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Mortalité infantile: Le Maroc perd ses acquis

L’on ne s’y attendait pas, mais ces données sont bien là, figurent dans le bilan du gouvernement, section Santé: plus d’enfants de moins de cinq ans, et plus de bébés à la naissance meurent qu’il y a sept ans!

Alors que l’on se gaussait, il y a quelques années des efforts menés et des résultats accomplis. Près de 37 enfants de moins d’un an pour mille naissances vivantes décédaient en 1997. En 2004, ils sont quarante pour mille. Dans le même sillage, environ 46 enfants de moins de cinq ans décédaient en 1997, ils sont 46 sept ans après. Qui dit mieux?

En voilà donc une grande urgence: la Santé publique, «la Santé pour tous»(1). L’atonie de la politique sanitaire est une véritable bombe à retardement tant les conditions d’accès aux soins sont déplorables, voire humainement intolérables dans certaines régions. La régression de ces indicateurs de base est accompagnée d’une disparition des grandes campagnes de sensibilisation à la télévision ou à la radio.

Certes, l’assurance-maladie obligatoire couvrira les soins pour un plus grand nombre d’ici deux ans, mais à quelles conditions?
Les grèves enchaînées et qui se poursuivent dans le secteur montrent un état tout aussi déplorable de l’exercice des fonctions de médecins, infirmiers et autre corps de la profession dans le public. Avec, en parallèle, un manque flagrant de ressources humaines, et de spécialistes de la gestion des hôpitaux qui est un métier différent de celui de la médecine. Par ailleurs, en termes de bilan, l’on se souvient plus de Biadillah comme le ministre en négociations (ou non) avec les multiples corps en grèves que celui qui est monté au créneau contre les maladies diarrhéiques.

Pour les deux ans à venir, le plan d’action du ministère de tutelle est étoffé, c’est-à-dire étalé sur plusieurs pages du bilan du gouvernement(2). Mais, en dépit d’une bonne volonté en termes d’orientation, de toutes les réalisations citées, peu d’objectifs à atteindre ou atteints en termes d’impact sur les populations-cibles sont explicités (par exemple réduire à 30‰ la mortalité infantile d’ici à 2007). Surtout que la mortalité infantile et maternelle est en hausse!


· Mourir par ignorance

A son actif toutefois, la réforme hospitalière dans cinq régions du Maroc, bien entamée (cf. dans nos prochaines éditions, le Focus sur la réforme hospitalière), mais vaine, tant que les CHU n’ont pas eu un vrai toilettage de fonds.

Quant au budget du ministère de la Santé, il a triplé en une décennie, mais reste faible au regard des indicateurs de Santé (plus de 6 milliards de DH en 2005, près de 6% du budget général).
Par ailleurs, l’enveloppe annuelle dédiée à l’investissement reste très modérée: près d’1,2 milliard est accordé pour 2005 (près d’1 milliard pour 2004), soit moins de la somme estimée pour mettre à niveau la seule ville de Rabat (1,5 milliard de DH).

La mortalité infantile est passée de 36,6‰ naissances vivantes à 40‰ sept ans plus tard (2004)(3), selon le document de travail du gouvernement. Attention, cela peut vouloir dire que le système de recensement s’est amélioré et que l’on a plus d’informations sur la mortalité infantile du fait de l’accès à des populations auparavant désenclavées.

Mais dans les deux cas (recensement performant ou non), pour un pays en développement du niveau du Maroc, le taux fait sauter au plafond. Même tendance pour le taux de mortalité néonatale: de 19,7‰ naissance vivantes, en 1997, il passe à 27‰! La mortalité maternelle demeure aussi un grand problème. Sur 100.000 naissances vivantes, 227 mères décèdent en 2003, contre 332 en 1992.


· Indifférence, grand danger

Côté ressources, il y a actuellement, en moyenne, un médecin pour plus de 1.800 habitants, soit au total 16.307 médecins dont la moitié sont spécialisés (Tunisie: 1 médecin pour 1.200, Jordanie: 1 médecin pour 440, Egypte, 1 pour 450).

Un infirmier pour 1.145 habitants (soit plus de 26.000), et un lit d’hôpital public pour 1.146 personnes. On compte une sage-femme pour 390 naissances attendues. Une moyenne faible, et sans tenir compte de l’écart-type, et sans considérer la dispersion rural-ville, déséquilibrée à outrance.

Plus d’un quart des foyers ruraux sont situés à plus de 10 km d’un établissement de soins de santé de base! (L’Economiste du 31 décembre 2004, rapport de l’OMS).

Donc, pour ces fondamentaux, il faudra attendre ce que donneront les réalisations d’ici à 2007, inscrites au programme du gouvernement.
Si celui-ci a nettement axé ses priorités sur les infrastructures, il reste un grand travail à mener sur la qualité des soins et les fondamentaux de base pour ne pas mourir bêtement, et dans l’indifférence de l’opinion publique. C’est cela le grand danger.


Un grand gâchis

Et voilà, il va falloir refaire tout un travail pour récupérer ce que le Maroc a perdu ces dernières années. Les spécialistes interrogés sur ce recul (plus d’enfants et de bébés morts), ne sont pas si surpris. «Les efforts de lutte ont porté leurs fruits dans les années 90. L’Unicef soutenait l’action et il y avait de grandes campagnes de sensibilisation. Depuis quelques années, l’on assiste à un grand relâchement», explique cet ancien directeur au ministère de la Santé.
La lutte n’est sûrement pas qu’une question de moyens financiers, puisque le budget alloué à la Santé a triplé en une décennie! Et il suffit de si peu pour sensibiliser les gens!

Les chiffres, à l’époque, avaient choqué le monde médical, marocain et étranger. L’Unicef a fortement accompagné le Maroc dans sa lutte contre la mortalité infantile. Chacun se souvient encore des messages publicitaires télévisés et radiophoniques diffusés, il y a quelques années, à l’instigation du ministre de l’époque, le Dr Harouchi: comment traiter son eau, comment allaiter son enfant, comment respecter l’hygiène… Les efforts ont porté leurs fruits puisque entre 1992 et 2000 le taux de mortalité avait baissé de deux tiers (selon le ministère de la Santé), de la moitié (selon la Banque mondiale) (voir L’Economiste du 13 mai 2004, www.leconomiste.com).

Mais les progrès sont encore très insuffisants. La Tunisie, par exemple, a réussi à faire tomber son taux de mortalité infantile (les enfants de moins de 5 ans) à environ 30‰ (3%) soit nettement moins que le Maroc.

Aujourd’hui, les mesures de sensibilisation ont pratiquement disparu. En tout cas, à la télévision, le support de sensibilisation le plus efficace, plus grand-chose.

Au service de l’enfant au ministère de la Santé, on déplore notamment “la raréfaction progressive de l’allaitement en bonne et due forme” (pendant six mois entiers) des enfants et “un manque d’effort dans la nutrition des enfants”. Pourtant, il y a quelques années, rien ne paraissait plus normal. Voilà le résultat d’un grand relâchement, de négligences et d’indifférence, pourtant, il s’agit bien des premiers indicateurs d’une bonne santé. Quel grand gâchis!

Mouna KADIRI
Source : L'Economiste

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(1) Devise du programme du gouvernement.
(2) «Les grands chantiers du Maroc», Royaume du Maroc, le Premier ministre, mai 2005.
(3) Contre 91 ‰ en 1982.

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