourquoi on ne dit pas qui sont les vraies victimes ?» Dans une chambre voisine, Nabil, 27 ans, tient à donner sa version. Jeudi 21 juillet, il dînait au Tip-top Kebab quand il a entendu des bruits anormaux place de la Fontaine. Il a vu Gaston Malafosse tirer sur des jeunes. «Je ne pouvais pas regarder sans rien faire. Il s'acharnait sur l'un, il visait la tête.» Il s'est approché, a tenté de le raisonner. Le retraité a levé son arme vers le visage de Nabil, qui a juste eu le temps de mettre son bras en travers. La balle le lui a déchiqueté. Broches et greffe de peau. Gaston Malafosse a continué de tirer tous azimuts. Blessant notamment une voisine et son enfant qu'elle tentait de mettre à l'abri. Quand les gendarmes d'Agde sont finalement arrivés, le retraité leur aurait crié : «Tuez-moi, je n'irai pas en prison !» Le frère de Nabil a profité de cet échange pour se ruer sur le retraité, lui donnant un coup dans l'abdomen, qui l'a désarmé.

A Bessan, quelques-uns assurent que Gaston Malafosse, devenu cadre chez Schneider puis rentré dans son village natal pour sa retraite, haïssait ces jeunes qui le lui rendaient bien. D'autres exigent un retour au calme. Le 6 août, c'est la fête de l'Âne à Bessan. Le pastis va couler à flot, gratuitement, cinq jours de suite. «Il faut que la tension redescende d'ici là, s'inquiète un villageois. Quand les esprits s'échauffent trop, ça n'est jamais bon.»


Source: Libération

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