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"Le festival de l’horreur"

Au Maroc, la haine et le racisme sont considérés comme des opinions "normales". C’est aberrant et dangereux

"Faut-il, pour prix de la tolérance, tuer notre identité et nous fondre dans celle de l’autre ?". Cette question existentielle n’a pas été posée dans Attajdid ni dans aucune tribune islamiste. C’est un socialiste qui en est l’auteur, et elle est tirée d’un texte sobrement intitulé "le festival de l’horreur", paru en Une d’Al Ittihad Al Ichtiraki lundi dernier.

Le festival en question était celui de Casablanca. Quant à l’horreur, l’auteur de la tribune l’a ressentie à la vue de la parade d’inauguration du festival, "conçue par des mains étrangères", et à l’écoute du premier concert de rock, "ce bruit effarant qu’on nomme musique moderne" – le tout, mis en scène par "une nouvelle cohorte d’ennemis de ce pays". Et de s’interroger de plus belle : "Sommes-nous dans une nation sans identité, sans histoire, sans arts populaires ? Est-ce le début de l’anarchie ?".

Les islamistes, en comparaison, ont presque été raisonnables. Stigmatisant ce festival des "arts de la débauche" (quand même), le porte-parole des élus PJD de la ville s’est limité à rappeler que "la mémoire et l’histoire sont plus importantes que la danse". Notons, enfin, que le parti de l’Istiqlal a rejoint l’USFP et le PJD dans l’opposition au festival, au motif officieux que sa programmation serait révélatrice du "complexe de l’étranger".

Faut-il prendre tout cela à la rigolade, se dire avec indulgence que ces gens sont en retard d’une mondialisation, et passer à autre chose ? Je pense que cela va plus loin. En plus d’être coupé de la réalité, ce type de discours (en gros, "tout ce qui n’est pas exclusivement et authentiquement marocain est diabolique") est haineux et raciste. Et ce n’est pas le plus grave. Le plus grave, c’est qu’il est relayé par des tribunes qui sont loin d’être marginales. L’Istiqlal, l’USFP et le PJD sont respectivement le premier, le second et le troisième parti du pays. À eux trois, ils représentent 46% de la chambre haute du Parlement. Dans des pays plus avancés, des idées comme les leurs sont classées au rayon des "extrémismes", et se retrouvent assimilées à la portion (congrue) de l’électorat qui s’y reconnaît. Chez nous, vu le poids de ceux qui les portent, de telles opinions sont perçues comme "normales". Ce qui est non seulement anormal, mais aberrant et dangereux.

Le Maroc prétend avancer vers la modernité. Or, dans le cahier des charges de la modernité, il y a une législation anti-haine. Nous n’y pensons même pas. Si ce combat n’est pas ouvert rapidement, cette "normalité"-là va s’élargir, et devenir dominante. "C’est déjà le cas", répondront les pessimistes. Mais la meilleure preuve qu’ils se trompent, c’est l’éclatant succès du festival de Casablanca. Pendant une semaine, des centaines de milliers de femmes, d’hommes et de familles ont ri et fait la fête, se reconnaissant avec ravissement dans les "arts diaboliques". écoutons-les ! Aidons les à se défendre contre leurs prétendus porte-parole... si possible, avant qu’il ne soit trop tard.

Source: Telquel

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